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secours aux ouvriers de la même profession malades ou sans travail; ces caisses de secours ont paru utiles; mais qu'on ne se méprenne pas sur cette assertion; c'est à la nation, c'est aux officiers publics, en son nom, à fournir des travaux à ceux qui en ont besoin pour leur existence et des secours aux infirmes. Ces distributions particulières de secours, lorsqu'elles ne sont pas dangereuses par leur mauvaise administration, tendent au moins à faire renaître les corporations; elles exigent la réunion fréquente des individus d'une même profession, la nomination de syndics et autres officiers, la formation de règlements, l'exclusion de ceux qui ne se soumettraient pas à ces règlements. C'est ainsi que renaîtraient les priviléges, les maîtrises1.... »

Les ouvriers papetiers étaient au nombre des plus turbulents. Organisés en confréries, ils profitaient de l'activité des fabriques pour dicter leurs conditions. Ils frappaient d'interdiction certains ateliers ou exigeaient des maîtres de fortes sommes pour se racheter de l'interdit; ils chômaient fréquemment, continuaient à célébrer les fêtes de la confrérie, excluaient de leurs rangs les compagnons dont ils étaient mécontents ou leur faisaient payer des amendes; en un mot, conservaient les traditions du compagnonage. On rendit contre eux un décret spécial, défendant aux compagnons papetiers de quitter leurs maîtres, sans les avoir, en présence de deux témoins, prévenus six semaines d'avance, et faisant réciproquement même défense aux patrons; amende de eent francs pour l'ouvrier, de trois cents francs pour le manufacturier coupable d'avoir reçu un ouvrier qui ne se serait pas conformé à la loi'.

Si la loi se montrait sévère, c'est que les législateurs étaient justement irrités. Mais la colère n'est jamais bonne conseillère. En proscrivant un abus, la Constituante portait atteinte à une liberté.

Au nombre des « droits naturels et civils,» la Constitution garantissait aux citoyens « la liberté de s'assembler paisiblement et sans armes, en satisfaisant aux lois de po

1. Hist. parl., t. X, p. 193. - 2. Décret du 26 juillet 1791,

lice1. » Après les motifs politiques, quels autres pouvaient être plus fréquents, plus sérieux que l'exercice d'une même profession, et la communauté d'intérêts et de vues qui en résultent? Des patrons pouvaient avoir les mêmes réclamations à faire, les mêmes vœux à former; des ouvriers pouvaient se réunir pour s'assister réciproquement dans le chômage ou dans la maladie, pour se concerter et se soutenir. Le rapport de Chapelier signalait des associations de ce genre. N'était-ce pas là l'exercice d'un droit légitime? Ce qui était un abus, c'est que quelques-uns, pour s'être concertés, prétendissent imposer leur volonté à tous les autres; c'est que l'association, une fois formée, se crût maîtresse du terrain de la production et osât en exclure les concurrents; c'est qu'il y eût tentative de monopole ou emploi de la contrainte, et de toute manière oppression de la liberté. Mais, au sortir de dix siècles de privilége, il n'était guère moins difficile aux députés de marquer précisément la limite du droit et de l'abus qu'aux classes ouvrières de la respecter.

1. Titre I. Dispositions fondamentales garanties par la Constitution.

CHAPITRE III.

LE COMITÉ DE MENDICITÉ.

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Crise de 1789. Dégrèvement des paysans. Bien-être des campagnes.— Diminution de la consommation industrielle. — Exportation. — Le tableau du commerce extérieur en 1792. - Ateliers nationaux. Principes de la Constituante en matière d'assistance publique. - L'homme sauvage et la Les rapports de la Rochefoucauld.

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Le mode de répartition. ·

Centralisation des fonds
Conditions re-

Donations.

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société. de secours. quises pour être assisté.-Secours aux malades, aux enfants, aux vieillards. - Ateliers temporaires de secours. Secours extraordinaires. Vues de prévoyance. Dangers du plan du comité. Ce qui fut fait.-Le principe violė. Principe de l'instruction publique. - Rapport de Talleyrand Hiérarchie des écoles. Liberté de l'enseignement. Instruction Obligation repoussée. Education des filles. Inconvénient du plan de Talleyrand.

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Les révolutions sont toujours des époques critiques pour le travail: elles chassent les capitaux, déconcertent la consommation et paralysent l'industrie. Celle de 1789 devait produire les effets ordinaires des grands bouleversements politiques, et les produire avec d'autant plus de violence qu'elle remuait plus profondément une société déjà affaiblie par une crise commerciale et par deux années de disette.

Il faut pourtant distinguer les lieux, et ne pas confondre les campagnes et les villes dans un tableau uniformément sombre sous la Constituante et même sous la Législative. Sans doute, partout le blé était rare et le pain cher; partout, ou presque partout, le peuple, ignorant et affamé, s'ameutait contre les marchands de grains, se portait au-devant des

charrettes qu'il pillait quelquefois, s'indignait contre ceux qui essayaient d'exporter hors du bourg des grains ou des farines, et rendait souvent nécessaire l'intervention de la garde nationale. Partout il y avait des souffrances; mais la misère ne s'étendait pas partout uniformément.

Les campagnes avaient les premières recueilli les bénéfices du nouvel ordre de choses, même avant que les législateurs ne l'eussent définitivement constitué. La suppression des droits féodaux, en délivrant la terre, avait augmenté le revenu des cultivateurs. « D'après un calcul modéré, dit Art. Young, il est resté entre les mains de la classe agricole, sur le compte des impôts de 1789 et de 1790, au moins trois cents millions; les corvées ont été aussi négligées que les taxes; il faut ajouter les dîmes de deux ans qu'on ne peut estimer à moins de trois cents millions; l'abolition des droits féodaux et des payements de toute sorte pour le même temps, comme de tous les services, ne donne pas moins de cent millions. Mais tous ces articles, si grands qu'ils soient et montant à huit cents millions, forment un total moindre que ce que les hauts prix de 1789, causés par les belles opérations de M. Necker, ont fait venir aux mains des cultivateurs1.» Young désignait ainsi les mesures relatives aux grains qui, quelque mauvaises qu'elles pussent être, n'avaient eu sur la cherté qu'une influence secondaire. Le blé était cher parce que les récoltes avaient été mauvaises, et il était arrivé en effet, comme il arrive d'ordinaire en pareil cas, que les cultivateurs, vendant leurs denrées à des prix élevés, avaient tiré profit de la détresse commune.

Dans un grand nombre de villages, les paysans avaient, comme à Liancourt', mis la main sur des terres incultes ou réservées aux chasses seigneuriales, les avaient défoncées, ensemencées et en avaient pris possession, du seul droit de la force; la culture s'était quelque peu étendue.

Ailleurs, les fermiers, non contents d'être délivrés des servitudes féodales, refusaient même de payer le fermage. « Nous sommes assez forts, disaient-ils, pour nous sous

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traire à ce payement, tandis que vous ne l'êtes pas assez pour nous y contraindre1. »

C'étaient sans doute de regrettables excès, tristes précurseurs d'excès plus condamnables encore. Young pouvait dire avec raison que, « dans le pays où cela se passe, la propriété est bien peu sûre.» Mais leur effet immédiat n'en était pas moins un accroissement de bien-être dans les campagnes; le témoignage de l'observateur intelligent, qui parcourait alors la France, ne laisse aucun doute à cet égard. << Les petits propriétaires, dit-il au commencement de l'année 1792, c'est-à-dire peu de mois après la fin de la Constituante, les petits propriétaires qui font valoir leurs propres terres sont dans une position très-aisée et très-améliorée; les fermiers y participent en proportion de ce que leurs propriétaires n'ont pu convertir en accroissement de fermage les droits dont la terre s'est trouvée affranchie. Quant au payement des loyers, il faut distinguer entre le nord et le sud de la Loire; au nord, on les acquittait, mais au sud, bien des propriétaires n'ont pu recevoir un sol2. »

Tout autre était la situation des villes. C'est là que sévissait la crise. « Vous voyez les manufactures anéanties, les ateliers déserts, les ouvriers sans travail3, » s'écriait dans le sein de l'Assemblée Blancart des Salines, à la veille des journées d'octobre 1789. Il venait proposer un singulier remède l'engagement pour tous les députés et pour la Cour de faire exclusivement usage d'étoffes françaises. La proposition fut ajournée, comme celle des citoyens de Lille qui, quelques mois après, renchérissant sur Blancart des Salines, attribuaient la ruine de l'industrie, non-seulement à la manie de porter des tissus étrangers, mais au goût pour les toiles peintes qui n'occupent que quarante mille bras, tandis que la soierie et la draperie en occupaient des millions. » Le remède était dérisoire; les empiriques qui le conseillaient n'apercevaient pas les vraies causes du mal.

1. Art. Young, t. II, p. 441. 2. Ibid. 3. Séance du 3 oct. 1789. 4. Réflexions présentées à MM. de l'Assemblée nationale par quelques citoyens de Lille, 4 déc. 1789.

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