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enfants et celle des vieillards. A douze ans, les enfants étaient mis en apprentissage; ceux qui se faisaient agriculteurs recevaient une dot de deux cents francs1.

Les Conventionnels considéraient encore plus volontiers que les Constituants la société comme une grande famille dans laquelle les obligations étaient réciproques et les devoirs étroits, comme entre un père et ses enfants de là le droit du pauvre et la centralisation de l'assistance. Car l'État ne peut abandonner à d'autres le soin d'acquitter une dette dont il est responsable dans ce système. Il était logique d'interdire la mendicité et le vagabondage: nul ne pouvait aller de maison en maison solliciter une aumône, quand l'État lui assurait des secours. Défense était faite aux particuliers de donner dans les rues; chacun était invité à verser ses dons dans la caisse du district. Les mendiants devaient être enfermés dans des maisons de répression 2, et les vagabonds déportés à Madagascar3.

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La suppression des dotations particulières était encore une conséquence de cette bienfaisance centralisée. Au moyen de ce que l'assistance du pauvre est une dette nationale, disait l'article 5, les biens des hôpitaux, fondations et dotations en faveur des pauvres, seront vendus dans la forme qui sera réglée par le comité d'aliénation, et néanmoins cette vente n'aura lieu qu'après l'organisation complète, définitive et en pleine activité des secours publics. » La Législative avait supprimé toutes les congrégations religieuses, même celles uniquement vouées au service des hospices, et ordonné la vente de leurs biens'; la Convention appliqua aux biens de ces dernières l'article 5 et en suspendit l'aliénation. La restriction était sage. Car la vaste administration rêvée par les disciples de Rousseau n'était pas encore près de fonctionner; il fallut, à plusieurs reprises, voter aux hôpitaux des secours provisoires".

La Convention avait pourtant hâte d'en finir avec le vieil

1. Déc. du 28 juin-8 juillet 1793. 2. Décret du 19-24 mars 1793. 3. Décret du 1er nov. 1793.

4. Déc. du 18 août 1792 sur la supp. des congrég.

5. Déc. du 1er-4 mai 1793.

6. Déc. du 3-5 février 1793, 6 mars 1794.

ordre de choses et de supprimer la misère comme elle procrivait le vagabondage. Le 6 mars 1794, le comité de secours publics reçut l'ordre de présenter promptement un rapport sur les mesures propres à éteindre la mendicité: Barrère en fut chargé.

Pour couper le mal dans sa racine, Barrère proposa la création du Livre de la Bienfaisance nationale: c'était le pendant du grand livre de la dette publique, que Cambon avait créé quelques mois auparavant. Chaque département devait avoir son livre divisé en trois chapitres, celui des cultivateurs, celui des artisans et celui des mères ou veuves, ayant des enfants. Les cultivateurs indigents, infirmes ou âgés de soixante ans, pouvaient, après constatation, être inscrits et recevoir une pension de 160 francs; les artisans, après vingtcinq ans d'exercice, avaient également droit à une pension de 120 francs; les mères, ayant trois enfants au-dessous de dix ans, et les veuves de cultivateurs ou d'artisans domiciliées à la campagne, recevaient 60 francs de pension, plus 25 francs de gratification, si, à la fin de la première année, elles représentaient leur enfant vivant. Un budget fixe était affecté à chacun de ces chapitres et le nombre des indigents pensionnés était réglé d'avance pour chaque département : 7 144 000 livres en tout pour le premier, avec 400 inscriptions par département; 2 040 000 livres pour le second, avec 200 inscriptions; 3060 000 francs pour le troisième, avec 350 inscriptions pour les mères et 150 pour les veuves; le nombre des inscriptions devait augmenter avec la population du département, quand celle-ci dépassait cent mille âmes. Chaque décadi, le Livre de la Bienfaisance nationale devait être lu au chef-lieu du district et la cérémonie accompagnée de chants patriotiques en l'honneur du travail; le payement du semestre avait lieu solennellement le jour de la fête du Malheur.

Tous ceux qui étaient inscrits avaient en outre droit aux secours à domicile, aux soins gratuits du médecin de district et à une indemnité de six à dix sous par jour en cas de maladie1.

1. Rapport sur les moyens d'extirper la mendicité, par Barrère, lu à la Convention, le 22 flor. an 11 (11 mai 1794). Hist. parl., t. XXXIII, p. 24 et suiv、

Ce plan, qui avait la prétention d'être moins chimérique que les rêveries de Robespierre et de Saint-Just, et qui devint loi de l'État1, était peut-être plus dangereux, parce qu'on pouvait être tenté de l'appliquer. D'abord le calcul était faux. Avec une population de 25 millions d'âmes, et d'après l'échelle même du décret, le chiffre des indigents inscrits eût été de 237 500 et la dépense de 29 millions, au lieu du fonds de 12 244 000 francs qui avait été voté. Et pourtant le nombre des pensionnaires fût resté bien au-dessous du chiffre de la misère; un seul indigent soulagé sur 500 personnes de la population urbaine ! La rigueur mathématique, appliquée à la charité, était un contre-sens. C'était au nom de l'égalité républicaine qu'on procédait ainsi; mais était-ce de l'égalité que de ne pas accorder plus de secours aux grandes villes, où la vie coûte cher et où le contraste de l'indigence avec la richesse rend la privation plus cruelle, qu'aux contrées agricoles où il y a peu de fortune et peu de besoins?

On voulait supprimer la misère, en faisant une pension aux cultivateurs et aux artisans émérites : c'était la retraite du travail. Mais était-il moral d'assurer une rente qui dispenserait l'homme du souci de l'épargne et d'y créer d'autant plus de droits à l'individu qu'il aurait plus manqué de prévoyance? D'ailleurs le législateur atteignait-il même le but d'égalité qu'il poursuivait? Ne créait-il pas parmi les indigents des privilégiés qui auraient reçu l'aumône comme le payement d'une dette à côté d'autres indigents, qui, n'étant pas inscrits et ne pouvant se faire inscrire sur la liste déjà complète, seraient morts de faim? C'était une taxe des pauvres de la pire espèce.

Les parties les plus défectueuses de ce système n'étaient pas celles qui séduisaient le moins la Convention. Elle n'en voyait pas l'insuffisance, mais elle croyait y voir la sauvegarde de la dignité humaine et des droits du citoyen.

« Plus d'aumône! plus d'hôpitaux! Tel est le but vers lequel la Convention doit marcher',» répétait Barrère. C'était

1. Déc. du 22-27 floréal an 11 (11-16 mai 1794).

2. Hist. parl., t. XXXIII, p. 44.

bien une dette que l'État, tel que le comprenait la Montagne, avait à acquitter en nourrissant les orphelins, en instruisant tous les enfants, en élevant ceux qui n'avaient pas encore la force de travailler et en soutenant ceux qui ne l'avaient plus, et, par corrélation, c'était bien un droit légitime qu'il exerçait en contraignant les adultes au travail et en punissant l'oisiveté. Pas de frelons dans la ruche. Barrère, habile à flatter les passions du jour, affirmait énergiquement cette dette de l'État et le droit des pauvres à en réclamer le payement. « Oui je parle de leurs droits, parce que, dans une démocratie qui s'organise, tout doit tendre à élever chaque citoyen au-dessus du premier besoin; par le travail, s'il est valide; par l'éducation, s'il est enfant; et par le secours, s'il est invalide ou dans la vieillesse. N'oublions jamais que le citoyen d'une République ne peut faire un pas sur son territoire, sans marcher sur sa propriété1. »

Parmi les institutions de bienfaisance de 1793, il y a une pensée morale qu'il convient de ne pas laisser dans l'oubli. Sous la Constituante s'étaient établies des caisses de prévoyance. La caisse Lafarge, qui n'était d'ailleurs qu'une vaste tontine mal organisée, avait été préconisée par Mirabeau et favorablement accueillie par le public; le discrédit des assignats l'avait ruinée comme les autres, et, sous la Convention, il n'existait plus rien de semblable. Le décret du 19 mars essaya d'y pourvoir. « Pour aider, dit-il, aux vues de prévoyance des citoyens qui voudraient se préparer des ressources, à quelque époque que ce soit, il sera fait un établissement sous le nom de Caisse nationale de prévoyance, sur le plan et d'après l'organisation qui seront déterminés. » Le plan fut rédigé par Laplace; mais il resta à l'état de projet, comme tant d'autres institutions décrétées par la Convention.

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Celle-ci cependant, pleine de confiance dans l'efficacité du Livre de la Bienfaisance, crut pouvoir désormais supprimer l'ancien système. Elle ordonna de réunir au domaine natio

1. Hist. parl., t. XXXIII, p. 37.

nal l'actif et le passif des hospices, maisons de secours, etc.; la liquidation devait en être faite et les biens vendus conformément aux lois relatives aux domaines nationaux1. Ce dernier décret, qui désorganisait avant que l'organisation nouvelle ne fonctionnât, reçut seul un commencement d'exécution.

Quand la Terreur fut passée, on s'aperçut de la faute. Une des dernières mesures votées par la Convention, fut une surséance à la vente des biens des hospices 2.

En faisant prédominer le principe d'égalité sur celui de liberté, la Montagne avait exagéré et faussé la Révolution. Les thermidoriens, quoique restant sous l'influence des mêmes doctrines, surent les tempérer par un sens plus pratique, et leur œuvre principale en économie politique consista surtout à ramener la société dans des voies plus naturelles.

La Convention se retira après avoir plusieurs fois remanié la Constitution républicaine, comme la Constituante avait remanié la Constitution monarchique et, ainsi que sa devancière, elle se retira, incertaine de l'avenir, presque délaissée par l'opinion, dont le flot, après cinq années de tempêtes, commençait à rétrograder. Du point de vue où nous sommes placés, nous apercevons surtout des erreurs et des violences. L'histoire générale, embrassant l'horizon tout entier, voit son énergie et peut porter sur elle un jugement plus complet. Elle n'oublie pas que, si la Convention, dominée par la Montagne, s'est couverte de sang, elle a su comprimer la révolte à l'intérieur, repousser l'invasion étrangère, gouverner dans les circonstances les plus difficiles. La France, qu'elle avait reçue livrée à l'anarchie, envahie par les Prussiens, menacée d'un retour à l'ancien régime, elle la rendit puissante, victorieuse, respectée, maîtresse de la Belgique et alliée à la Hollande, en paix avec l'Espagne et la Prusse, menaçant à son tour l'Allemagne et la Lombardie. Sa politique extérieure fut glorieuse.

1. Déc. du 23 messidor an II (11 juillet 1794).

2. Déc. du 9 fruct. an 111 (26 août 1795).

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