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regrettât un gouvernement qui s'était discrédité lui-même. Ces divisions empêchaient le rétablissement de l'ordre. Les royalistes continuaient à agiter les provinces, et la Vendée avait repris les armes.

Le Directoire fut d'abord plus heureux contre les ennemis de l'extérieur. Les victoires du général Bonaparte en Italie forcèrent l'Autriche à déposer les armes, et le glorieux traité de Campo-Formio rétablit la paix sur le continent. Mais les Anglais restaient maîtres des mers, et, pendant que Bonaparte allait imprudemment compromettre une armée française par l'héroïque, mais inutile expédition d'Égypte, ils rassemblèrent les puissances du continent dans une seconde coalition. La France eut de nouveau à lutter contre l'Europe et vit sa frontière menacée.

Les finances étaient dans une situation désespérée. Le Directoire ne put pas les en tirer. Les assignats avaient été prodigués par milliards et leur dépréciation s'accélérait comme la chute d'un corps inerte que rien ne soutient dans l'espace. En septembre 1795, on donnait 4000 livres en assignats contre un louis d'or; en février 1796, on en donna 7200.

Les directeurs résolurent de se délivrer et de délivrer promptement la France de ce funeste papier-monnaie qui rendait impossible toute transaction régulière. « Nous ne pouvons plus différer, écrivaient-ils dans leur premier message aux Cinq-Cents, tous les ressorts se brisent dans nos mains, la catastrophe la plus effroyable menace d'engloutir la République entière, si un remède aussi actif que puissant ne fait changer en un moment, pour ainsi dire, la face des choses. Les conseils votèrent un emprunt forcé. Les rentrées ne se firent pas. Il fallut supprimer les assignats. Le 18 février 1796, les planches furent brisées en place publique et le compte de la fabrication fut arrêté. Il paraît qu'il en avait été émis, depuis l'année 1790, pour la somme presque fabuleuse de 48 milliards et demi et qu'il en restait encore près de 30 millards dans la circulation au commencement de l'année 1796. Ce fut le coup de grâce; l'assignat de cent livres ne valut plus, en mai 1796, que 3 sous 7 de

niers, puis bientôt ne valut rien et ne fut accepté de personne'.

Il fallait pourtant une monnaie au gouvernement. Le Directoire imagina les mandats territoriaux qui n'étaient guère que des assignats sous un nom nouveau. Trois mois après leur émission, les mandats de 100 livres ne valaient déjà plus que 7 livres 10 sous en argent; en février 1797, ils étaient à 20 sous. Le Directoire, les abandonnant moins d'un an après leur création, leur retira le cours forcé et déclara qu'ils ne seraient plus reçus qu'en payement des contributions arriérées. Dès lors ils eurent le sort des assignats; personne ne voulut les recevoir, et cette monnaie fictive s'anéantit complétement entre les mains des derniers détenteurs. Ce fut une immense banqueroute qui fit de nombreuses victimes et dont la responsabilité doit peser nonseulement sur le Directoire qui l'ordonna, mais sur les assemblées qui l'avaient rendue presque inévitable.

Toutefois cette crise douloureuse eut un effet salutaire ; elle débarrassa le marché de la masse de papier-monnaie qui entravait la circulation au lieu de la faciliter. L'or et l'argent reparurent et avec eux le commerce. Mais ils semblèrent garder rancune au gouvernement et fuir les caisses de l'État 2. Tous les jours les directeurs étaient embarrassés de savoir comment ils feraient le lendemain le service de la trésorerie. Les ministres donnaient des ordonnances de payement à leurs créanciers; mais les ordonnances n'étaient pas payées au Trésor et elles circulaient sur la place, soumises à toutes les fluctuations de l'agiotage.

L'État ne pouvait pas même suffire au payement des rentes. La grande liquidation des dettes publiques et des remboursements de toute nature, décrétée par l'Assemblée constituante, était loin d'être achevée. Le Directoire la termina par

1. Voir les Finances de la France sous la Révolution, par E. Levasseur, dans le compte-rendu des séances et travaux de l'Ac. des Sc. mor. et pol., année 1859.

2. « Sa chute, dit en parlant des assignats Ramel, alors ministre, a augmenté considérablement les difficultés du service. » Des Fin. de la Répub. en l'an 1x, p. 28.

une banqueroute; il ordonna que les deux tiers de chaque créance, titre de rente ou de liquidation, fussent remboursés en bons qui pourraient servir à l'acquisition de biens nati onaux et qui formèrent « la dette publique mobilisée. » L'autre tiers seul fut porté au grand livre et prit le nom de « tiers consolidé. Mais les bons eurent le sort des autres papiers émis par le Directoire et perdirent bientôt toute valeur1.

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Les intérêts du tiers consolidé, constituant définitivement la dette fondée et s'élevant à la somme de 40,216,000 francs, ne purent pas longtemps être payés en numéraire. On fut réduit à donner aux rentiers des bons d'arrérage» qui étaient reçus en payement des contributions et le discrédit était tel qu'un moment la rente fut cotée 6 francs à la Bourse. Les artisans auxquels on devait encore le prix de leurs maîtrises et de leurs offices, eurent à supporter leur part de ce désastre, et l'industrie tout entière eut cruellement à souffrir de la défiance qu'inspirait une telle situation financière.

Les impôts rentraient mal. On avait voulu tant simplifier qu'on avait tari presque toutes les sources du revenu. De ce côté la Constituante avait donné l'exemple; la Convention l'avait suivi et avait même supprimé la patente. Le commerce extérieur, se trouvant anéanti par la guerre, il ne restait que la contribution foncière et le recouvrement en était si défectueux qu'elle ne rapportait pour ainsi dire plus rien. A la fin de l'an III, quand la Convention céda le gouvernement au Directoire, sur les 143,695,785 livres 76 sous imposés en numéraire, le Trésor n'avait pas touché un sou, même en assignats, et il n'avait perçu que le dixième de l'impôt en nature.

Il fallut régulariser l'assiette et la perception des contributions directes, foncière, personnelle-mobilière et somptuaire. Déjà la Convention dans ses derniers jours avait rétabli la patente. Le Directoire créa l'impôt des portes et fenêtres et dut chercher un supplément aux revenus ordinaires dans les taxes de guerre, dans les emprunts

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1. Voir sur la détresse financière Fr. d'Ivernois, t. I, p. 150.

2. Déc. du 4 therm. an II (22 juillet 1795) et loi du 1er brum. an vii (22 octobre 1798). Il rapporta net 20 millions en l'an vii. Ramel, p. 200. 3. Loidu4 frim, an vii (24 nov. 1798).—4. Loi du 6 prair. an vII (25 mai 1799).

sur la classe aisée et dans les subventions extraordinaires 2.

L'impôt direct qui pesait presque tout entier sur la terre ne suffisait pas aux dépenses d'une grande nation, et les surcharges indisposaient les contribuables sans soulager beaucoup le trésor. Le Directoire crut pouvoir recourir aux impôts indirects sur la consommation. La loi du 6 novembre 1796 (16 brum. an v), relative aux dépenses de l'an v, porta que, pour assurer le recouvrement d'une somme égale au montant des dépenses fixes, il serait établi des impositions indirectes « jusqu'à concurrence du déficit que laisseront les produits réunis des contributions foncière, personnelle et somptuaire, de la perception des droits du timbre, de l'enregistrement, des douanes et des patentes. L'année suivante les municipalités purent à leur tour, en cas d'insuffisance des centimes additionnels, pourvoir à leurs dépenses par des contributions indirectes et locales, dont l'établissement et la perception ne pourraient être autorisés que par le Corps législatif3.» Puis les cartes à jouer furent soumises à un droit de timbre, et une taxe fut établie sur la vente du tabac, dont d'ailleurs la culture, la fabrication et le commerce restaient libres. Le poinçonnage des matières d'or et d'argent fut rétabli et l'État perçut un droit de 10 pour 100 dont on estimait alors le produit annuel à 500 000 francs.

Toutefois, le Directoire ne fit qu'un usage très modéré de ce genre de ressources que désapprouvaient les théories des physiocrates.

Les plans de bienfaisance nationale n'avaient abouti qu'à la désorganisation des hospices. De ce côté encore il était urgent de remédier à l'insuffisance des ressources. Diverses

1 Loi du 10 mess. an vii (28 juin 1799).
2. Loi du 27 brum. an vIII (18 nov. 1799).

3. Loi du 9 germ. an v (29 mars 1797).

4. Loi du 9 vendém. an vi (30 sept. 1797). Voir aussi les arrêtés du 3 pluviôse et 19 floréal an VI.

5. Loi du 22 brum. an vii (12 nov. 1798). La taxe fut de 4 décimes par kilogramme sur le tabac en poudre et en carotte, de 2 décimes et 4 centimes sur le tabac à fumer et le tabac en rôle.

6. Loi du 19 brumaire an vi (9 nov. 1797) et arrêté du 15 prairial an vi.

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lois furent rendues pour régler le payement de leurs dettes arriérées 1 et pour leur assurer un revenu. On remit aux hospices ceux de leurs biens qui n'avaient pas été vendus; ceux qui avaient été aliénés durent leur être restitués sur le fonds des domaines nationaux2. On attribua aux hospices le produit des amendes et saisies prononcées pour établissement de loteries clandestines, la moitié des sommes à recouvrer sur les contributions arriérées, les recettes de l'octroi de Paris', celles du bureau de poids public . La subvention nécessaire pour compléter le revenu des hospices fut classée parmi les dépenses obligatoires du canton. La nomination des commissaires chargés de la surveillance fut soumise à l'approbation du gouvernement; les adjudications de fournitures durent être publiques; le travail fut introduit dans les hospices et le produit réparti, deux tiers à l'hospice, un tiers à l'indigent'.

Les hospices et hôpitaux ne renfermaient pas tous ceux qui avaient besoin d'implorer l'assistance. Avant la Révolution, les monastères, les églises et de nombreux bureaux dirigés par des laïques, faisaient de grandes aumônes. Il fallait les remplacer non dans leurs abus, mais dans les services qu'ils rendaient à l'indigence on organisa les bureaux de bienfaisance. Ils se composèrent de cinq membres chargés de surveiller les travaux ordonnés dans les temps de crise par les administrations municipales et de répartir les secours à domicile. Il pouvait y avoir un ou plusieurs bureaux dans chaque municipalité de canton; il y en eut 48 à Paris. Il leur fallait un budget; on leur alloua le dixième du prix des places dans les spectacles, et remaniée plusieurs fois, cette taxe, qui n'a d'autre rapport que celui d'une antithèse avec l'objet auquel elle s'applique, a subsisté.

Dans son avant-dernière séance, la Convention était revenue sur les promesses pompeuses qu'elle avait faites aux

1. Loi du 29 pluv. an v (17 février 1797), du 30 niv. an v (20 mars 1797), du 6 vend. an VIII (28 sept. 1799).

2. Loi du 16 vend. an v (7 oct. 1796).-3. Loi du 9 germ. an vi (29 mars 1798). 4. Loi du 27 vendém. an vII (18 oct. 1798).

5. Loi du 27 brum. an vii (17 nov. 1798).

6. Loi du 11 frim. an vu (1er déc. 1798).-7. Loi du 16 mess, an vII (4 juill. 1799). 8. Loi du 7 frim, an v (27 nov. 1795).

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