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doit être jugé plus ou moins digne de foi. Si le fait que l'on rapporte est constaté par un acte dont l'authenticité ne puisse être méconnue, il n'y a point d'argument à proposer contre la certitude d'un pareil témoignage. Si ce n'est qu'un simple historien que l'on indique, sa déposition peut être combattue par d'autres dépositions contraires, ou par des circonstances qui lui sont particulières, et qui diminuent la force de son témoignage. La prudence demande que l'on ne cite point alors sans bien connaître son auteur: un adversaire plus instruit, tirerait des inductions avantageuses de particularités qu'on aurait ignorées.

Enfin, j'ai dit que l'on citait des auteurs pour s'appuyer de leur suffrage: c'est ici où l'abus est plus à appréhender, et où l'on doit être fort réservé à citer. Deux motifs peuvent justifier l'usage de ces citations. Il y a des auteurs dont la réputation est telle, qu'il semble qu'on ne puisse, sans une sorte de témérité ou d'imprudence, combattre leur sentiment. Le nombre de ces auteurs est infiniment petit ; ce sera, par exemple, Dumoulin sur les questions de droit coutumier. Il est constant que c'est un avantage réel d'avoir pour soi le sentiment de pareils jurisconsultes, et qu'on ne doit pas négliger d'user de cet avantage en les citant.

Les autres auteurs, et c'est le plus grand nombre, n'ont point acquis ce haut degré de considération : ils ne le méritent pas. On peut cependant quelquefois tirer avantage de leur texte, et voici quels en sont les fondements. Le défenseur d'une partie est naturellement regardé comme suspect dans ce qu'il dit pour l'intérêt de son client. Pose-t-il un principe? on se demande s'il n'est pas fait pour la cause. Hasarde

t-il une décision, on appréhende qu'il n'eût prononcé le contraire, si les rôles eussent été changés. Un juge parfaitement éclairé trouve dans ses connaissances personnelles le principe et le motif de décision; il adopte ou il rejette le moyen qu'on lui propose, par l'examen qu'il en fait; jamais on n'obtiendra sa voix, qu'en lui démontrant rigoureusement la vérité de ce qu'on lui propose. Mais tous les juges n'ont ni cette même pénétration, ni cette même aptitude à prendre d'euxmêmes un parti; ils hésitent entre les raisonnemens opposés de deux défenseurs ; et c'est lorsqu'ils sont dans cet état d'incertitude que, pour les fixer, on transcrit les textes des auteurs qui se sont expliqués sur la matière que l'on traite. Si aucune circonstance particulière n'a conduit la plume de ces auteurs, s'ils ne peuvent être accusés de partialité, il est naturel qu'on rapporte leur décision comme le suffrage d'un homme instruit et de sang-froid. Ces deux titres réunis méritent l'attention du juge; et, toutes choses égales d'ailleurs, il est naturel qu'ils le déterminent. Voyons maintenant les abus à éviter; il y en a deux, l'un relatif au point dont on veut confirmer la vérité par une citation, l'autre relatif aux auteurs dont on se permet d'invoquer le suffrage.

La citation n'est utile, ainsi que je l'ai observé, qu'autant qu'il y a un doute réel à lever, ou une incertitude à fixer. Si la proposition que l'on met en thèse est un de ces axiomes dont la vérité est tellement constante, que l'adversaire même n'entreprendra pas de la contester, il est inutile de l'appuyer de citations; ce serait une érudition superflue. Il faut également du choix dans les auteurs que l'on invoque; autrement, et si l'on croit qu'il suffise qu'une opinion

soit avancée dans un livre pour se permettre de la soutenir, il y aura peu de questions sur lesquelles il ne soit facile de s'opposer réciproquement des autorités contradictoires. On ne doit pas appeler sans distinction quiconque porte le nom de jurisconsulte : il en est un certain nombre, dans chaque genre, qui se sont acquis, par des ouvrages mûrement réfléchis, une réputation méritée ; ce sont ceux-là seuls dont on doit s'appuyer. Évitez surtout d'allonger vos citations d'une liste d'auteurs qui n'ont fait que se copier les uns les autres. Il est quelques ouvrages principaux, dont la foule des autres ouvrages n'est que des abrégés ou des compilations. Ainsi je suppose que vous ayiez pour vous un texte précis de Dumoulin; vous joindrez facilement huit ou dix noms au sien, mais sans aucun mérite comme sans aucun fruit. De même, dans le droit ecclésiastique, pouvez-vous citer d'Héricourt? il sera rare que vous ne puissiez pas citer tous les auteurs qui, depuis lui, ont traité les mêmes matières.

Par une suite du choix que je vous conseille, ne manquez pas, si la question que vous avez à traiter s'élève dans une province qui ait ses usages ou sa jurisprudence particulière, de consulter les auteurs propres à cette province; leur avis est alors souvent plus qu'une simple opinion: ils attestent comme témoins, le fait de l'usage que vous avez intérêt d'établir.

Je diminue, comme vous voyez, mon cher confrère, le nombre des citations: je rejette toutes celles qui sont vagues et superflues. Il me semble observer deux causes de cette multitude de citations dont on surcharge quelquefois un écrit. On se propose d'approfondir une question; on fait des recherches: il n'est

pas un auteur que l'on soupçonne d'avoir traité la question, que l'on n'ait ouvert et feuilleté; et peutêtre, après ce travail si pénible, ne trouve-t-on qu'un ou deux auteurs qui ayent parlé de la manière qu'on le desirait. Le fruit de tant de peines va donc s'évanouir; on n'aura pas même la satisfaction de montrer qu'on a fait beaucoup de recherches. On cite donc, et on cite des textes fort peu concluants, seulement pour faire voir qu'on les a connus.

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D'autres fois on se forme un systême ; on veut établir sur un point de droit une sorte de tradition universelle, tantôt pour la durée des temps, tantôt pour la généralité des lieux dans lesquels on la suppose répandue. On ramasse des auteurs de tout siècle, de tout pays; on les force de déposer en faveur du sentiment que l'on a embrassé souvent ils ne le font que malgré eux; et, lorsqu'on les examine, on s'en aperçoit assez à l'air de contrainte que porte leur témoignage. L'auteur est satisfait il voulait citer, et il y est parvenu. Mais a-t-il prouvé ce qu'il avait mis en thèse? nullement. Son travail est donc perdu, ou plutôt un adversaire adroit en tirera avantage. Il observera avec raison, que si tant de doctes recherches n'ont pu produire ces témoignages décisifs que l'on avait trop légèrement annoncés, c'est une preuve de la fausseté de l'opinion qu'on n'osait mettre en avant qu'avec la promesse de nombreux suffrages en sa faveur.

S'il est quelque circonstance où l'on puisse tolérer des citations un peu plus fréquentes, c'est dans une consultation. Celui qui vous consulte annonce nécessairement des doutes, puisqu'il demande avis; votre manière de penser doit le rassurer: mais si vous êtes

en état de lui faire voir que le sentiment que vous embrassez ne Vous est point particulier; que c'est également la manière de penser de tel et tel excellent jurisconsulte, il est sensible que la personne qui s'est adressée à vous prendra plus de confiance dans votre décision. D'ailleurs, ce ne sont pas seulement les auteurs favorables à celui qui consulte qu'il faut nommer, il faut indiquer aussi ceux qu'on lui opposera, afin qu'il se décide en pleine connaissance de cause sur le parti qu'il voudra choisir, et qu'il ne soit point surpris lorsque, dans le cours de l'instruction, on lui fera des objections qui n'auraient point été prévues.

Continuez donc, mon cher confrère, à étudier les jurisconsultes; lisez leurs ouvrages, pour vous pénétrer de la science des lois, et non pour faire parade d'une vaine érudition. C'est dans l'ensemble des raisonnemens, et dans le plan entier de vos ouvrages, qu'on doit reconnaître que vous avez médité les livres du droit, et non dans des citations qu'il est facile d'accumuler, souvent avec plus de patience que de

savoir.

J'ai l'honneur d'être, monsieur et cher confrère, etc.

SEPTIEME LETTRE.

Sur l'Étude des principes de l'Économie sociale, et des bases, tant de l'Administration intérieure, que des Relations extérieures.

JE

E ne me serais pas flatté, monsieur, lorsque j'écrivais, il y a déjà longues années, à M. votre père sur l'ordre

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