Page images
PDF
EPUB

Napoléon concevait pour sa banque ainsi régénérée de vastes destinées. Il pensait la constituer caissière de l'État, en la chargeant de l'administration de la dette1, et nourricière du commerce, auquel elle devait procurer dans toute l'étendue de l'Empire l'escompte à bon marché. Mollien, persuadé que la solidité du crédit tenait à la prudence des opérations, lesquelles devaient demeurer purement commerciales et être toujours surveillées de près, combattit ces deux pensées, fit abandonner la première et tint la seconde en échec. Cependant Napoléon, qui trouvait scandaleux2 » que la Banque escomptât à 6 pour 100, prétendit l'obliger à abaisser le taux. Celle-ci obéit et descendit l'escompte à 53, puis à 4 la prospérité des affaires lui permettait alors

:

que de 25 ans, au delà des 15 années accordées par la loi du 24 germinal c'est-à-dire jusqu'en 1843; elle doublait le capital et le portait à 90 000 actions que la Banque resta libre d'émettre quand elle le jugerait convenable; elle lui rendait la libre disposition de sa réserve et ordonnait qu'à l'avenir le dividende, outre les 6 pour 100 fixés par la loi du 24 germinal, fût composé des deux tiers du bénéfice annuel. La loi faisait ainsi des avantages aux actionnaires et à la Banque; mais elle la soumettait directement à l'autorité impériale. Le Conseil d'Etat devenait son juge; ses statuts devaient être soumis à l'approbation de l'Empereur; trois receveurs généraux devaient faire partie de la régence; un comité particulier des relations avec le Trésor était créé ; elle serait administrée à l'avenir par un gouverneur et deux sousgouverneurs nommés par l'Empereur; le gouverneur recevait sur les fonds de la Banque 60000 francs d'appointements; chacun des sous-gouverneurs 30000 francs. Il est vrai que, pour les intéresser à la prospérité de l'établissement et pour les empêcher d'abuser de leur puissance, on exigeait que le premier possédât cent actions, chacun des autres cinquante, et on défendait à tous trois de jamais présenter à l'escompte des effets revêtus de leur signature. « La direction de toutes les affaires de la Banque, disait l'article 10, déléguée à son Comité central par la loi du 24 germinal an XI, sera désormais exercée par un gouverneur de la Banque de France. » Ce gouverneur devait présider les assemblées, nommer et destituer les employés ; aucune délibération n'était valable qu'avec sa signature; nul effet ne pouvait être escompté que « sur la proposition du conseil général et sur l'approbation formelle du gouverneur. » La Banque se trouvait loin de l'esprit de ses premiers statuts.

1. Cette pensée était surtout celle de Cretet, premier Gouverneur de la Banque, qui le développa dans son discours d'installation, disant que le but de la Banque était de devenir le centre de toutes les branches de crédit dont se compose le crédit général. »

2. Corr. de Nap. XIII, 652. Lettre de Berlin, 14 nov. 1806.

3. 14 Novembre 1806.

4. 5 Août 1807. Voir Corresp. de Nap. 31 juillet 1807. Le même jour, il ordonnait de rédiger le projet de loi sur l'intérêt légal.

cette générosité. Elle se plia moins facilement à l'extension de ses affaires hors de Paris. Elle n'ouvrit que deux comptoirs, un à Rouen, un à Lyon1, et annonça la création d'un troisième à Lille', qu'elle n'avait pas encore installé à l'époque de la chute de l'Empire. Les régents, sagement circonspects, craignaient les aventures. Napoléon, préoccupé de la solidarité des villes manufacturières et commerçantes et convaincu des avantages de l'unité, était plus hardi et voulait, malgré la Banque, tenter dans le présent un type d'institution de crédit que, plus tard, cette même Banque devait être jalouse de réaliser et dont elle recueille les profits.

La France aurait pu s'en tenir au régime de l'année 1800. On conçoit parfaitement un système admettant la concurrence des billets de banque et laissant chaque maison maîtresse d'en émettre sous condition du remboursement à vue; le commerce s'y serait plié et, à mesure que le rétablissement de l'ordre aurait ranimé la prospérité, on aurait pu voir, comme avec le système de l'unité, s'abaisser le taux de l'escompte. Mais les billets, provenant de sources diverses et inégalement riches, auraient inspiré moins de confiance; la circulation en eût été moins facile et les accidents, causés par des faillites particulières, eussent été probablement plus fréquents. A cet égard, il y avait avantage à remettre le monopole à un seul établissement. Napoléon ne portait pas une atteinte grave à l'industrie de la banque et de l'escompte, laquelle restait accessible à tous; car une seule des nombreuses formes du papier de crédit, celle du billet ayant la double qualité de payable au porteur et de payable à vue, était réservée. Or, sous cette forme, le papier a pour objet de remplacer les espèces; il fait fonction de monnaie; et, comme il n'a pas de valeur intrinsèque, l'État, sans violer les droits de la liberté, peut, au nom de l'intérêt général, en régler l'émission, comme il fait des monnaies de billon ou de cuivre.

Mais la pensée de fixer l'intérêt commercial sans tenir compte des conditions du marché était une erreur empruntée

1. Décret du 24 juin 1808. — 2. Décret du 29 mai 1810.

aux traditions de l'ancien régime. Napoléon y tenait1. L'escompte à bon marché est une chose désirable; il n'en voulait pas savoir davantage et il croyait que sa volonté suffisait pour que le désirable devînt le réel. Il rendit, en conséquence, la loi du 3-13 septembre 1807, par laquelle il arrêta que << l'intérêt conventionnel ne pourra excéder, en matière civile, 5 pour 100, ni en matière de commerce 6 pour 100'.» Le commerce des capitaux fut de nouveau serré dans les liens où l'avait emprisonné la malveillance du moyen âge à l'égard de la fortune mobilière. Ces préjugés d'un autre temps s'imposèrent à une société fondée sur le travail libre.

La réglementation ne porta pas seulement sur les carrières libérales, sur les plaisirs publics et le commerce des capitaux; elle s'étendit aussi, pour divers motifs, sur des industries manufacturières.

Nous avons dit que les tabacs avaient été confisqués au profit du Trésor. Dans l'intérêt de la sûreté publique, le Directoire avait décidé que la poudre ne pourrait être fabriquée que dans les manufactures de l'État. L'Empire décida que l'industrie privée ne pourrait livrer d'armes à feu qui n'eussent été éprouvées, ni fabriquer d'armes semblables à celles qui sortaient des ateliers de l'État, sans avoir obtenu une autorisation spéciale".

1. Dès 1806, pendant sa campagne de Pologne, il écrivait au gouverneur : << Vous savez que nous voulons rétablir l'intérêt légal à 5 pour 100. » Lettre de Posen, 29 nov. 1806. Corresp. de Nap. t. XIII.

2. Article 1 de la loi du 3-13 septembre 1807.

3. Loi du 13 fructidor an V (30 août 1797). L'administration de la guerre avait seule la fabrication, conservant pour les besoins du service public la poudre de guerre et livrant aux consommateurs la poudre de chasse et la poudre de mine par l'intermédiaire de l'administration des contributions indirectes. L'Empire conserva ce monopole productif.

4. L'Etat fabriquait ou faisait fabriquer par des entrepreneurs ses armes de guerre dans les manufactures impériales; jusque-là rien de plus légitime. Il prescrivit (décret du 30 septembre 1805) qu'aucune arme de modèle et de calibre de guerre, quelles que fussent sa nature et sa destination ne pourrait être fabriquée hors de ses manufactures ou sans l'autorisation préalable du ministre. Par un décret du 14 décembre 1810, il déclara que les armes pouvaient être saisies comme appartenant à l'État, si leur calibre n'était pas au moins à deux millimètres au-dessus ou au-dessous du calibre de guerre. Il ordonna en même temps que toutes les armes à feu destinées au commerce fussent essayées, et il institua à cet effet, dans les villes renfermant des ateliers

Les maîtres de poste étaient déjà établis en vertu d'une Commission du gouvernement. L'Empire fit peser le poids de leur privilége sur tous les entrepreneurs de voitures publiques, lesquels furent obligés de se servir des chevaux de la poste ou de payer une indemnité de vingt-cinq centimes par poste et par cheval attelé2; il atteignit même ceux qui, pour échapper à la loi, prenaient des chemins de traverse. Il fallut des règlements minutieux pour fixer la nature des voyages à petites journées, des voitures suspendues ou non suspendues. La loi et les tribunaux furent obligés de lutter de subtilité avec l'entrepreneur, qui imaginait mille ruses pour se dérober à l'impôt. On ne maintenait les droits du monopole qu'en gênant à la fois l'industriel et le public. Les entreprises de messageries avaient d'ailleurs plus d'une chaîne soumises à la loi sur le poids et le chargement et à l'autorisation préalable", elles étaient doublement compromises par les restrictions du monopole et par la surveillance de la police.

4

L'exploitation des mines soulève les questions les plus délicates en matière de propriété; la Constituante les avait mal résolues. L'Empire hésita plusieurs années. Après avoir déclaré dans le Code civil que la propriété du sol emportait « la propriété du dessus et du dessous", » il recula devant l'application et rédigea laborieusement une loi spéciale sur la matière. Il n'admit complétement le principe que pour les carrières; mais il soumit à de nombreuses servitudes les propriétaires de terrains renfermant des pyrites ou des minerais de fer d'alluvion; il les obligea à exploiter en quantité suffisante pour fournir, autant que

d'armurerie, un éprouveur commissionné par le maire, et un syndicat de six armuriers chargés d'assister aux épreuves.

1. Voir les lois du 23 et 24 juillet 1793 et du 9 veud. an VI (30 sept. 1797). 2. Loi du 15-25 ventôse an XIII (6-16 mars 1805), et déc. du 20 mai 1805. 3. Décret du 6 juillet 1806.

4. Lois du 29 Floréal an X, et du 7 ventôse an XII, (20 mai 1802 et 27 février 1804).

5. Décret du 28 août 1808.

7. Code Nap., Art. 552.

6. Loi du 4 et 5-12 juillet 1791.

8. Le projet, rédigé par Fourcroy, subit quatorze rédactions avant d'être adopté.

D

faire se pourra, aux usines établies dans le voisinage, et, prévoyant dans cette vente forcée le cas où l'acheteur et le vendeur ne s'entendraient pas, il déclara que des experts fixeraient le prix auquel le minerai devait être livré; il autorisa même les préfets à substituer, dans l'exploitation de la minière, un ou plusieurs maîtres de forge au propriétaire qui aurait cessé de travailler pendant un mois ou qui ne fournirait qu'une trop faible quantité de minerai1. Quant aux mines proprement dites, il les considéra comme des propriétés d'un ordre particulier, entièrement distinctes du fonds de terre, et, sur ce point, il fit sagement. La découverte d'une mine fut donc la création d'une propriété nouvelle que l'État se réserva le droit de concéder à titre perpétuel; il fut libre de faire la concession à qui il jugeait le plus capable d'exploiter, sans que le propriétaire du fonds ni l'inventeur pussent réclamer autre chose qu'une indemnité. Cette indemnité fut fixée par l'acte de concession, et le propriétaire de la surface fut de plus assujetti à toutes les servitudes nécessaires pour l'exploitation, sous la condition toutefois d'une autre indemnité préalable. Le concessionnaire, de son côté, fut soumis à une redevance annuelle et à la surveillance permanente d'un corps spécial d'ingénieurs 2.

Par une extension que ne légitimait plus la nature particulière de la propriété, la réglementation s'étendit des mines aux hauts-fourneaux qui emploient le minerai et qui furent autorisés, dans certains cas, à exploiter d'autorité les minières d'autrui. Ils ne purent être établis qu'après enquête, avis de plusieurs administrations et autorisation du Conseil d'État. Les forges et, en général, les usines destinées à mettre en œuvre le fer ou le cuivre, subirent les mêmes conditions3.

Une mesure plus générale étendit bientôt l'autorité administrative sur presque toute la grande industrie. L'année même où étaient promulgués le décret relatif à l'imprimerie

1. Loi du 21 avril 1810, titre VII. 2. Ibidem, tit. III, IV et V. 3. Loi du 21 avril 1810, art. 73, 74 et 75.

« PreviousContinue »