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LIVRE PREMIER.

LA RÉVOLUTION.

CHAPITRE PREMIER.

LA LIBERTÉ DU TRAVAIL.

Louis XVI et les états généraux.

ses demandes. - Difficultés. tivité de l'Assemblée.

Importance du tiers état. Résumé de La séance et les décrets du 4 août. AcAbolition du régime féodal: liberté de la terre. Suppression des priviléges provinciaux, etc. Les quatre questions

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Loi du 2-17 mars 1791.

d'économie industrielle.
communautés d'arts et métiers. - Liberté de l'industrie.

de l'impôt des patentes.

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Suppression des inspecteurs et des règlements.

- Loi du 31 décembre 1791 sur les brevets d'invention. consultation des arts et métiers.

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Suppression des obstacles à la circula

La con

tion intérieure.. Le tarif de 1791: liberté du commerce. currence. Canaux. Uniformité des poids et mesures. L'œuvre de la Constituante se résume dans ces mots : liberté du travail.

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Le gouvernement de Louis XVI ne savait pas jusqu'à quel point le vieil édifice social se disloquait sous le poids des besoins et des idées du siècle; et il ne voyait qu'imparfaitement toutes les difficultés de la situation. Mais ce qu'il voyait et sentait très-bien, c'était l'embarras du trésor. Chaque année creusait le gouffre du déficit; les ministres réformateurs et les ministres satisfaits du présent avaient successivement échoué, les uns renversés par l'opposition des inté

rêts menacés, les autres convaincus par l'aveu public de leur propre impuissance; les privilégiés avaient été appelés à leur tour et avaient refusé d'aider à dénouer le nœud gordien par le sacrifice de leurs immunités fiscales. Le mot d'états généraux fut prononcé. La nation applaudit avec enthousiasme et le roi accueillit volontiers, comme une ressource suprême, la pensée de recourir à cette institution, oubliée ou soigneusement écartée depuis un siècle et demi par la monarchie absolue. Le roi convoquait les états généraux afin de rétablir par leur autorité l'équilibre du budget et de mettre l'ordre dans les finances par une plus équitable répartition de l'impôt. La nation, préoccupée d'intérêts plus graves, de maux plus profonds, nomma ses députés avec la pensée de réformer non-seulement le système des contributions, mais la constitution de l'État, et de renverser l'absolutisme et les priviléges, pour élever sur les ruines du système féodal une société fondée sur la liberté des personnes et sur l'égalité des droits.

Les sentiments de la majorité et le courant de l'opinion ne pouvaient laisser aucun doute sur ce sujet. On ne songeait ni au bouleversement des fortunes ni au renversement de la royauté; mais on voulait une révolution sociale, accomplie pacifiquement par la puissance de la raison, et on la voulait avec toute la sincérité et toute l'ardeur d'un enthousiasme dont les rudes avertissements de l'expérience n'avaient pas encore comprimé les élans. Du jour où, la convocation ayant été décidée, la liberté fut donnée à la presse jusqu'au jour de la première séance, c'est-à-dire dans l'espace de quelques mois, il parut plus de dix-sept cents pamphlets politiques, dans un pays qui se repaissait auparavant de chansons et de petits vers. Le tiers état avait conscience de sa force et de son droit, et il eut la certitude de l'importance du rôle qu'il lui était donné de jouer, dès que le roi eut consenti à lui accorder un nombre de députés égal à celui des députés des deux autres ordres réunis. Siéyès dont les idées ont laissé leur empreinte profondément gravée dans notre organisation politique et administrative, eut le bonheur de saluer le premier l'avénement de cette nouvelle souverai

neté. « Qu'est-ce que le tiers état? demandait-il. Tout, Qu'at-il été jusqu'à présent dans l'ordre politique? Rien, Que demande-t-il? A devenir quelque chose1», et il s'appliquait à prouver que, sans avoir besoin du concours du clergé et de la noblesse, le tiers état suffisait à former « une nation complète. »

Les espérances de la bourgeoisie, en effet, s'étendaient jusque-là. Celle-ci avait, elle aussi, des priviléges et n'était pas entièrement exempte des sentiments étroits et égoïstes que leur défense suggère; mais c'était sur elle que retombait, ici ou là, tout le poids des charges publiques et des inégalités sociales; par conséquent, c'était elle qui, frappée de l'injustice qu'elle subissait, avait l'honneur de porter la parole au nom de l'égalité et l'avantage de joindre l'autorité de la raison à la force du nombre. Il ne manquait pas sans doute dans le clergé et dans la noblesse, d'esprits généreux qui s'élevassent à la hauteur de la révolution imminente. En général même, les deux ordres supérieurs étaient disposés à subir l'impôt comme les autres citoyens; dans plusieurs bailliages, ils allaient jusqu'au renoncement à leurs priviléges pécuniaires, nulle part, l'assemblée des clercs ou des nobles ne renonçait à ses distinctions honorifiques et ne poussait le désintéressement au point de croire que leur suppression fût profitable à l'Etat et de consentir à s'absorber par un suicide volontaire dans le grand corps de la nation. Le tiers état au contraire traçait nettement toutes les grandes lignes de la société nouvelle. Si l'esprit mesquin des corporations apparaissait parfois, si telle ville demandait le maintien des communautés d'arts et métiers, telle autre la prohibition de marchandises étrangères, ou la conservation de ses franchises privées, ces réclamations isolées se perdaient dans la foule et ne nuisaient pas sensiblement à l'harmonie de l'ensemble. Plus de lettres de cachet, plus de confiscations, garantie complète de la liberté individuelle, de la liberté du travail, de la liberté de la presse, inviolabilité de la propriété, suppression absolue du

1. Brochure publiée par Siéyès en 1789.

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régime féodal et rachat des droits qui en dérivaient, abrogation de tout privilége pécuniaire, égale répartition de l'impôt et vote des contributions par l'assemblée nationale, responsabilité des agents du pouvoir exécutif, tels étaient les vœux à peu près unanimes du tiers état et tel devait être l'esprit de la constitution que pour la première fois la France consultée allait se donner elle-même.

Pour arriver au but, le tiers état eut des combats nombreux à livrer, des orages terribles à essuyer. Il lui fallut près de deux mois avant d'amener le clergé et la noblesse à se joindre à lui et à former une Assemblée nationale. Il lui fallut vaincre la résistance de la royauté qui, mal conseillée dans cette conjoncture périlleuse, prétendit non-seulement interdire la réunion des ordres, mais prendre sous sa sauvegarde les dimes, cens, rentes, droits et devoirs féodaux et seigneuriaux, et généralement tous les droits et prérogatives utiles ou honorifiques attachés aux terres et aux fiefs, ou appartenant aux personnes1», c'est-à-dire empêcher la révolution. Il lui fallut répondre à l'impatience irréfléchie du peuple qui l'avait nommée et qui ne voyait ni tomber ses chaînes, ni cesser ses misères. Les petites gens souffraient; les préoccupations politiques avaient paralysé le travail et fermé les ateliers; la récolte avait été mauvaise, l'hiver rigoureux, et les privations de la disette avaient aggravé les privations du chômage. Les boutiques des boulangers étaient assiégées par une foule famélique et soupçonneuse2. Les pouvoirs publics à leur dernière heure, n'avaient plus l'énergie de se faire obéir et ne savaient plus exacte

1. Déclaration des intentions du roi du 23 juin 1789, art. 12.

2. « Plus on approchait du 14 juillet, plus la disette augmentait; chaque boutique de boulanger était environnée d'une foule à qui on distribuait le pain avec la plus grande parcimonie, et la distribution était toujours accompagnée de craintes sur l'approvisionnement du lendemain. Les craintes redoublaient par les plaintes de ceux qui, ayant passé une journée entière à la porte d'un boulanger, n'avaient cependant rien pu obtenir. Souvent la place était ensanglantée; on s'arrachait l'aliment, on se battait; les ateliers étaient déserts; les ouvriers, les artisans perdaient leur temps à disputer, à conquérir une légère portion de nourriture, et par cette perte de temps se mettaient dans l'impossibilité de payer celle du lendemain.» (Tiré de l'Ami du Roi, 3 cahier, p. 30. - Hist. parl., t. II, p. 40.)

ment ce qui était licite et ce qui ne l'était pas. « Quand tous les pouvoirs sont confondus, disait tristement la commission intermédiaire du Poitou, anéantis, quand la force publique est nulle, quand tous les liens sont rompus, quand tout individu se croit affranchi de toute espèce de devoirs, quand l'autorité n'ose plus se montrer et que c'est un crime d'en avoir été revêtu, quel effet peut-on attendre de nos efforts pour rétablir l'ordre1?» Les villes étaient toutes en émoi; on vivait sur la place publique, causant, discutant, interrogeant; des orateurs improvisés haranguaient le peuple. Depuis la prise de la Bastille, le mouvement s'était communiqué de Paris aux provinces et à l'apathie qui semblait y régner quelques mois auparavant avait succédé une fiévreuse agitation'. Dans les campagnes, on lisait moins, mais on discourait autant et on était plus inquiet. Les paysans refusaient de payer les redevances; des incendiaires portaient la terreur dans les châteaux et des bandes de pillards profitaient de cette subite désorganisation pour s'abattre sur le pays3.

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Chaque jour le bruit de ces désordres parvenait jusqu'aux oreilles de l'Assemblée et la troublait dans le travail de la constitution qu'elle commençait à élaborer. Malouet monta à la tribune pour représenter la diminution du travail et de l'industrie dans les classes productives faisant des progrès effrayants, plusieurs manufactures et un grand nombre de métiers abandonnés dans plusieurs provinces, des milliers d'ouvriers sans emploi, la mendicité sensiblement accrue dans les villes et dans les campagnes", » et il proposa de créer des bureaux de charité. L'Assemblée, diversement agitée par ce discours, renvoya la proposition à l'examen d'un de ses comités, et ajourna l'affaire au lendemain.

D

Le mardi 4 août 1789, au sortir de leurs bureaux, les dé

1. M. de Lavergne, Les Assemblées prov. sous Louis XVI, p. 197. 2. Voir le témoignage d'Art. Young, Voy. en France, t. I, p. 160. 3. On les avait vues dès le mois de juin en Brie, en Normandie, en Bretagne, en Languedoc, en Provence (Hist. parl., t. I, p. 326). Après le 14 juillet, ily eut, rien que dans le Mâconnais et le Beaujolais, 72 châteaux brûlés; des fermes furent pillées, des églises incendiées; la garde nationale luttait partout où elle le pouvait. (Hist. parl., t. II, p. 244.)

4. Séance du lundi 3 août au soir.

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