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DIXIÈME LETTRE.

Des Conférences.

E ne puis, Monsieur, vous proposer rien de plus intéressant sur l'utilité des Conférences, que ce qui se trouve dans un Discours de rentrée, prononcé en 1786, par un Avocat alors fort jeune, mais qui, dės cette époque, rendait ses productions remarquables par ce même goût qui n'a cessé de le distinguer dans tout le cours de sa brillante carrière.

«

.... C'est, disait-il, pour prévenir les inconvéniens sans nombre de ces études solitaires qu'ont été inventées les Conférences. Cette heureuse méthode, pour laquelle plusieurs esprits mettent en commun leurs travaux et leur science, fait évanouir presque toutes les difficultés. Par elle chaque associé revient de chaque assemblée riche des réflexions et des connaissances de tous les autres qu'il a de même enrichis des siennes. Cet heureux échange tourne au profit de tous; car il n'en des trésors de la science comme de ceux de la forest pas tune; on les donne sans s'appauvrir, on les partage sans les diminuer. A la faveur de ces associations studieuses, tout prend une face plus riante ; on a moins de fatigues et plus de plaisirs. Ce travail a un but fixe, un objet déterminé. L'émulation vient animer de son puissant aiguillon des efforts qui sans elle sont toujours tièdes et languissants.

<< Mais si ce concours utile devait avoir pour témoins

des hommes distingués par une science profonde et une longue expérience, qui voulussent bien se déclarer les protecteurs et les amis de la jeunesse ; si à leur tete se trouvait le chef même de l'ordre, qu'auraient rendu digne de ce titre un talent distingué autant que modeste, et des connaissances étendues, relevées par la plus aimable aménité de mœurs; alors que ne devraiton pas attendre d'une jeunesse ardente qui sentirait le prix de ses juges, et tàcherait de s'en rendre digne ? Pardon, Messieurs, si je m'oublie jusqu'à louer en leur présence des hommes bien au-dessus de mes louanges. J'y ai été entraîné par mon sujet, et c'est moins un tribut d'éloges qu'un tribut de reconnaissance que je viens leur offrir au nom de la brillante jeunesse qui m'entend, et dont je désirerais être un plus digne organe, mais dont je suis du moins à coup sûr en cet instant un fidèle interprète.

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Qu'il me soit permis encore, puisque je parle ici des Conférences, de dire un mot de celles auxquelles on donne l'apparence même d'un tribunal, ou sous des noms supposés et à l'aide d'une cause feinte, deux jeunes défenseurs viennent, dans les formes même de l'audience et avec le ton qui lui convient, s'exercer à la partie la plus importante de l'éloquence, l'action. C'est là qu'on perd cette timidité qui altère souvent les meilleures choses et étouffe les plus beaux mouvemens; cette gêne et cette contrainte ennemies nées du naturel et des graces; là, des critiques familières et réciproques indiquent à chacun la partie faible de son talent ou les défauts qui l'obscurcissent, et lui épargnent ces leçons données par un public mécontent; leçons terribles qui ne se manifestent que par des revers et ne corrigent que par des chûtes; c'est là qu'on oublie

les fictions dont on est environné, pour se livrer avec ardeur à un exercice après lequel on aspire: c'est là enfin que chacun peut traiter à son gré les plus grandes causes ou les plus petites ; des questions de droit ou de fait ou de procédure; s'exercer dans tous les genres ; prendre tous les tons; s'instruire à adapter à chaque sujet des mots et des discours convenables; prendre une expérience anticipée des mouvemens de l'audience et souvent apprendre quel est le genre de son talent.

« Je sais qu'il est facile de jeter du ridicule sur ces exercices; mais je sais encore mieux qu'il faut chasser cette mauvaise honte qu'on peut avoir de s'échauffer ainsi pour des fictions, et de se livrer à des imitations. que quelques-uns regardent comme des puérilités ; je sais encore mieux que c'est après s'être livré à de pareilles imitations qu'on apporte la première fois qu'on paraît au barreau, une liberté dans l'action, un ton, une aisance qui étonnent. Les inflexions, la voix que demande la plaidoirie; la chaleur qu'elle exige; les tournures qui lui sont familières; les gestes qui doivent l'accompagner; le ton assuré qui seul fait impression; la variation d'accents qui prévient la monotonie; la facilité d'une discussion d'abondance; la vigueur et la présence d'esprit nécessaire pour la réplique; toutes ces qualités de l'orateur, indépendantes de sa science et sans lesquelles sa science ne lui sert à rien, comment les acquérir si ce n'est à l'aide de ces fictions prétendues puériles? Gardez-vous donc,

vous qui voudrez atteindre de bonne heure à la perfection de l'art oratoire, gardėz-vous de rongir de vos heureuses imitations et de vos utiles essais ! C'est en élevant la voix seul sur les bords de la mer, c'est en récitant ses discours aux vagues écumantes

que le prince des orateurs grecs s'instruisit à allumer dans le cœur des Athéniens l'enthousiame de la liberté, et à faire trembler, du haut de la tribune aux harangues, le redoutable Macédonien ».

.....(Extrait d'un Discours prononcé à la bibliothèque des Avocats, pour la rentrée de St. Martin 1786, par AI. BONNET, Avocat.)

ONZIÈME LETTRE.

DE L'ADMISSION AU TABLEAU:

Extrait d'un écrit ayant pour titre : Réflexions d'un Militaire sur la Profession d Avocat. Brochure in-8", imprimée à Londres 1781. (Paris.)

.....LE public est toujours étonné quand il apprend qu'un Procureur est devenu Avocat; il ne comprend pas qu'un homme qui souvent ignore les premiers éléments de sa langue, qui depuis sa jeunesse ne s'est appliqué qu'à des actes de forme, et à des requêtes dans lesquelles il est défendu de traiter les questions de droit, soit admis dans une profession qui exige la connaissance des lois, des règles de l'eloquence, de l'histoire, du droit public, etc. Je ne dis pas qu'il n'y ait parmi les Procureurs des sujets éclairés, et qui auraient pu briller dans la profession d'Avocat, s'ils l'avaient embrassée : j'en connais qui ont le goût de la bonne littérature, qui méritent l'estime générale f

Tome I.

mais il n'y en a point qui aient étudié les lois avec cette étendue nécessaire à l'Avocat.

Ce n'est donc point à titre de mépris qu'il faut les refuser, mais parce qu'ils sont inadmissibles dans une profession qui demande des sujets toujours occupés de s'en rendre dignes et capables.

Il faut également en écarter tous les Secrétaires ; je n'en excepterais que celui de la Chancellerie et du Sceau: il ne perd point l'honneur de la confraternité ; il reste au Tableau dans lequel il est choisi pour remplir cette place importante et distinguée. Ceux du Parquet, qui, dans leur jeunesse, se seraient destinés au Barreau, qui ne l'auraient quitté que par des circonstances connues, qui se seraient comportés avec honneur et désintéressement dans leur nouveau poste, sont faits pour y rentrer, quand ils quitteront volon tairement leur emploi du Parquet : mais j'éloignerais tous ceux que Frédéric nomme sang-sues et des reptiles dangereux (1); ils sont accoutumés à de trop grands profits pour se contenter de modiques honoraires : insatiables dans l'opulence, que seraient-ils dans la médiocrité attachée à une profession qui se distingue par son désintéressement et sa délicatesse ?

Si j'avais l'honneur d'être sur le Tableau, j'en écarterais, avec le même soin, tous les employés ; leurs travaux ont été trop étrangers à ceux de la profession, et les qualités qui les distinguent dans leurs emplois ne sont pas celles qui caractérisent l'Avocat. J'éloignerais surtout ces pères de famille, qui, dénués de ressources, se présentent au Barreau sous la considération qu'ils out

(1) Heineccius les appelle des Vautours en toge: Vultures togati

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