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théâtres secondaires à payer une redevance aux théâtres principaux1.

L'administration intervint aussi dans un genre de plaisir plus grossier; elle soumit à l'autorisation préalable les cabaretiers et autres débitants de boissons: de là le droit de limiter le nombre, d'interdire à certains individus l'exercice de la profession, de faire fermer les établissements à certaines heures 2. L'intérêt de la morale impose des devoirs à l'État : il légitimait la surveillance de la police, mais il n'exigeait ni une réglementation luxuriante ni la confiscation de la liberté. Il se produisit ainsi une singulière anomalie qui est demeurée: une maison où l'on vend à boire et à manger, étant un cabaret, ne peut être ouverte sans autorisation et peut être fermée sans indemnité, tandis qu'une maison où l'on vend à boire et à manger et où l'on loge, étant réputée auberge, est à peu près régie par le droit commun, sans que l'ordre public en ait été troublé.

Le crédit commercial et le crédit de l'État sont intimement liés dans un grand pays comme la France. Bonaparte l'avait parfaitement compris et ses premières mesures sur cette matière avaient été pour la plupart des bienfaits; la liberté n'avait eu à regretter que le rétablissement de la corporation des agents de change dans les principales villes de France. La création de la Banque de France avait été, sans contredit, une des plus heureuses pensées de cette période féconde.

Il existait déjà plusieurs banques sous le Directoire. Dès 1796, la Caisse des comptes courants avait émis des billets au porteur, et avait, pendant quelque temps, fait descendre l'intérêt de 9 à 6 pour 100; en 1798, la Caisse d'escompte du commerce avait été fondée par une société de riches manufacturiers de Paris; le comptoir Jabach, par de petits fabri

1. Décrets du 8 juin 1806, et du 29 juillet 1807.

2. Loi du 5 mai 1806 et décret du 15 décembre 1813.

3. Loi du 28 ventôse an IX (19 mars 1801). Les agents de change furent soumis à la nomination du chef de l'Etat, au cautionnement, au serment, à la juridiction du syndicat. Ils n'acquirent qu'en 1816 le droit de « présenter à l'agré nt de Sa Majesté des successeurs. >>

cants. C'étaient des germes que la paix eût pu faire fructifier, mais dont les troubles politiques et les revers de la guerre étouffaient le développement : le taux de l'escompte était généralement, en 1799, de 3 à 4 pour 100 par mois.

Quelques jours après le coup d'État, sept banquiers, à la tête desquels se trouvait Perregaux, s'associèrent pour fonder, sous le nom de Banque de France, un établissement de crédit beaucoup plus vaste que ceux qui existaient déjà1. Le premier Consul les encourageait; il leur confia les fonds de la Caisse d'amortissement et fit ouvrir un compte courant au Trésor. Les banquiers saluaient en lui le restaurateur du commerce. Il appartient, lui disaient-ils, à celui qui a contribué si puissamment à nous rendre avec éclat le caractère imposant d'une nation guerrière, de faire connaître que cette nation est aussi appelée à se faire admirer et respecter par les effets d'une bonne économie politique et d'une saine administration. » Réunie à la Caisse des comptes courants, la Banque de France fit une fortune rapide en trois ans, elle parvint à réaliser ses 30 millions de capital, et ses actions jouirent d'une prime de 220 francs; le chiffre de ses escomptes, qui avait été de 111 millions en l'an VIII, s'éleva à 443 millions en l'an X.

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Cependant on se plaignait dans le public « de ce que la Banque n'escomptait pas assez;» on lui reprochait de ne

1. «<Les soussignés, disait l'acte d'association, considérant que par le résultat inévitable de la Révolution française et d'une guerre longue et dispendieuse, la nation a éprouvé le déplacement et la dispersion des capitaux qui alimentent son commerce, l'altération du crédit public et le ralentissement de la circulation des richesses;

«Que dans des circonstances semblables plusieurs nations ont conjuré les mêmes maux et trouvé de grandes ressources dans des établissements de banque; Que la nation française, familiarisée avec les plus grands efforts dans la conquête de la liberté, ne doit pas. se laisser opprimer plus longtemps par des circonstances qu'il est en son pouvoir de maîtriser;

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«Qu'enfin l'on doit attendre que l'intérêt public et l'intérêt privé concourront d'une manière prompte et puissante au succès de l'établissement projeté; << Ont résolu et arrêté les articles suivants, comme statuts fondamentaux d'une banque :

«Art. I. Les soussignés se réunissent et forment pour la masse actionnaire une Société de commandite sous la dénomination de Banque de France.... » 2. Voir les comptes-rendus de la Banque de France.

profiter qu'aux actionnaires et de servir surtout à escompter des effets de circulation émis par les régents dont la signature était comptée pour deux. Bonaparte s'émut de ces bruits, consulta Mollien, directeur de la Caisse d'amortissement; et, tout préoccupé de fortifier le crédit contre une crise que la rupture alors imminente avec l'Angleterre faisait présager, il voulut modifier les statuts de la Banque et l'investir du privilége exclusif d'émettre des billets à vue et au porteur. « Ne m'avez-vous pas dit, répétait-il à Mollien, que pour conserver son crédit, il fallait, en général, qu'une monnaie artificielle, comme celle des banques, ne sortît que d'une seule fabrique? J'adopte cette pensée, une seule banque est plus facile à surveiller que plusieurs, et pour le gouvernement et pour le public; quoi qu'en puissent dire les économistes, ce n'est pas en ce cas que la concurrence peut être utile. Occupez-vous dans ce sens d'un nouveau plan d'organisation pour la Banque de France, vous ne le remettrez qu'à moi seul1. »

Les régents sentirent alors le danger de s'être lié les mains en acceptant les faveurs d'un pouvoir exigeant: il fallut céder. La Banque de France eut le monopole des billets de banque et les autres établissements durent se fermer et se transformer devant la défense d'en émettre, qui leur fut faite par laloi du 24 germinal-4 floréal an XI (14 avril 1803); mais la qualité d'actionnaire ne donna plus << aucun droit particulier pour être admis aux escomptes de la Banque, » et le bénéfice des actionnaires fut limité".

Napoléon ne tarda pas à exiger d'autres garanties d'im

1. Voir les Mémoires d'un Ministre du Trésor, t. I, p. 337 et suiv. 2. L'article premier qui consacrait la révolution était ainsi conçu : « L'association formée à Paris sous le nom de Banque de France aura le privilége exclusif d'émettre des billets de banque aux conditions énoncées dans la présente loi. » L'article 7 portait : « La qualité d'actionnaire ne donnera aucun droit particulier pour être admis aux escomptes de la banque. » Le capital devait être porté à quarante-cinq mille actions. Le dividende annuel prélevé sur les bénéfices des opérations de banque, ne pouvait excéder 8 pour 100 la première année, 6 pour 100 les autres années; le surplus formerait une réserve qui serait convertie en 5 pour 100 consolidés dont la rente serait partagée entre les actionnaires, indépendamment du dividende. Le seul changement que la loi apportait à l'administration intérieure était la création d'un comité d'escompte composé de douze négociants, nommés par les cen

seurs.

partialité. Une troisième coalition venait de se former, et transportant aussitôt son armée des bords de l'Océan aux bords du Danube, il était parti lui-même pour vaincre à Ulm et à Austerlitz. Mais le commerce n'était pas dans le secret de la victoire; une guerre nouvelle effrayait les esprits et paralysait les affaires. Le crédit fut ébranlé, et les billets de banque se présentèrent au remboursement. Le bruit courait que l'Empereur avait emporté à l'armée la réserve de la Banque. Il n'en était rien. Mais ce qui était vrai, c'est que beaucoup d'officiers, avant d'entrer en campagne, avaient été échanger leurs billets contre des espèces ou retirer leurs dépôts, et que la Banque elle-même avait compromis sa réserve, déjà affaiblie, dans des opérations que le public ne connaissait qu'imparfaitement. Il y avait alors une compagnie, dite des négociants réunis, à la tête de laquelle se trouvait Ouvrard, et qui fournissait les vivres, escomptait les obligations des receveurs généraux et faisait depuis quelque temps de grandes avances au gouvernement. Cette compagnie, pressée elle-même par le discrédit général et par l'impossibilité de faire venir, à travers les escadres anglaises, l'or qu'elle attendait du Mexique, ne se soutenait que par l'argent qu'elle puisait dans les caisses des comptables de l'État et par les billets de la Banque qu'elle obtenait en escomptant ses propres effets et les obligations des receveurs. Une fâcheuse confusion s'était introduite dans les affaires de la compagnie, du Trésor et de la Banque.

La quantité des billets émis augmentait au moment même où le ralentissement des affaires ne permettait d'en conserver qu'une moins grande quantité dans la circulation. Aussi le public assiégeait-il la caisse, et enlevait-il par jour près d'un million et demi d'espèces. Comme le remboursement de chaque jour, rendu lent à dessein, était loin de suffire aux demandes, les billets de banque devenaient de véritables effets à terme, et perdaient dix pour cent. Joseph qui remplaçait l'Empereur absent, résolut de dissiper par la force armée les rassemblements qui se formaient autour de la Banque et de faire rembourser les billets dans les douze mairies auxquelles la régence enverrait chaque jour la somme d'ar

gent dont elle croirait pouvoir disposer. Ces mesures furent mises à exécution. La Banque, s'érigeant en arbitre des besoins du commerce, prétendit que 500 000 francs suffisaient à la circulation ordinaire et ne remboursa que 500 000 francs par jour. Encore pour se procurer cet argent, était-elle obligée de mettre à contribution les banquiers de province qui ramassaient des espèces pour son compte; et, le lendemain, ces mêmes espèces reprenaient le chemin de leur province, si bien, dit spirituellement Mollien, « que l'argent pouvait souvent manquer partout, excepté sur les grandes routes. »

La crise n'en fut que plus violente. Il ne fallait rien moins que la rapidité des triomphes de la grande armée pour mettre un terme à cette situation. Quand Napoléon revint en France, le calme était rétabli; la veille de sa rentrée, la Banque avait repris ses payements réguliers en espèces. Mais le commerce avait souffert; les escomptes, qui avaient été de 630 millions l'année précédente, ne dépassèrent pas, cette année-là, 255 millions.

Napoléon résolut de prévenir le retour du mal, en subordonnant l'influence des intérêts privés à l'autorité du gouvernement. « La Banque, disait-il au Conseil d'État, n'appartient pas seulement aux actionnaires, elle appartient aussi à l'État, puisqu'il lui donne le privilége de battre monnaie. » Émettre des billets n'est pas positivement battre monnaie; mais il n'en est pas moins vrai que l'État acquiert sur une banque des droits très-grands par le privilége qu'il lui confère. Une conséquence en entraîne une autre quand un établissement accepte les bénéfices d'un monopole, il reconnaît implicitement sa dépendance vis-à-vis celui qui le lui accorde. Sur le rapport de Saint-Jean d'Angely une loi nouvelle fut rendue, qni mettait la Banque dans la main de l'État. Trois receveurs généraux durent faire partie du conseil de régence. Le capital fut doublé et le pouvoir exécutif fut remis à un gouverneur, assisté de deux sous-gouverneurs, tous trois nommés par l'Empereur1.

1. Loi du 22 avril-2 mai 1806. - Cette loi prorogeait le privilége de la Ban

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