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CHAPITRE II.

LES SUBSISTANCES.

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Désir d'assurer l'approvisionnement de Paris. - Ordonnance du 12 juin 1800 sur la police des halles. Les facteurs. Arrêté du 19 vendémiaire an x. - Corporation des bouchers. La caisse de Poissy. - Aggravation du monopole. La triperie. Les forains à la halle. La charcuterie. - La réglementation dans les départements. Les corporations sous l'Empire

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romain et sous l'Empire français. Inconvénients de l'esprit de régle

mentation. La disette de 1812 et le Conseil des subsistances.

Bonaparte savait par expérience que la disette est une cause permanente de désordres et un des ferments les plus actifs de révolution. Il avait vu pendant onze ans les tristes effets des mauvaises récoltes, aggravés par de mauvaises mesures administratives, les marchés presque déserts sous le régime du maximum, les rassemblements à la porte des boulangers, les craintes continuelles des municipalités, les colères de la populace affamée, menaçant les magistrats ou envahissant les assemblées.

Pour rétablir l'ordre, il importait donc d'assurer la subsistance des villes et surtout celle de Paris: le gouvernement consulaire le comprenait et il y donna tous ses soins. Bonaparte se préoccupait en personne de cette question et provoquait la vigilance de ses ministres1.

1. Au citoyen Lucien Bonaparte, 10 septembre 1800. « Le pain a augmenté dans Paris, citoyen ministre, et la farine a renchéri. L'on se plaint, sur les différentes frontières, de l'exportation des blés. Je vous prie de fixer

Comme les désordres les plus graves s'étaient produits depuis la suppression des règlements, on les imputait volontiers à la liberté, bien qu'en fait le commerce du pain et de la viande n'eût jamais été moins libre que pendant la période révolutionnaire, et on résolut, en les accommodant autant que possible au nouvel ordre de choses, de restaurer les règlements des halles et les corporations de bouchers et de boulangers. Que le droit du travail, formellement reconnu par la Révolution de 1789, y souffrît quelque restriction, c'est ce dont on s'inquiétait médiocrement; aux yeux non-seulement du jeune général qui gouvernait la France, mais encore de la majorité des citoyens qui applaudissaient à la réorganisation sociale, la sécurité publique était une considération devant laquelle toute autre devait plier.

Le préfet de police commença par la réforme des halles : Considérant, disait-il dans l'ordonnance du 12 juin 1800, que le plus sûr moyen d'atteindre ce but important, c'est de remettre en vigueur les dispositions des anciens règlements relatifs à la vente des beurres, fromages et œufs qui peuvent se concilier avec la législation actuelle et de rappeler en même temps les articles des lois nouvelles qui y sont appli

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votre attention sur cet intéressant objet.... » (Corresp. de Napoléon, t. VI, p. 577.) « Le ministre de l'intérieur examinera s'il ne conviendrait pas de faire rentrer la ville de Paris dans la possession des magasins de Corbeil.... Les magasins doivent contenir, au 1er mars, la totalité de l'approvisionnement; et de ce moment à la récolte, le ministre n'en laissera plus rien sortir. >> (14 fév. 1806, Corresp. de Napoléon, t. XIII, p. 51.) En 1807, il écrivait du fond de la Pologne prussienne, au milieu des préoccupations de la guerre contre les Russes: << Finkenstein, 4 avril 1807.

Portez,

je vous prie, une grande attention au double approvisionnement de blé que j'ai ordonné avant de partir. L'expérience n'apprendra-t-elle donc rien et faudra-t-il attendre que l'on soit dans le besoin? C'est l'objet auquel M. Champagny doit porter toute son attention. Les mais et les si ne sont pas de saison, et il faut avant tout qu'il réussisse.» (Corresp. de Napoléon, t. XV, p. 22.) << Au citoyen Melzi, Paris, 19 messidor an x. Tout ce qui est relatif aux blés ne peut être du ressort de la législation. Nous avons en France une expérience de dix ans; après avoir longtemps erré, il n'y a en France qu'une seule opinion, c'est que le gouvernement peut seul ouvrir ou fermer les barrières à l'exportation des blés, selon les circonstances. Il est donc très-imprudent de rien soumettre sur cette matière aux législateurs. »

cables...., il remettait en vigueur une grande partie des ordonnances de 1672 et de 17571.

La réglementation a ses entraînements, et il est à craindre qu'elle ne passe pas les bornes de la simple police, quand elle s'interpose entre les acheteurs et les vendeurs. Une ville qui ouvre un marché peut assurément faire ses conditions. Rien de plus légitime que de fixer les heures et les jours, d'instituer même des facteurs privilégiés qui offrent des garanties solides à la confiance des vendeurs absents; mais imposer aux forains de ne vendre que sur ce marché et par l'entremise de ces facteurs, c'est porter atteinte à la liberté, et, quoi qu'en disent les règlements, il est douteux que les marchands et les consommateurs trouvent un avantage réel à cette violation du droit. Les marchés doivent être une facilité, et non une gêne pour le commerce.

Le même mode de réglementation s'appliqua aux autres marchés de Paris, qui furent placés dans les attributions du préfet de police 2. Dans les départements, la tenue des foires, halles et marchés fut soumise à l'autorisation du ministre de l'intérieur, donnée sur avis du préfet et la surveillance confiée aux commissaires généraux de police". Bientôt sous l'Empire, les facteurs de la halle de Paris durent être commissionnés par le préfet de police*, qui fixa leur rétribution à deux et demi pour 1005, et rendit leur concours plus efficace par l'établissement, avantageux aux cultivateurs, de la vente à la criée. La vente seule des beurres leur aurait procuré, d'après le tarif, un bénéfice de

1. Défense aux forains de vendre ailleurs que dans la halle et aux jours et heures indiqués; aux marchands d'aller au-devant des voitures pour acheter ou arrher les beurres; obligation de présenter les lettres de voiture, constatant que les quantités chargées aux pays de provenance ont été toutes déchargées sur le carreau de la halle; institution de quatre facteurs pour la vente; ordre de ne revendre qu'au détail et dans la halle des détaillants les marchandises achetées en gros; saisie des beurres dénaturés et avariés; interdiction de vendre à place fixe, dans les rues de Paris, des beurres, œufs ou fromages.» (Ordonnance du 12 juin 1800. Voir le Recueil des ordonnances de la préfecture de police de 1800 à 1814.)

2. Déc. du 12 mess. an vIII (1er juillet 1800).

3. Arr. du 5 brum. an Ix (27 oct. 1800). 4. Ord. du 29 janvier 1806. 5. Ord. du 28 mai 1806.

135 000 francs en 18081, si la ville de Paris n'eût bientôt prétendu à toucher sa part dans ce revenu. Elle s'attribua la moitié du droit 2; et, comme elle le transformait en impôt municipal, elle le déclara obligatoire, non-seulement pour les beurres et œufs vendus en gros à la halle, mais pour ceux mêmes qui étaient adressés directement à des particuliers3.

En proclamant la liberté du commerce, la Constituante elle-même avait fait une réserve au sujet du pain et de la viande qu'elle laissait aux magistrats municipaux le droit de taxer. Les Consuls usèrent de ce droit, rétablirent la taxe à Paris, et pensèrent assurer le pain des habitants en réunissant les boulangers en corps, sous la surveillance de l'administration. A l'avenir, « nul ne pourrait exercer la profession de boulanger sans une permission spéciale du préfet de police. » Or, pour obtenir cette permission, il fallut déposer dans les magasins de la ville quinze sacs de farine de première qualité, du poids de 325 livres; avoir chez soi un approvisionnement de soixante, trente ou quinze sacs, selon l'importance de la boulangerie; ne pas diminuer le nombre de ses fournées, sans autorisation du préfet, et prévenir six mois avant de quitter son établissement. Quatre syndics, nommés en présence du préfet par vingt-quatre boulangers, qu'il désigna lui-même parmi les plus anciens, durent être chargés des rapports de la communauté avec la police.

Les 641 boulangers de la ville s'étant soumis à cette loi, le préfet déclara que ceux qui auraient déposé au 1er frimaire les quinze sacs de garantie pourraient seuls exercer, et que les commissaires feraient au moins deux visites par décade chez chaque boulanger, pour vérifier l'approvisionnement®.

1. La vente fut de 2 533 210 kil. et produisit 5 497 129 francs.
2. Déc. du 21 septembre 1807. 3. Déc. du 3 décembre 1807.

4. « La taxe des subsistances, disait la loi du 19-22 juillet 1791 (art. 30), ne pourra provisoirement avoir lieu dans aucune ville ou commune que sur le pain ou la viande de boucherie, sans qu'il soit permis, en aucun cas, de l'étendre sur le vin, le blé, les autres grains et autres espèces de denrées; et ce, sous peine de destitution des officiers municipaux. 5. Arrêté consulaire du 19 vendémiaire an x (11 oct. 1801.) 6. Ord. du 7 nov. 1801.

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Les précautions étaient nombreuses. Plusieurs ordonnances de police les confirmèrent ou les augmentèrent durant l'Empire. Le Code civil conféra aux boulangers un privilége sur les meubles et même sur les immeubles de leurs débiteurs, pour fournitures de pain faites dans les six derniers mois1; et un décret donna de même un privilége aux facteurs de la halle sur les farines du dépôt de garantie'.

Le chef-d'œuvre et la maîtrise, n'étaient pas rétablis. Mais, à cela près, l'organisation était modelée sur l'ancien corps de métiers, et l'esprit de monopole s'y développa de bonne heure. La police avait autorisé l'ouverture de plusieurs boulangeries nouvelles. Les syndics s'émurent de cette concurrence. De concert avec quarante-huit des principaux du métier, ils décidèrent, en 1807, que sur chaque établissement en activité et à chaque mutation, il serait prélevé une contribution de 30 francs, élevée dans la suite à 60, et que le produit servirait à acheter les fonds de boulangerie que le préfet de police aurait décidé devoir être supprimés, ou dont la demande de suppression aurait été présentée à ce magistrat et acceptée par lui. » Le préfet avait approuvé ; il n'accorda plus de nouvelles autorisations et les rachats eurent en quelques années réduit de 689 à 560 le nombre des boulangeries parisiennes.

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Des syndics, des cotisations, un nombre de maîtres limité et par suite une valeur artificielle des fonds, des visites fréquentes, des dépôts qui, sans préserver Paris contre les disettes, enlevaient un capital considérable à la circulation et imposaient une charge aux boulangers: telles étaient les conséquences de l'arrêté des consuls.

Ce qu'on ne faisait pas revivre, c'était l'indépendance des anciennes corporations. Celle-ci était toute sous la main de l'administration qui autorisait seule les boulangers à s'établir, qui fixait la taxe, gardait dans ses magasins le dépôt de garantie et faisait les visites par ses commissaires.

La boucherie eut le même sort. L'ancienne corporation. des bouchers qui comptait, en 1790, 317 étaux exploités par

1. Code civil, art. 2101. 2. Déc. du 17 fév. 1811.

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