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instituteurs et ne leur avait plus assuré que le logement et la rétribution mensuelle1. Les écoles, à peine naissantes, furent fermées ou abandonnées à des maîtres incapables 2. Le Directoire forma plusieurs projets de réorganisation sans remédier au mal3. Il réduisit à une par département les écoles centrales et il les organisa; il comprit que des cours libres étaient insuffisants pour former l'adolescence et il permit aux départements d'instituer des internats. Cependant l'instruction primaire ou secondaire demeura, malgré les plans des deux assemblées, inférieure à ce qu'elle était sous le règne de Louis XVI.

Le mont-de-piété, créé à Paris en 1777, avait succombé, et sur ses ruines s'étaient élevées de nombreuses maisons de prêt. Sous le gouvernement directorial, dit Merlin, des maisons furent ouvertes dans toutes les rues de Paris sous les diverses dénominations de Caisse auxiliaire, LombardLussan, Lombard-Feydeau, Lombard - Serilly, LombardAugustin, etc., et toutes ces maisons en eurent bientôt enfanté un nombre si effrayant que, dans certains quartiers (dans les quartiers du Palais-Royal, par convenance avec les maisons de jeu, les filles publiques et les escrocs), les lanternes qui les annoncent suffiraient pour éclairer la voie publique et, par ce moyen, épargner au département la moitié des frais d'illumination". L'argent, longtemps proscrit, reparaissait peu à peu, mais il faisait payer ses services d'autant plus cher qu'il avait été plus maltraité. La liberté du taux de l'intérêt avait été proclamée de nouveau. Les Lombards

1. Loi du 3 brum. an iv (25 oct. 1795).

2. Dans le cours des années II et III, la profession d'instituteur parut offrir beaucoup d'avantages; il y en eut presque autant que de communes, mais le Trésor public ayant bientôt cessé d'acquitter les salaires promis, les écoles furent de nouveau abandonnées. » Rapport du préfet de l'Eure, en l'an ix, p. 55. 3. Voir, entre autres documents, le rapport général de Roger Martin, les rapports d'Heurtault-Lamerville, de Bonnaire, le message du Directoire du 3 brumaire an vir, le projet sur les écoles primaires de nivôse an vII. — Réimp. du Monit., t. XXVI, p. 255; t.|XXIX, p. 67, 83, 586, 599, 602, 636. 4. Réimp. du Monit., t. XXVI, p. 324.

5. Cité par M. A. Blaize, des Monts-de-Piété et des Banques de prêt sur gages, t. I, p. 178.

6. Loi du 5 thermidor an iv (23 juillet 1796).

empruntaient à 4 et à 6 pour 100 par mois et prêtaient à leur tour à 12 et à 20. Le Directoire s'émut et l'administration du département de la Seine rétablit le mont-de-piété1.

On continuait à se plaindre des exigences et des fraudes des prêteurs; un arrêté soumit leurs maisons à la surveillance de la police, mais sans parvenir à modérer le taux des prêts. En l'an viii, le Bureau des améliorations dénonçait encore comme usuriers « ceux qui, après avoir exigé pour sûreté de leur prêt une valeur supérieure au prêt même, se font payer et perçoivent, sans avoir couru ni pouvo.r courir jamais aucun risque, 50, 60, 72 et 96 pour 1002. »

L'industrie, comme le gouvernement, se débattait avec peine au milieu des difficultés de la politique. La jeunesse, il est vrai, se plongeait dans les plaisirs avec cette ardeur fiévreuse qui suit d'ordinaire une longue contrainte, mais son luxe ne suffisait pas à rendre la vie à tous les ateliers. Le capital de la France avait été amoindri, et on n'avait pas encore travaillé à le reconstituer. A l'extérieur, les débouchés maritimes étaient fermés et les marchés du continent, toujours hostiles à la Révolution, offraient peu de ressources. A l'intérieur, la confiance manquait. L'escompte commercial était à peu près aussi élevé que le prêt sur gage. On n'admettait que les effets à échéance très-courte et on leur prenait jusqu'à 3 pour 100 par mois. La meilleure maison de la capitale, la Caisse du commerce, qui n'acceptait que de bon papier garanti par trois signatures, demandait 3/4 pour 100, c'est-à-dire par an 9 pour 100*.

De grandes villes n'étaient pas éclairées le soir". Des brigands, connus sous le nom de chauffeurs, pillaient les fermes

1. 17 ventôse an v. 2. Des monts de piété, t. I, p. 187.

3. Par exemple, à Oléron, la manufacture de bas de laine était tombée de 4000 ouvriers à 200; dans la plupart des départements, les manufactures étaient réduites de la même façon. Voir le procès-verbal de la session des conseils généraux en l'an Ix.

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4. « Après le 18 fructidor, il se forma une caisse d'escompte qui se hasarda à émettre quelques billets de banque. Mais les banquiers français étaient sans crédit à l'étranger, et à l'intérieur les capitalistes préféraient tirer de leurs fonds 30 à 50 pour 100, en achetant des domaines nationaux. » Fr. d'Ivernois. Tableau hist. et stat. des pertes que la Révolution et la guerre ont causées au peuple français, t. II, p. 254 à 256.

5. Ibid., t. II, p. 9.

et répandaient l'effroi dans les campagnes, sans que le Directoire pût parvenir à débarrasser la France de ce hideux fléau. Les routes étaient infestées par eux et rendues impraticables par le défaut d'entretien; les chemins vicinaux étaient presque abandonnés et la ruine des travaux d'art avait entièrement interrompu la circulation sur certains points. Tant les années détruisent vite le capital commun d'une société, quand il n'est pas maintenu et renouvelé par le travail incessant des générations qui se succèdent!

Les effets de l'anarchie pèsent encore en entier sur le commerce, disaient des commerçants convoqués à Paris; il se traîne sur ses ruines; ses capitaux sont dissipés ou enfouis; ses ateliers fermés2. » Le maximum et les réquisitions avaient en effet ruiné un certain nombre de grandes manufactures en les contraignant à livrer leurs produits à des prix dérisoires; ils avaient ruiné aussi les genres de fabri

1.« Détruire les chemins d'un empire, c'est couper les veines d'Hercule, et c'est presque en cet état qu'on a réduit la France. » Circ. du Directoire du 16 décembre 1797, citée par Fr. d'Ivernois, Tab. hist., p. 92. C'est à la suite de cette circulaire, mais après le 18 fructidor, que fut créé le droit de passe (loi du 3 niv. an vi 23 déc. 1797). On établit 1200 barrières; mais le produit ne fut la première année que de 3 337 000 fr. (Ramel, 66.) Les canaux aussi étaient en ruine. (Fr. d'Ivernois, 148.) Voici comment s'exprimait plus tard le préfet dans le Mémoire statistique de l'Eure, rédigé au commencement du consulat, et publié en l'an xii (p. 17 et 20) : « Depuis dix ans..., les routes se sont dégradées; le plus grand nombre même est devenu impraticable. » Il parlait de la France en général; car à cet égard le département de l'Eure faisait exception. Mais ses chemins vicinaux « sont pour la plupart dans un état total de ruine; ici un chemin vicinal voisin d'une forèt est totalement dégradé par le transport des bois; là un autre chemin se trouve intercepté ou obstrué par une rivière ou un ruisseau auquel on a négligé de donner une direction convenable; plusieurs ponts qui font partie de ces chemins sont rompus ou près de l'être; enfin, partout le voyageur, principalement dans la saison de l'hiver, est obligé, pour n'être pas arrêté, de faire de longs circuits pour se rendre à sa destination, ou, ce qui est un inconvénient encore plus grand, de passer sur des terres ensemencées. »

2. Paris en 1797, t. XI, p. 246.

3. Voir, entre autres, Mém. stat. de l'Indre, an XII, p. 293.-Voir aussi les déclarations des conseils généraux en l'an ix (Pas-de-Calais, Basses-Pyrénées, Sarthe, Vaucluse, etc.). Le Pas-de-Calais s'exprimait ainsi : « Causes de cette décadence : lois révolutionnaires plus actives dans ce département; le papier qui a dévoré la fortune des hommes laborieux qui activaient l'industrie; la guerre qui a enlevé des bras; le mauvais état des routes, qui a rendu les communications très-difficiles. » — P. 273.

cation les plus soignées, les draps de Sédan, par exemple, en induisant les manufacturiers à n'employer que des matières grossières, pour ne pas subir une perte trop considérable sur un prix de vente fixé d'avance par règlement administratif. Quand le maximum eut été supprimé, restèrent la difficulté du transport, l'absence de crédit, la cessation du commerce avec l'étranger, le prix exorbitant des matières exotiques; la production demeura languissante1. Restèrent aussi les mauvaises habitudes prises par des manufacturiers dont on rompait tout à coup la chaîne et qui entraient dans le régime de la liberté à une époque de licence; les fraudes se multiplièrent. L'émigration continua et poussa hors de France non plus ceux auxquels la politique portait ombrage, mais ceux dont les bras n'avaient pas d'emploi3.

Le Directoire s'inquiétait de cette situation. Il s'arma de la loi de 1791, pour maintenir la discipline des ateliers, et menaça de peines sévères les ouvriers papetiers qui continuaient à observer entre eux des usages contraires à l'ordre public, de chômer des fêtes de coteries ou de confréries, de s'imposer mutuellement des amendes, de provoquer la cessation absolue des travaux des ateliers, d'en interdire l'entrée à plusieurs d'entre eux et d'exiger des sommes exorbitantes des propriétaires pour se relever des damna

1. Voir les Mém. stat. des préfets (Lys, Meurthe, Moselle, Doubs, Deux Sèvres, Eure, Indre), en l'an XII.

2. Par exemple, les étoffes 4/4 de Rouen n'eurent plus qu'environ 7/8 d'aune, les 7/8 eurent 3/4. Les produits furent discrédités à l'étranger. Fr. d'Ivernois, t. II, p. 248.

3. M. Legoyt (de l'Émigration, p. 56) a donné la liste comparative des émigrés et des déportés du département des Bouches-du-Rhône de 1789 à 1793, et de 1793 à 1799.

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́tions1. Il essaya d'encourager les manufactures. Divers projets furent proposés. Les conseils tentèrent deux fois de remanier la loi sur les brevets d'invention, mais la loi était bonne et elle résista. La Convention avait proscrit les compagnies de commerce et tué les associations de capitaux'; le gouvernement rapporta cette loi barbare et essaya même, mais sans succès, de déterminer les commerçants à fonder une banque de circulation. Des fabricants demandèrent qu'on prohibât l'importation des toiles de l'Inde; mais le tarif de 1791 avait sagement levé les prohibitions, et le gouvernement éluda la demande 5.

Mais il insista pour obtenir des fonds destinés à l'encouragement des manufactures de laine, de soie et autres; les conseils votèrent quatre millions, dont le quart devait être exclusivement réservé à la ville de Lyon, la plus cruellement atteinte par la crise révolutionnaire. Les millions furent dépensés et l'industrie continua à languir. Au mois de février 1798, le Directoire insistait de nouveau pour avoir deux millions à donner aux fabriques lyonnaises". On se plaignait que les ouvriers de l'État, ceux des Gobelins, par exemple, ne touchassent pas leur salaire, et, à la veille pour ainsi dire du 18 brumaire, Fabre, de l'Aude, réclamait l'entreprise de grands travaux publics, afin d'occuper et de nourrir les nombreux ouvriers sans ouvrage".

1. Arrêté du 2 sept. 1796. Les chapeliers se plaignirent aussi du refus que faisaient leurs ouvriers de travailler si on n'augmentait pas leurs salaires; mais le gouvenement ne crut pas devoir intervenir. Procès-verbaux des séances. Cinq-Cents. 19 prairial an v.

2. Au conseil des Cinq-Cents, un membre demanda si la loi des brevets n'était pas attentatoire à la Constitution et à la liberté. Une commission fut nommée; mais elle fut dissoute au 18 fructidor. Autre commission; rapport de Fr. Eude (2 janvier 1798), qui proposa une nouvelle loi avec examen préalable secret des plans et dessins et droit pour le gouvernement de révoquer les brevets. Le Conseil des anciens le repoussa.

3. Loi du 26-29 germinal an 11. (15-18 avril 1794.)

4. Loi du 30 brum. an iv (21 nov. 1795). — Voir aussi Paris en 1797, t. XI, p. 242.

5. Réimp. du Monit., t. XXIX, p. 288 et 591.

Il y a deux rapports d'Eude dans deux sens différents (14 nivôse an vi et 17 fructidor an vii). 6. Ibid., t. XXVIII, p. 313 et 334.

7. Ibid., t. XXIX, p. 151.

8. Ibid., t. XXIX, p. 825, séance du 26 sept. 1799.-Voir. Fr. d'Ivernois, p. 242.

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