Page images
PDF
EPUB

pas. Le plus grand bien des personnes confiées à son administration, est le terme vers lequel il dirige toutes ses voies.

L'administration et les relations extérieures ont, comme les autres sciences que l'on réduit en action, leur pratique et leurs formules. C'est une partie néces saire à connaître, mais facile à saisir, lorsqu'on s'est déjà pénétré des principes de la science. Pour se former à la pratique de l'administration, on lira les mémoires des administrateurs qui se sont acquis une juste réputation; pour les relations extérieures, on lira les actes des négociations fameuses, avec l'attention de ne pas confondre les temps, et de ne pas prétendre adapter aux négociations à faire dans le dix-neuvième siècle, les formes de négociations conclues dans le dix-septième. On lira aussi ce qui regarde l'état, les droits et les obligations des agents publics. Je m'arrête peu à ces objets, parce que ces lectures méritent à peine le nom d'études, quand on est déjà imbu des principes de la science et de l'administration.

Je me propose au reste, d'étendre dans le catalogue que j'ai fait autrefois des livres de droit pour vous aider dans vos études, l'article qui concerne le droit public; ou plutôt de refaire absolument cet article pour suppléer à la brièveté des réflexions que j'écris îci. Je vous indiquerai les meilleurs livres qui sont parvenus à ma connaissance, et qui me paraissent propres, soit à l'administration intérieure, soit aux relations extérieures.

J'ai l'honneur de vous saluer,

Du 30 floréal an XI.

FIN DES LETtres de M. CAMUS.

mim

HUITIÈME LETTRE.

De la Défense des Accusés.

UN N jeune Avocat n'a pas seulement à défendre les intérêts pécuniaires de ses clients dans les procès purement civils; il doit aussi se préparer à défendre la liberté, l'honneur, la vie des accusés en matière criminelle.

Cette tâche difficile peut lui être imposée ou par le choix des parties elles-mêmes qui réclameront son ministère, ou par celui de la justice qui le désignera d'office pour remplir cette noble fonction.

Il doit donc se mettre de bonne heure au fait de l'instruction criminelle et des lois pénales.

Cette étude n'est pas moins importante que celle du droit civil; on pourrait même dire qu'elle l'est davantage, à ne considérer que la gravité des intérêts et la sévérité des conséquences.

Mais autant la conscience de l'Avocat doit être effrayée de l'importance des devoirs que lui impose la défense des accusés en matière criminelle, autant sa raison doit l'armer de courage pour les remplir dans toute leur étendue.

[ocr errors]

Il doit, avant tout, se bien pénétrer de cette idée la défense des accusés sans cesser d'être respecque tueuse, doit être essentiellement libre; que tout ce qui la gêne, empêche qu'elle ne soit complète, et par là même compromet le sort de son client.

Souvent dans le cours d'un débat, il s'élève une

sorte de lutte entre l'Avocat et les magistrats qui soutiennent ou dirigent l'accusation: celui-là, revendiquant le droit de parler; ceux-ci lui imposant l'obligation de se taire, ou de ne parler que comme il leur plaît. L'autorité est toujours d'un côté; mais la raison peut quelquefois être de l'autre. Qui cependant tiendra la balance, entre l'Avocat qui réclame, et le juge qui décide? Il est à cet égard des principes qui règlent la conduite du magistrat et celle du défenseur.

J'avais entrepris il y a déjà plusieurs années de rassembler quelques idées sur ce sujet important, dans un écrit auquel j'ai donné pour titre De la libre défense des accusés (1).

En le composant, j'avais principalement pour objet de réfuter l'erreur de certaines gens qui avaient eu l'imprudence d'avancer « que des Avocats ne pouvaient pas défendre les accusés de crimes d'Etat, sans se « rendre, pour ainsi-dire, leur complice. »

La réfutation fut assez bien accueillie du public qui, en effet, avait plus à perdre qu'à gagner à une doctrine qui tendait à intimider ses défenseurs. C'est ce meme écrit que je vous adresse aujourd'hui.

DE LA LIBRe défense des ACCUSÉS.

ON nous représente la Justice comme une Divinité tutélaire, dont le temple, toujours ouvert et de facile accès, offre en tout temps, un réfuge assuré au pauvre contre le riche, au faible contre le fort, à l'opprimé contre l'oppresseur.

(1) Brochure in-8°. de 38 pages, Paris, octobre 1815. Chez ArthusBertrand.

[ocr errors]

Les magistrats sont les ministres de ce Temple. Notre imagination se les figure avec complaisance revêtus d'une espèce de Sacerdoce, tant est pieuse l'idée que nous nous faisons de la sainteté de leurs fonctions.

Prêtres de la Justice, ils veillent à l'accomplissement de ses lois; ils attirent les hommes vers son culte, par le respect dont ils font profession pour Elle ; ils marchent dans ses voies avec une constance inébranlable; rien ne peut se comparer à la régularité qu'ils apportent dans l'observation de ses rites et de ses solennités.

Toutes ces fictions reposent sur un fonds vrai. De même qu'on ne pourrait, sans détruire la Religion dans l'esprit des Peuples, l'isoler de la pompe extérieure et des augustes cérémonies qui rehaussent son culte à leurs yeux: de même aussi, l'on ne pourrait pas, blesser la Justice, la séparer des formes qui lui sont propres et sans lesquelles l'Opinion publique ne la conçoit plus.

[ocr errors]

sans

Ces formes qui, dans les matières civiles ordinaires, sont simplement conservatrices, deviennent sacramentelles en matière criminelle, lorsqu'il s'agit, non plus seulement de la fortune, mais de l'honneur, mais de la vie des citoyens.

elle

Il est surtout une règle dont on ne peut s'écarter, sans fouler aux pieds toutes les lois de la Justice, consiste à entendre avant que de juger (1).

Il est de principe, en effet, que Personne ne peut étre condamné, qu'au préalable il n'ait été entendu (2).

(1) Reum enim non audiri, latrocinium est, non judicium. AMMIEN MARCELLIN.

(2) Voilà pourquoi tous les jugemens commencent par ces mots : Parties ouïes, ou autres équivalents.

[ocr errors]

De ce principe naît pour le Juge l'obligation d'interroger l'accusé, et de lui laisser toute la latitude désirable, pour qu'il puisse se défendre tant verbalement que par écrit.

Car il est encore une maxime, devenue triviale à force d'être répandue; savoir que la Défense est de droit naturel.

C'est la loi des animaux vivants sous le terrible empire de la Force; c'est la loi des hommes réunis en société ; ce serait la loi des Dieux immortels, si l'on pouvait en concevoir plus d'un seul.

Cette loi est vraie dans l'ordre physique vim vi repellere licet, il est permis de repousser la force par la force. Le meurtre lui-même cesse d'être un crime dans la personne de celui qui ne l'a commis qu'à son corps défendant (1).

Elle est vraie dans l'ordre moral; et celui qui gémit sous le poids d'une accusation, a le droit de parer le coup qui le menace, en se défendant par les moyens que son intelligence lui suggère ; c'est-à-dire, par le raisonnement et par la parole qui ne nous ont été donnés par la bonté divine, que pour apprendre, enseigner, discuter, communiquer entre nous, serrer les nœuds de la société civile, et faire régner la Justice parmi les hommes (2).

res

(1) « Il n'y a ni crime, ni délit, lorsque l'homicide, les blessures a et les coups étaient commandés par la nécessité actuelle de la lé a gitime défense de soi-même ou d'autrui ». Code d'instruction eriminelle, art. 328.

(2) Societatis humanæ vinculum est ratio et oratio; quæ docendo, discendo, communicando, disceptando, judicando, conciliat inter se homines, conjungitque naturali quàdam societate. Neque ullâ r● Longius absuraus à naturâ ferarum. Cic. de Officiis, lib. 1, cap. 16.

« PreviousContinue »