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230 bouchers, était renommée pour sa richesse et excitait depuis longtemps l'envie. Aussi le premier effet de la liberté avait-il été de lui créer une concurrence sans mesure. Une foule de gens, étaliers ou autres, avaient voulu prendre leur part des bénéfices de cette industrie. On avait vu s'établir partout des revendeurs de viande, comme des revendeurs de légumes, débitant leur marchandise dans les rues, au fond des allées, dans des chambres. La surveillance étant nulle, on exposait journellement des viandes insalubres, et les mesures de police que le Directoire avait cru devoir prendre, étaient restées sans effet1.

Le gouvernement consulaire, qui n'était pas retenu par les mêmes scrupules, en prit de plus efficaces. Il commença par décider que nul à l'avenir ne pourrait exercer la profes sion de boucher sans être commissionné par le préfet de po lice. Puis, deux ans après, comme les bouchers continuaient à ouvrir et à fermer leurs étaux à leur gré, selon que la marchandise était à bon marché ou à haut prix, et que plusieurs débitaient encore des viandes gâtées, il constitua un corporation.

Un arrêté consulaire fut pris, portant que tous les individus exerçant la profession de boucher à Paris, devaient, sans exception, se faire inscrire avant le 1er brumaire an X, que le préfet de police en désignerait trente, dont deux seraient pris parmi les moins imposés, et que ces trente bouchers se réuniraient pour nommer un syndic et six adjoints. Le syndicat, ainsi constitué, soumettrait prochainement un projet de règlement à l'approbation administrative; nul ne pourrait à l'avenir être boucher sans la permission du préfet, lequel, à son tour, devait prendre l'avis du syndicat. Les bouchers, selon l'importance de l'établissement, avaient à payer un cautionnement de 3000, 2000 ou 1000 francs ne portant pas intérêt, mais formant le fonds de la Caisse de la boucherie, destinée à secourir les bouchers qui éprouveraient des pertes dans leur commerce. Les prêts, dont la durée était fixée à

1. Déc. du 24 floréal an IV et du 3 thermidor an V. (13 mai 1796 et 21 juillet 1797.)

2. Arrêté du 30 mars 1800.

un mois et l'intérêt à 1/2 pour 100, seraient faits, sur la demande de l'emprunteur, par une décision du préfet, rendue après avis du syndicat. Nul boucher ne pourrait laisser son étal trois jours sans approvisionnement, sous peine de le voir fermé pendant six mois; nul ne pourrait quitter le métier, sans avoir prévenu six mois d'avance, sous peine de perdre sor cautionnement. Les achats de bestiaux n'auraient lieu qu'à Sceaux, à Poissy et au marché aux veaux'.

Les bouchers furent sommés de faire savoir s'ils continuaient leur commerce et de déposer leur cautionnement". Les anciennes permissions furent annulées et les nouvelles ne furent accordées qu'à ceux qui avaient déposé immédiatement le sixième au moins de la somme exigée. Des onze cents maisons qui débitaient de la viande sous le régime du Directoire, il ne subsista que 471 étaux exploités par 450 bouchers.

Ceux-ci étaient désormais, comme les boulangers, sous la main de l'administration qui ne leur épargna pas les règlements. Défense d'avoir des échaudoirs ou tueries, sans permission; défense d'abattre ailleurs que dans les lieux autorisés; défense aux bouchers d'occuper plus de trois étaux; prescriptions minutieuses sur la longueur, largeur et disposition des étaux, sur le mode d'étalage".

Toutes les boucheries du département de la Seine furent soumises, comme celles de Paris, à l'autorisation préfectorale 5.

Quelques années plus tard, on signalait encore des fraudes et des désordres sur les marchés; des bouchers payant mal les forains et végétant, parce que le nombre des étaux, disait-on, était plus grand qu'avant la Révolution. On crut pas encore assez fait pour l'approvisionnement. On rétablit une institution de l'ancien régime, la caisse de Poissy, destinée à remplacer la caisse de la boucherie, et à payer comptant les forains sur le marché, à l'aide d'un fonds formé

n'avoir

1. Arrêté du 8 vendémiaire an XI (30 sept. 1802).-2. Ord. du 6 déc. 1802. 3. Ord. du 5 janv. 1803.

4. Ord. du 29 janv. 1811. 5. Ord. du 17 nov. 1803.

par les cautionnements et par un crédit municipal et d'un mécanisme de crédit fort rigide 1. Le but était comme toujours, la régularité de l'approvisionnement; car les herbagers et les forains devaient fréquenter avec beaucoup plus d'assiduité des marchés où leur payement était solidement assuré. Mais les gênes imposées aux bouchers pour atteindre ce but ne faisaient-elles pas plus de mal au commerce et aux consommateurs que la caisse ne pouvait faire de bien aux producteurs?

D'ailleurs, l'impôt s'était glissé dans cette organisation administrative comme dans celle des halles. Le directeur faisait, sur les ventes, une retenue de 3 centimes 1/2 par franc, dont le produit était affecté, partie aux besoins de la caisse et partie aux dépenses de la ville de Paris.

Les bouchers obtenaient aussi certains avantages par le décret de 1811. Leur cautionnement devenait productif d'intérêts 2, et le nombre des étaux, conformément à une mesure adoptée dès 1808, devait être reduit à 300; on exigeait pour cet effet que tout boucher, en s'établissant, achetât deux étaux et en fermât un. Comme les boulangers, les bouchers étaient fidèles aux traditions des anciens corps de métiers: ils agissaient, comme font tous les intérêts privés, quand on leur laisse le pouvoir de dicter leur propre loi.

A la halle et dans les abattoirs, lieux publics, l'interven

1. Tous les mois le syndicat pour Paris, les sous-préfets pour la banlieue, devaient faire connaître la liste des crédits qui pouvaient être accordés à chaque boucher le mois suivant. La Caisse établissait son budget général et le préfet de la Seine ouvrait le crédit nécessaire. Tout boucher qui voulait acheter pour une somme supérieure au crédit particulier qui lui avait été ouvert, était tenu, marché tenant, de verser le supplément à la Caisse; faute de quoi, ses bestiaux restaient en consignation. La durée des prêts était de vingt-cinq à trente jours pour les achats de Sceaux et de Poissy, de huit jours pour ceux du marché aux veaux. Le boucher qui ne payait pas la Caisse à l'échéance était privé de tout crédit jusqu'à son entière libération; et lorsqu'il laissait s'écouler deux mois sans s'acquitter, son étal était vendu, s'il était nécessaire, pour le recouvrement de ses effets, ou fermé si le payement desdits effets pouvait être assuré autrement. Un directeur, des inspecteurs de plusieurs degrés, des contrôleurs, des surveiliants, administraient la Caisse, avaient la haute main sur le marché ou faisaient la police des abattoirs. (Déc. du 6 fév. 1811.)

2. A 5 pour 100.

tion administrative était nécessaire; mais ià aussi. la réglementation, dépassant les limites de la police et de la salubrité, s'immisça trop souvent dans des questions purement commerciales.

L'ordonnance du 17 novembre 1803 fit défense à la nouvelle corporation des bouchers de détailler les issues et abats de bestiaux, dans leurs étaux. Même défense avait existé sous l'ancien régime. Les issues et abats durent être vendus en gros à l'abattoir même, cuits dans l'établissement, et livrés aux tripières qui seules eurent le droit de les débiter dans Paris. On voulait remédier à un mal très réel, empêcher les bouchers de cuire dans leur boutique et éviter la corruption de la viande fraîche, occasionnée par l'odeur des tripes et la négligence que ce mélange semblait autoriser. Ne pouvait-on pas prendre des mesures de police pour prévenir des confusions, sans créer de toutes pièces une industrie spéciale par l'interdiction absolue prononcée contre les bouchers 1?

Toute corporation implique l'idée d'un monopole. Si on faisait un corps des bouchers, si on leur imposait des charges, c'était à condition de leur réserver en échange la clientèle de la capitale. Il fallait exclure les forains; sans quoi la plupart, au lieu de s'établir à Paris, se seraient installés dans la banlieue et même plus loin, pouvant avoir la vente de Paris, sans subir ies servitudes de la police municipale. D'un autre côté, proscrire entièrement les forains, c'était livrer à la merci de la corporation les consommateurs, dont l'intérêt était la fin de toutes ces mesures. Fâcheuse alternative de ceux qui veulent substituer leur sagesse à

1. Il y eut des infractions à cette loi; des tripières cuisaient clandestinement dans leur maison. En 1812, quand le décret sur les établissements insalubres eût mis les triperies sous la juridiction du préfet, celui-ci en profita pour reviser sa législation. La défense fut renouvelée à l'égard des bouchers. Ils durent tous les jours vendre leurs issues et les livrer immédiatement, les issues rouges à la triperie, les issues blanches à l'entrepreneur de la cuisson, qui les remettait toutes préparées à la tripière. Si celle-ci refusait de les accepter, l'entrepreneur les faisait vendre aussitôt aux frais de la prenante. La tripière tombait aussi dans la main de l'administration. Voir Ord. du préfet de police, du 28 mai 1812.

l'ordre naturel des échanges! Quand on ne se résigne pas au monopole absolu, on n'en sort que par un compromis qui ne vaut jamais l'équilibre de la liberté. C'est ce que fit le Consulat. Il permit aux forains de venir à la halle, mais deux fois par semaine seulement, le mercredi et le samedi, et à la condition de vendre le même jour toute la viande apportée1. Bientôt, pour ne pas nuire aux marchés de Sceaux et de Poissy et surtout aux chevillards, il défendit la vente en gros sur le carreau de la halle 2. A la suite du décret de 1811, il réorganisa la halle. Le marché des Prouvaires, où elle se tenait, comptait cent places. Soixantequinze furent assignées aux bouchers de Paris; vingt-cinq seulement aux forains, que le préfet se réserva le droit de désigner. La vente en gros et le regrat furent interdits, comme par le passé. Avec de pareilles restrictions, l'admission des forains ne faisait que créer vingt-cinq privilégiés de plus, et leur concurrence ne pouvait avoir une influence sérieuse sur le prix de la viande à Paris.

La charcuterie eut aussi ses règlements. Le porc frais ne put être vendu qu'au marché des Prouvaires, où quarante étaux lui étaient réservés. Ceux-ci furent occupés par des marchands en gros désignés sous le nom de gargots, qui vendirent aux charcutiers; et grâce à la réglementation, quarante fournisseurs eurent de fait le monopole presque entier de l'approvisionnement des porcs 3.

En 1811, la police, se renfermant mieux dans les véritables limites de ses attributions, interdit aux charcutiers, comme aux bouchers, ces étalages repoussants de viande qui pendait jusque sur le pavé; défendit aux charcutiers de faire usage de vases en plomb ou en poterie vernissée, de sel de morue, de varech ou de sel des salpétrières. Le préfet entrait dans les plus minutieux détails sur la construction des caves, cuisines et boutiques, et montrait plus d'exigences encore à l'égard des charcutiers qu'il n'avait fait, en 1803, à l'égard des bouchers. Il y avait peut-être

2. Ord. du 17 nov. 1803.

1. Ord. du préfet de police, du 5 janv. 1803.
3. Ord. u 24 avril 1804. - 4. Ord. du 29 janv. 1811.

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