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Il n'est pas possible de prendre du goût pour l'élola littérature. Elle est utile quence sans en avoir pour pour perfectionner l'éloquence, elle orne le discours, elle y apporte des richesses et des graces; mais ce n'est pas le seul point de vue sous lequel je la considère. La littérature est utile même au jurisconsulte qui ne se destine point à parler en public; elle adoucit l'apreté des autres études. Les traités de la plupart des auteurs de droit, écrits d'un style dur et pesant, donnent une manière de composer désagréable et ennuyeuse; l'aménité, la politesse se perdent, lorsque l'on demeure constamment enfoncé dans des matières abstraites et sérieuses la littérature corrige ces défauts; elle forme le style, entretient ses agrémens, et répand de la douceur et de l'urbanité dans les paroles comme dans le caractère. Enfin, pas un délassement nécessaire pour celui qui s'est fatigué à suivre les querelles et les petites discussions qui agitent les hommes, de les voir quelquefois moins tristes, moins facheux, et tels qu'ils ont été dépeints par des génies aimables? Ce délassement est à l'esprit, ce que la campagne est au corps, lorsqu'aux approches de l'automne nous fuyons le sombre séjour des villes.

n'est-ce

L'étude des lettres a d'autres avantages encore. Des événemens imprévus peuvent rendre tout-à-coup inutiles de longues et sérieuses études. Il n'est pas sans exemple que dans des momens de trouble, les lois soient réduites au silence, et que la science du droit devienne presque inutile. Les lettres sont de fidèles compagnes qui n'abandonnent point alors celui qui leur a consacré autrefois quelques-unes de ses veilles ; elles lui fournissent plus d'un moyen de consolation;

elles charment au moins ses ennuis. Nos prédécesseurs connaissaient bien ces avantages précieux de la littérature. Les lettres n'étaient nullement étrangères aux Pasquier, aux Chopin, et aux autres Avocats célèbres de ce temps; les langues savantes leur étaient familières; et si on leur a reproché avec justice d'avoir quelquefois prodigué leur érudition sans assez d'économie, il faut aussi éviter l'extrémité opposée. L'abus de l'érudition doit cesser par un effet du goût, et non par l'effet de l'ignorance.

Cicéron exigeait de l'orateur qu'il fût instruit de tout ce qu'il peut y avoir d'important; qu'il connût même les arts. Il voulait qu'il se procurât ainsi l'abondance et la fécondité qui lui sont si essentielles, et qu'en même-temps il se mit en état de défendre toutes sortes de causes, même celles où le point de difficulté · peut dépendre des principes de différentes sciences (1). Mais Cicéron ne parlait que de l'orateur; et combien l'étendue de connaissances qu'il lui croyait nécessaire, l'est-elle davantage à l'Avocat que nous voulons former; à l'orateur jurisconsulte, auquel on s'adressera pour être éclairé sur tous les objets qui divisent les hommes ? Aucun genre d'étude et de science ne doit lui être étranger; il faut qu'il ait ce que Cicéron appelle omnium rerum magnarum atque artium scientiam. Les affaires qui se présentent font sentir l'utilité de ces connaissances. Je ne demande pas qu'on soit instruit des détails relatifs aux arts; mais il faut savoir en général comment les arts sont utiles à la société, et

(1) Sæpè in iis causis, quas omnes proprias esse oratorum confitentur, est aliquid, quod non ex usu forensi, sed ex obscuriore aliqua scientia sit, promendum, et assumendum. (De Oratore, l. 1, n, 14. )

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la manière dont ils procèdent. Prenons pour exemple le commerce. Il n'est pas question de s'instruire journellement du prix du change sur les différentes places, de la rareté ou de l'abondance actuelle de telles et telles marchandises; si ces détails sont nécessaires, on les apprendra de la bouche du négociant: mais quelle idée ce négociant concevra-t-il de l'Avocat auquel il viendra s'adresser, si celui-ci ne sait pas même ce que c'est qu'une lettre de change, qu'un ordre, qu'un aval, que l'escompte; s'il ne met aucune différence entre le commerce dans l'intérieur du royaume et le commerce avec l'étranger, entre le commerce de terre et le commerce de mer; s'il ignore ce que c'est qu'un contrat à la grosse, comment on fait assurer un chargement, ce qu'on entend par une charte-partie, un connaissement, etc.? Il pensera qu'un homme novice sur tous ces points, n'a pas même lu l'ordonnance du commerce, et il confiera ses intérêts à quelqu'un plus instruit. Il en est de même des autres sciences pratiques, dont les objets peuvent donner lieu à des contestations; il faut que l'Avocat soit en état d'entendre le client, qui vient lui exposer le sujet de ses demandes.

Un autre genre d'étude indispensable à l'Avocat, c'est l'étude de l'histoire, au moins dans la partie qui se rapporte à la législation. Les lois humaines ne sont pas des décisions abstraites, de morale et d'équité, qui déterminent théoriquement ce qui est juste et injuste. Toutes leurs dispositions sont pratiques, et la plupart ont été écrites telles que nous les lisons, eu égard à certaines circonstances dont il faut s'instruire, si l'on veut saisir le sens de la loi. L'étude est même d'autant plus nécessaire sur ce point, qu'il n'est pas

question de principes que le bon sens découvre seul, ou de conséquences auxquelles un raisonnement exact puisse conduire; il s'agit de faits qu'on ne saurait apprendre qu'en feuilletant les écrits dans lesquels ils se trouvent consignés. Dumoulin, qui vit le goût des bonnes études se renouveler, insiste fortement, dans ' la préface de son Traité des fiefs, sur l'utilité de l'histoire. Comment entendre les lois romaines, si l'on ne connaît pas le gouvernement des Romains et les révolutions qu'il a éprouvées ? les lois françaises, si l'on ne connait pas ce que les Français ont été dans les divers âges?

Peut-être êtes-vous surpris, monsieur, que je n'aye parlé jusqu'ici que d'éloquence, de littérature, de connaissances générales et d'histoire, sans avoir encore dit un mot de l'étude du droit. Ne croyez cependant pas ou que j'aye oublié que la science du droit est l'étude capitale de l'Avocat, ou que je veuille faire de l'Avocat que je desire former, un savant universel; ce serait une chimère. J'ai commencé par indiquer toutes les connaissances que je crois nécessaires ou utiles à un Avocat, et deux raisons m'y ont déterminé. L'une, est que ce n'est point un espace de temps fixe que le jeune Avocat doit y donner; cette étude lui servira, ou d'occupation dans les momens dont il pourra disposer, ou de délassement pendant tout le cours de sa vie. La seconde raison est que, le jeune Avocat ayant un plus grand nombre d'intervalles libres, c'est dans ces premières années surtout qu'il amassera des connaissances accessoires à celles du droit.

Je devrais maintenant m'occuper, monsieur, de tracer à M. votre fils un plan d'étude du droit; mais c'est une matière trop importante pour ne pas exiger

un peu plus de réflexions de ma part, et une discussion particulière. Le droit peut se distribuer en plusieurs parties: droit naturel et public, droit romain, droit français, droit étranger, droit ecclésiasti que, etc., etc. Je ferai des deux premières parties de cette distinction le sujet d'une lettre ; du droit français, le sujet d'une seconde ; et je parlerai dans une troisième du droit ecclésiastique et du droit étranger. Voyons seulement ici de quelle manière nous ordonnerons les études de notre jeune Avocat.

Je suppose M. votre fils parvenu à la fin de son cours de philosophie: une première question est de savoir s'il se donnera, dès ce moment, à l'étude du droit, ou si vous commencerez par l'envoyer chez un procureur, pour y apprendre comment les procès s'ins truisent, quelle est la forme de l'attaque et de la défense.

La connaissance de ce qu'on appelle la Pratique est, indispensable à un Avocat. La sanction des lois prononce, en plusieurs cas, la nullité de ce qui est contraire à leur disposition, et c'est pourquoi il arrive quelquefois, comme on le dit, que la forme l'emporte sur le fonds. Ignorer la forme, ce serait donc courir le risque de laisser ses clients tomber dans des fautes irréparables, ou se réduire à l'impossibilité de les défendre, s'ils sont attaqués par des moyens de forme. Il semblerait qu'on dût connaître la procédure et ses règles, en méditant les ordonnances qui les ont fixées, en y joignant la lecture d'un de ces receuils imprimés que l'on appelle des Styles, dans lesquels on trouve des modèles de différens actes de procédure. Cette voie, néanmoins n'est pas tout-à-fait suffisante, soit parce que tous les cas particuliers n'ont pas pu être prévuş,

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