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soit parce que certains articles ont été interprétés et d'autres abrogés par l'usage. La vraie manière de connaître parfaitement la procédure, est de fréquenter les études des procureurs, où elle se fait.

Il est impossible, d'un autre côté, monsieur, de vous dissimuler le danger qu'entraîne la société de quelques-uns des jeunes gens avec lesquels on contracte des liaisons dans ces études, et qui étant la plupart éloignés de leur patrie, n'ont souvent à répondre de leur conduite qu'à eux-mêmes. Je n'ai pas besoin de vous développer cette réflexion, pesez-là mûrement ; et si elle vous fait une trop forte impression, il ne sera pas impossible de trouver des moyens qui pourront suppléer, en partie, à ce que M. votre fils apprendrait dans l'étude d'un procureur.

Supposé que vous ayiez parmi les procureurs un ami sûr, il faut lui envoyer M. votre fils, aussitôt après sa philosophie. Vous trouverez peut-être surprenant que je vous propose de mettre un jeune homme au milieu des procès, avant de connaître un seul principe de droit; mais, outre que cet inconvénient n'est pas aussi réel qu'il semble d'abord, voici les raisons qui m'empêchent de m'y arrêter. Si un jeune homme qui doit entrer chez le procureur, n'y va pas aussitôt après la fin de ses études, on lui fera donc commencer d'abord son cours de droit ; qu'on l'interrompe ensuite pour l'envoyer chez un procureur, il oubliera une partie de ce qu'il aura appris : d'ailleurs, s'il s'est une fois livré à l'étude des questions de droit, il aura de la peine à s'appliquer à la procédure, dans un temps où, n'en concevant pas encore l'importance, il n'en sentira que la sécheresse. Lui ferat-on étudier le droit, tandis qu'il est chez le procureur?

c'est l'exposer à n'apprendre ni le droit ni la pratique. L'étude de la procédure ne lui laissera pas assez de loisir pour suivre celle du droit ; et l'étude du droit sera un prétexte pour se débarrasser, toutes les fois qu'il le voudra, d'un travail ordinairement fastidieux. L'étude de la procédure a des dégoûts, qu'il faut être contraint de dévorer.

Mon idée n'est pas, au reste, qu'on envoye un jeune homme chez un procureur sans rien savoir qui le prépare à ce qu'il doit y apprendre. Il faut lui mettre entre les mains l'Ordonnance de 1667, avec le commentaire de M. Jousse, et le Dictionnaire de droit et de pratique de Ferrières. L'Ordonnance de 1667 est la loi de la procédure; et à la tête du commentaire de M. Jousse, on trouve une introduction, qui donne des idées générales, mais nettes et précises, sur la nécessité des différentes parties de la procédure. A l'égard du Dictionnaire de droit et de pratique, on doit, dans ces commencemens, l'avoir en quelque façon perpétuellement ouvert, pour y chercher la définition des termes dont on ne connaît point encore la valeur. On peut lire ensuite le Traité des obligations, de M. Pothier, et l'Institution au droit français, par Argou. Ces deux ouvrages fournissent d'excellens principes de droit, et autant qu'il en faut dans ces commencemens; le surplus du temps sera absolument employé à travailler à la procédure. Avec de la bonne volonté et de l'assiduité, deux ans passés chez le procureur apprendront tout ce qu'on doit savoir de procédure.

Dans le cas où vous ne placeriez pas M. votre fils chez un procureur, ce n'est plus par l'étude de la procédure que je suis d'avis qu'il commence, mais

par l'étude du droit. C'est en partie par l'assiduité aux audiences, qu'il s'instruira de la procédure. Or, à l'audience, les questions de procédure sont souvent mélées avec les questions de droit ainsi ce serait perdre son temps que de suivre les audiences avant de rien entendre aux matières de droit.

Lorsque M. votre fils sera arrivé au moment de commencer l'étude du droit, soit après avoir été chez le procureur, soit, dans le cas où il ne prendrait pas ce parti, après avoir terminé son cours de philosophie, le premier livre qu'il doit lire, est le Traité des devoirs de Cicéron. Ce conseil est celui que M. Foureroi, célèbre avocat, donna à M. Bretonnier, dans le temps où celui ci commençait à s'attacher au barreau. (Préface des Questions de droit, par Bretonnier.)

Pline l'ancien dit quelque part, en parlant des offices de Cicéron, que c'est un ouvrage qu'il ne suffit pas d'avoir tous les jours dans la main, mais qu'il faut apprendre par cœur : Quæ volumina ediscenda, non modò in manibus habenda quotidie. M. votre fils sait où il doit puiser les maximes d'une morale incomparablement plus parfaite et plus sublime que celle de Cicéron; mais ce qui lui est nécessaire dans ce moment, c'est une morale développée par le raisonnement, qui lui rappelle ces principes du juste et de l'injuste, que la nature a gravés dans le cœur des hommes, et qui lui fasse voir comment ces principes généraux, s'appliquant aux cas particuliers, décident que telle action est juste ou injuste. Le Traité des devoirs sera pour lui une institution au droit naturel,

Cicéron a souvent profité, dans ses ouvrages philosophiques, des écrits de Platon: M. votre fils ne seraitil pas en état de lire quelques-uns de ses dialogues

dans leur langue originale, surtout ses dialogues sur le Juste ? Ces derniers sont les mêmes que l'on défigure assez mal-à-propos sous le titre de la République, tandis que Platon n'y parle de république que comme d'un terme de comparaison, et que son objet principal, réel, unique même, est de former et de régler le cœur de l'homme. Avec quelle urbanité, quelle douceur, quelle grace, quels charmes, Platon fait parler Socrate! Que n'est-il possible de présenter toujours aux jeunes gens la sagesse sous un extérieur aussi aimable? Elle les séduirait,

Le plan de l'étude du droit n'est pas absolument libre; il est déterminé en partie par des circonstances auxquelles il faut avoir égard. 1°. On est obligé de prendre des degrés dans la faculté de droit avant d'être reçu Avocat, et de soutenir différens actes académiques, dans lesquels il est question non-seulement du droit romain, mais aussi du droit canonique et du droit français. 2o. Un jeune Avocat ne peut être inscrit sur le Tableau, qu'après avoir fréquenté les audiences: son propre intérêt doit le rendre exact à remplir cette obligation; et il lui est impossible de profiter de cè qu'on dit aux audiences, s'il n'a quelques notions des matières qu'on y traite. 3°. Comme le temps des études est long, on ne doit pas négliger les occasions qui peuvent se présenter de plaider quelques causes; et il est incertain si les premières questions qu'on aura à traiter appartiendront au droit romain, ou au droit coutumier, ou au droit ecclésiastique.

D'après ces réflexions, je pense que la première année des études d'un Avocat doit être employée en entier à l'étude des institutions du droit romain, du droit français et du droit ecclésiastique

Les notions générales acquises sur ces trois espèces de droits faciliteront l'étude approfondie de celui auquel on se livrera dans les années qui suivront.

Pour le droit romain, on ne peut rien étudier de meilleur que les Institutes de Justinien; c'est le titre d'un livre élémentaire, composé par l'ordre de Justinien, sur le modèle de pareils ouvrages dressés par les anciens jurisconsultes, et en particulier sur les Institutions de Gaius. On étudiera assiduement les explications du professeur, et, de retour chez soi, on lira le commentaire de Vinnius. Les Institutions de M. Fleuri donneront les principes fondamentaux du droit canonique et de la discipline ecclésiastique celles de Lancelot mettront au fait des matières traitées dans le corps du droit. On peut se servir utilement de la traduction qui a été donnée par M. Durand de Maillane, et dans laquelle il a remarqué la différence qui se trouve sur plusieurs points importans, entre notre droit ecclésiastique, et le droit établi par les décrétales. Le premier volume de cette traduction est intéressant; il contient une notice des différentes parties qui composent le droit canonique, et des compilations de canons qui ont précédé ou suivi celles qui sont comprises dans le corps de droit. Enfin, à l'égard des principes du droit français, c'est dans l'Institution d'Argou, et dans les Regles du droit français de Pocquet de Livonnières, qu'on doit les puiser. Ces deux ouvrages renferment les principes les plus sûrs, exposés de la manière la plus précise.

Je considère les autres études accessoires à celle du droit, comme un délassement : ainsi le repos dont l'esprit a besoin, après s'être livré à des méditations profondes et abstraites, fournit de lui-même une place

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