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ont fait de luy dans leurs escrits, tesmoignent assez ce qu'il estoit et la douleur qui me perce le cœur, me contraint de m'en taire, et me fait perdre la parole.

Me permettrez vous donc, dis-ie, de la reprendre, et pour closture de cette iournée, de vous faire ouuerture d'vne obseruation que i'ay faite sur ce grand nombre d'Aduocats que vous nous auez r'apportez. M'ayant fait signe qu'il le desiroit, et la Compagnie pareillement, ie leur dis que l'auois remarqué par ces discours, que les plus excellens Aduocats de la Cour auoient tousiours esté Parisiens : et encores que Messieurs Riant, Terrieres, Aubery, Mangot le Pere, Marillac, de S. Mesloir, de Faur, Bechet, la Rue, Brisson, Chandon, Bautru, et autres fussent des premiers de leur temps; toutes-fois ie voyois que Messieurs Seguier, de Thou, Bouguier, du Moulin, du Mesnil, Bourdin, Canaye, Versoris, de Montelon, Robert, le Maistre, Faye, Mangot Aduocat du Roy, Escorcheuel, Hotman, du Val, et plusieurs autres Parisiens, estans mis en

d'homme éloquent, il ne se peut nier: car il y auoit donné du temps et de l'estude. Cela se monstroit assez en ses actions plus elabourées; és communes mesmes son langage estoit orné, et s'y voyoit vn ordre, et vne suitte d'vn homme qui parle auec art. Mais aussi j iy auoit-il plusieurs choses qui le reculoient bien loin à mon aduis, de la perfection. L'vne, qu'il aymoit mieux paroistre sçauant qu'eloquent : et pour ce ne se doit il pas plaindre, s'il a rencontré ce qu'il cherchoit. Ses discours estoient si remplis de passages, d'allegations et d'authoritez, qu'à peine pouuoit-on bien prendre le fil de son oraison. Car vous sçauez combien cela l'interrompt. Dauantage il affectoit de dire tout ce qui se pouuoit sur un sujet de sorte que l'abondance l'empeschoit, et la multitude ostoit à ce qu'il auoit de beau, sa grace et venusté. Beaucoup desiroient de luy en cela plus de ingement.

contrepois, feroient pancher la balance de leur costé, tant pour leur grand et eminent sçauoir, que principalement pour leur bon sens et iugement naturel, et pureté du langage François; au lieu qu'en la pluspart des autres, on reconnoissoit du Picard, de l'Auuergnac, du Lyonnois, et de leur jargon naturel et estranger.

l'eusse peust estre eu raison de vous adiouster au nombre de ces Parisiens, d'autant qu'ayant suruescu non seulement tous vos compaignons, mais aussi par maniere de dire vous mesme, lors que vous auez cessé de venir au Palais, et quitté les affaires plustost qu'elles ne vous eussent quitté, on vous pourroit quasi compter parmy ceux qui sont decedez. Mais puisque vous vous estes donné ce commandement de ne parler d'aucun viuant, ie suiuray vostre loy, et me déporteray d'en dire dauantage. Vn iour pourra venir auquel quelquesvns reprenans nos deuis, les commençans par vous comme par nostre Doyen, et continuans iusques à leur temps, nommeront ceux qui viuent à present, qui à mon aduis ne cedent en rien à leurs deuanciers, soit en sçauoir ou doctrine profonde de Droict et des bonnes Lettres, connaissance et intelligence des langues et de l'antiquité, soit en memoire, en fermeté de iugement et resolution, en inuentions, pureté de langage, eloquence, action, ou en quelque autre partie qu'on puisse requerir en l'Aduocat; ie prie Dieu aussi que ce soit en prud'hommie et fidélité.

Cependant vous deuez tous prendre courage de trauailler, et estimer que de quelque païs ou nation que l'on soit, il y a place pour tous au Barreau du moins pour auoir part à ce beau et fertile champ du Palais; et esperer de vous rendre capables d'estre va iour appellés aux plus hautes charges du Royaume,

y acquerir des commoditez et des biens de ce monde; pour en faire part a ceux qui en ont besoin, et principalement de l'honneur et du contentement, n'y ayant Prince, Seigneur, ny Personnage de si grande estoffe ou fortune, qui n'aist affaire du conseil et de l'assistance de l'Aduocat en ses plus importantes affaires, et non seulement pour la conseruation de ses biens temporels, mais aussi de son honneur, et quelsquefois de sa propre personne; vous exhortant sur tout a seruir de deffense aux innocents aux veufues, et aux orphelins, contre l'oppression des plus puissans, selon le commandement de Dieu. ENFIN VOUS DEUEZ VOUS EFFORCER DE CONSERUER A NOSTRE Ordre le rang et l'honneur QUE NOS ANCESTRES LUY ONT ACQUIS PAR LEURS MERITES ET PAR LEURS TRAUAUX, POUR LE RENDRE A VOS SUCCESSEURS.

Sur ce, nous estans tous leués, nous remerciasmes M. Pasquier, et nous prismes congé les vns des autres, et chacun s'en retourna assez tard en sa maison.

Fin du Dialogue des Aduocats:

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Idée générale de la Profession d'Avocat.

CICERON, le prince de l'Éloquence Romaine, et qui en a donné tout à la fois les règles et le modèle, défini l'Orateur, un homme de bien, habile dans l'art de bien dire, et qui emploie la parfaite éloquence pour défendre les causes publiques ou privées. (1)

La profession d'Avocat embrasse aujourd'hui nonseulement la même fonction qu'exerçaient à Rome les Orateurs; mais aussi celle des Jurisconsultes, dont l'emploi chez les Romains était séparé de celui des Orateurs. Les Avocats sont même en plusieurs occasions associés au ministère des Juges, de sorte que leur profession est beaucoup plus étendue que celle des Orateurs Romains.

On peut donc définir l'Avocat un homme de bien, versé dans la Jurisprudence, et dans l'art de bien

(1) Orator, vir bonus dicendi peritus, qui in causis publicis et privatis, plenâ et perfectâ utitur eloquentià. Cic. de claris Oratoribus: Tome I.

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dire, qui concourt à l'administration de la justice, soit en aidant de ses conseils ceux qui ont recours à lui, soit en défendant en jugement leurs intérêts de vive voix ou par écrit, soit en décidant lui-même leurs différends, lorsque la connaissance lui en est attribuée.

La première qualité de l'Avocat est d'être homme de bien; il doit faire profession de la plus exacte probité; l'honneur et la délicatesse des sentiments doivent être la règle de toutes ses démarches: autrement il ne peut espérer d'acquérir l'estime et la confiance des Magistrats et du public.

Il doit être versé dans la Jurisprudence, pour connaître ce qui est juste ou injuste, et n'employer son ministère qu'à soutenir ce qui est fondé sur le droit ou l'équité. Enfin, il doit joindre à ces qualités l'art de bien dire, pour mieux persuader les vérités qu'il soutient.

Pour exercer dignement cette profession, il est nécessaire de sentir la noblesse et l'importance de ses fonctions, et de bien connaître toute l'étendue de ses engagemens.

Les Avocats concourent d'une manière distinguée à l'administration de la justice, qui est un des premiers devoirs du Souverain envers ses peuples, et la partie du Gouvernement civil, la plus nécessaire pour le bon ordre et la tranquillité publique.

On peut dire des Avocats, qu'ils rendent les premiers oracles de la justice, puisque les contestations leur sont ordinairement déférées avant d'ètre portées dans les Tribunaux réglés. C'est à leurs lumières que l'on soumet les droits les plus sacrés, pour les abandonner ou les. soutenir selon leur sentiment; leurs Concitoyens, les Habitants des Provinces les plus éloignées, tout ce qu'il y a de plus grand dans les différents Ordres de l'état, les étrangers même viennent les con

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