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La seule différence, dit le conseil de Namur, qui existait entre les rentes foncières et celles constituées à prix d'argent, c'est que les premières étaient irrédimibles et sujettes à rabais pour cause de ruine ou perte de contrepans (1).

Nous avons dit que l'action résultant des constitutions des rentes namuroises était purement réelle; c'est ainsi qu'en cas de décès du débiteur laissant plusieurs héritiers, le créancier n'avait action que contre l'héritier auquel l'immeuble hypothéqué était attribué par le partage.

Ces principes sont appliqués très-souvent encore aux rentes ci-devant constituées dans l'ancien comté de Namur. On sait en effet que les titres recognitifs passés sous le code civil ne dérogent pas au titre primordial (arg, de l'art. 1337 de ce code), et que ce sont les règles de l'ancienne jurisprudence qui continuent de régir les rentes, dont l'existence est antérieure à la loi nouvelle.

Nous avons dit qu'en cessant de posséder l'immeuble hypothéqué, le débiteur était déchargé du service de la rente; nous devons cependant faire remarquer que le débiteur et ses représentants à titre universel étaient tenus de renseigner les hypothèques (2), de sorte qu'il ne leur suffisait pas de dénier de détenir l'immeuble affecté à la créance. Le renseignement des hypothèques pouvait seul les décharger du service

(1) Ce mot signifie hypothèques, on le trouve dans l'article onze de la

coutume.

Du reste ce passage de l'avis du conseil de Namur, est relatif à la réduction qui, en certains cas extraordinaires, par exemple pour ravages de guerre, était accordée au débiteur d'une rente foncière (Wynants, décis. 117).

(2) Voir Sohet, liv. 3, tit. 17. no 85 et suivants. Mean. obs. 145. — Jugement · rendu par le tribunal de Namur en 1835, en cause de Beauffort contre BrasLes mêmes principes étaient admis au pays de Liége.

seur.

de la prestation, ils devaient même contraindre le nouveau possesseur à reconnaître la rente (1).

Cette obligation résultait de la nature même des choses, puisque le débiteur, qui jouissait du domaine utile, était seul à même de faire ce renseignement. Ayant possédé l'immeuble, il était certes tenu de rendre compte de l'usage qu'il avait fait de cette possession. Même conséquence résultait aussi de la nature du contrat d'emphytéose, auquel le contrat de rente était assimilé chez nous, non moins que de la circonstance que le domaine direct de l'immeuble appartenait au créancier.

Du reste, le débiteur n'est libéré que s'il a cessé de posséder de bonne foi et sans fraude. En conséquence, si le débiteur d'une rente ancienne vend, sous le code civil, l'hypothèque à un tiers, sans charger celui-ci du service de la rente, et si l'acquéreur s'affranchit de la prestation, par la transcription (le créancier n'ayant pas fait inscrire son titre), le débiteur ne peut se prétendre déchargé de la redevance, parce qu'en aliénant l'immeuble, sans imposer à l'acquéreur le paiement de la rente qui le grève, il commet un véritable stellionat. En ce cas la cessation de sa possession n'est pas de bonne foi; par conséquent il doit être considéré comme possesseur et soumis aux obligations résultant de cette qualité, d'après le principe connu : qui dolo desiit possidere, pro possidente damnatur, quia pro possessione dolus est; LL. 131 et 150 de Regulis, juris. Il en est autrement, s'il a chargé formellement l'acquéreur du service de la prestation; en ce cas, le créancier n'a plus d'action que contre le tiers, et tous

(1) Ainsi jugé le 22 mai 1636, par le conseil de Namur, en cause du desservant de l'autel Ste Anne, à Andenne, contre les héritiers de Guillaume de Bierwart. Même décision, le 8 novembre 1658, en cause de Jean Dewaret.

les principes que nous avons exposés reçoivent leur application.

Le conseil de Namur fait également remarquer, dans les documents cités ci-dessus, 1° que l'obligation à titre de rentes namuroises était tellement réelle que, du moment que le créancier avait pris saisine, le débiteur ne pouvait plus être recherché même par action per

sonnelle.

2o Que dans nos contrats de constitution, il y avait vente du domaine direct de l'hypothèque en faveur du créancier, à tel point que ces sortes d'actes donnaient ouverture au paiement des deniers seigneuriaux, comme en matière de vente réelle; et les créanciers de rentes hypothéquées sur des biens féodaux devenaient vassaux du seigneur dominant et étaient tenus à relief.

3° Que par l'action hypothécaire ou réelle, on ne pouvait réclamer que les trois derniers canons. Que quant aux autres, le créancier avait une action personnelle in rem scripta, appelée defructuatoire, contre ceux qui avaient joui de l'immeuble et ce jusqu'à concurrence des fruits qu'ils avaient recueillis, pendant le tems que la rente n'avait pas été acquittée (1). Tel était du reste le texte formel de l'art. 17 de la coutume.

Remarquons également qu'aux termes de ce dernier article, l'action hypothécaire pouvait être dirigée aussi bien contre le propriétaire que contre l'usufruitier pour les trois derniers canons. Il y a plus, les annuités échues pendant le litige étaient réelles, comme les trois derniers canons échus antérieurement (2).

(1) Voir sur cette action defructuatoire, Stockmans, décis. 100, no 2 et suivans.

(2) Arrêt de la cour de Liége, du 21 novembre 1810 (arrêts notables de cette cour, t. 5, p. 10-15.

Le contrat de rente produisant les effets ci-dessus décrits, on a demandé si le propriétaire d'un fonds, grevé de rente, pouvait pratiquer dans ce terrain des extractions de derle et autres matières de même nature. On a toujours admis l'affirmative, pourvu que le débiteur ne détériorât pas l'immeuble, de manière à ce que celui-ci ne pût plus garantir le paiement de la redevance. Le créancier ne peut s'opposer à semblables exploitations, à moins qu'elles ne compromettent la sureté de l'hypothèque, qui lui a été affectée par le titre constitutif.

$ 2.

Nous venons de voir que le débiteur n'était obligé au paiement de la rente que comme possesseur de l'hypothèque, et, pour ainsi dire, accessoirement, à raison de cette détention. Il en était toutefois autrement, s'il résultait de l'acte constitutif lui-même, que le débiteur y avait contracté l'obligation personnelle, comme principale, l'affectation hypothécaire n'étant que l'accessoire de celle-ci.

Cela se conçoit; l'obligation réelle est seulement de la nature du contrat. Les parties pouvaient donc déroger à ce point par leur convention et rien n'empêchait le débiteur de se soumettre à une obligation personnelle. C'est le cas de dire avec la loi 23 dig. de regulis juris : servabitur quod ab initio convenit; et avec la loi re depositi contractus legem ex conventione accipiunt.

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Ce cas s'est présenté en 1817, devant le tribunal de Namur, en cause de Moretus contre Bivort, et ce tribunal par jugement du 17 juillet 1817, décida qu'il y

avait obligation personnelle par les motifs suivants : Qu'il résulte de la contexture des deux actes que >> les constitutions de rentes qu'ils renferment, ne sont >> pas conçues dans la même forme, ni dans les mêmes >> termes que nos rentes ordinaires.

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>> Qu'en effet, les frères Bivort qui restaient en so>> ciété, au moyen de l'abandon que leur faisait leur » frère, de sa part dans le commerce et les biens qui >> en dépendaient, s'engageaient personnellement à lui >> reconnaître une rente proportionnelle à la valeur de >> cette part. D'où il résulte que la constitution de la >> rente dont il s'agit, renferme bien évidemment deux obligations distinctes, l'une principale de recon>> naître la rente, l'autre accessoire et hypothécaire >> consistant dans les biens sur lesquels cette >> obligation principale est affectée. Qu'il est d'au>> tant plus impossible d'assimiler la rente susmen>>tionnée et dont celle réclamée ici par le sieur Xavier >> Moretus demandeur fait partie, aux rentes qui se >> constituaient régulièrement dans l'ancienne province » de Namur, que les frères Charles et Héliodore Bivort » n'ont rien vendu à leur frère Hyacinthe, ne lui ont >> rien transporté et que c'est au contraire celui-ci qui >> a renoncé à sa part dans le commerce, qui leur a >> cédé tous ses droits dans ce même commerce, >> moyennant l'obligation personnelle qu'ils ont prise » de lui reconnaitre la rente dont il est parlé ci-dessus. Qu'il est cependant évident que, d'après la constitution » des rentes namuroises, le bien seul en était débiteur, » parce que le débiteur avait vendu au crédirentier ce » bien à concurrence du capital de la rente, qu'il en » avait transféré le domaine au crédirentier qui, par une » fiction, l'avait ensuite réinvesti du domaine utile, pour

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