Page images
PDF
EPUB

emportée par d'autres courants et il oublia bientôt ce qu'il avait écrit. La réglementation fut loin de se détendre. Ainsi, le nombre des établissements soumis à l'autorisation prescrite par le décret du 15 octobre 1810 s'est élevé, en quarante ans, à 360 espèces. Les oppositions, dans l'enquête, devaient être fondées sur l'incommodité du voisinage, et cependant on a vu des agents forestiers, soutenus par un ministre, protester contre le projet de création d'une usine, parce qu'elle était capable de faire renchérir le bois au préjudice des habitants1.

[ocr errors]

Les restrictions mises au régime général de la liberté ont aussi le grand défaut de créer un droit hors du droit et de jeter la jurisprudence dans le doute. Ainsi, les imprimeurs ont pu croire que, puisqu'ils avaient les entraves de la limitation, ils devaient en avoir les bénéfices et ils ont été conduits à attaquer la décision d'un ministère conférant un nouveau brevet 2. Ainsi, on a pu penser, d'un autre côté, que les imprimeurs, liés par leur privilége, ne pouvaient pas refuser le service de leurs presses sans un motif plausible et on leur a intenté des procès3. En dehors des grandes lignes tracées par les principes, il n'y a que sentiers tortueux et que confusion pour les esprits.

« Le grand ordre qui régit le monde tout entier, avait dit Napoléon, doit gouverner chaque partie du monde; le gouvernement est au centre des sociétés, comme le soleil; les diverses institutions doivent parcourir autour de lui leur orbite sans s'en écarter jamais. Il faut donc que le gouvernement règle les combinaisons de chacune d'elles de manière qu'elles concourent toutes au maintien de l'harmonie générale. *. » C'était une pensée juste et profonde. Napoléon s'en inspirait, lorsqu'il entourait son trône d'institutions monarchiques et que, restaurateur de l'ordre public, il préférait la régularité administrative au mouvement varié et quelquefois tumul

1. Dict. de l'Écon. politique, V° Établissements dangereux.

2. Arrêt du Conseil d'Etat, 14 mars 1834.

3. Rendu, p. 138.

4. Mém. d'un ministre du Trésor, t. I, p. 260. Voir plus haut, page 275.

tueux des volontés individuelles. Mais il ne songeait pas assez que la dictature, dont les circonstances l'avaient investi, était temporaire, et que la société, désormais fondée sur la liberté et l'égalité, devait rouler sur le pivot de ce 'double principe et non sur celui du pouvoir absolu.

CHAPITRE IV.

LA LÉGISLATION.

Enquête.

-

Nécessité des lois pour garantir la liberté. Les plaintes des villes de fabrique. - Le projet de loi au Conseil d'État. La loi du 22 germinal an XI. - Les chambres consultatives. Les chambres de commerce. Rapports des maîtres avec les ouvriers et les apprentis. - La coalition. Supériorité légale du maître sur l'ouvrier. Le livret. Exagérations des règlements de police. Atteintes diverses à la liberté de l'industrie. -Les prud'hommes. - Les marques de fabrique. Les dessins et modèles. -La marque obligatoire. — Le Code de commerce. Souvenirs de l'ordonnance de 1673. Lacunes. Caractère de la législation industrielle de l'Empire.

[ocr errors]

[ocr errors]
[ocr errors]

La liberté demeurait la règle générale de l'industrie malgré de nombreuses exceptions, et même dans les professions exceptées, la plupart des rapports entre les commerçants et les acheteurs, entre les entrepreneurs et les ouvriers, étaient soumis à cette règle. Or, la liberté n'exclut pas l'empire des lois. Elle recherche au contraire leur protection, qui la mette à l'abri des tyrannies de la force et des surprises de la fraude. Elle ne peut même développer pleinement sa féconde activité que dans une société assez éclairée pour la prendre comme le type de ses institutions, et assez policée pour la protéger dans la diversité presque infinie de son action journalière. Dans tout pays où le législateur a eu en vue, non de créer des priviléges, mais de faire respecter le droit de chacun, plus la loi est forte et précise, plus la liberté est grande. La Révolution n'avait pas eu le

loisir de fonder cette législation de la liberté ou n'avait pas cru à la nécessité de le faire ce fut l'œuvre du Consulat et de l'Empire.

Avant de l'entreprendre, le gouvernement consulta les parties intéressées, non-seulement pour régler les détails de la loi, mais pour arrêter le principe même sur lequel elle serait fondée. Car, à cette époque, avons-nous dit, au milieu des opinions contradictoires qui s'entre-choquaient, le jugement des législateurs de la France n'était pas encore fixé. C'est dans cette enquête même que le principe de la liberté triompha.« Il y a envirón soixante ans, écrivait le ministre de l'intérieur en présentant aux consuls le résumé de ses informations, que la législation convenable à la classe industrieuse devint dans toute l'Europe le sujet de la préoccupation d'un grand nombre d'hommes.... Dans tous les pays, les hommes les plus distingués demeurèrent convaincus que les individus abandonnés, dans l'exercice de leur industrie, à l'impulsion de leurs intérêts, finissent toujours par prendre la direction la plus favorable à la prospérité du corps du peuple dont ils font partie, pourvu que cette liberté de l'industrie soit universelle dans la nation, et que les lois aient pourvu aux moyens de punir les spéculateurs de mauvaise foi1. » La définition est excellente, et le gouvernement luimême aurait dû ne pas l'oublier lorsqu'il rédigeait ses règlements.

Les plaintes des villes de fabrique portaient sur quatre points: 1o la violation des contrats d'apprentissage; 2° l'habitude de violer les engagements relatifs au travail que les manufacturiers déclaraient être devenue universelle parmi les ouvriers »; 3° l'infidélité des ouvriers au sujet des matières premières qui leur étaient confiées; 4° les fraudes sur la vente des marchandises. Le gouvernement était tout disposé à y faire droit. Il avait fait préparer par le Conseil gé

1. Monit. de l'an x, p. 668. - Rapport du ministre de l'intérieur aux consuls, 13 nivôse an x. Ces paroles se retrouvent, je ne sais trop comment, dans le texte même de Thibaudeau. (Mém. sur le Cons.. p. 344.)

2. On retrouve à peu près les mêmes idées dans le rapport de Vital Roux p. 126), qui cependant se plaint que le projet primitif ait été dénaturé (p. 129).

néral d'agriculture, arts et commerce, un projet qui avait été envoyé aux conseils et bureaux de commerce des départements et qui fut soumis ensuite au Conseil d'État.

Le Conseil d'État examina les différents systèmes de police que le passé pouvait proposer comme exemples au présent, la communauté avec des statuts, le syndicat, la marque nationale facultative, telle que le règlement de 1779 l'avait instituée.... « Toutes ces idées et bien d'autres encore ont été discutées par le gouvernement; aucune n'a paru atteindre sûrement au but qu'il se propose; toutes ont laissé des incertitudes et leur adoption pouvait dès lors, résultat d'une erreur, devenir une source de regrets. Quand on invoque d'un côté, au nom de toutes les espérances, une mesure qu'on repousse de l'autre au nom de toutes les craintes; quand celui-ci défend un projet en promettant tous les genres de prospérité et qu'un autre le combat en menaçant de tous les genres de malheur, que faut-il faire ?

<< Rechercher les lumières, attendre les épreuves1... » Toutefois le gouvernement, quoiqu'il vit avec trop de chagrin les effets de la concurrence et qu'il prît parfois la mêlée des intérêts pour une confusion stérile 2, était fixé sur le point fondamental, et maintenait le principe fécond en amélioration, garant des progrès et du perfectionnement, le principe de la liberté des manufactures dans leur travail en tous les genres. » « Ce n'est pas sur cette terre où la liberté enfanta tant de prodiges si justement célébrés, qu'on osera, je ne dis pas calomnier ses bienfaits, mais même parler d'elle sans respect et sans reconnaissance. » Ainsi s'expri

1. Rapport de Regnault de Saint-Jean-d'Angély. Monit. de l'an x1, 870. 2. « La liberté, disait le rapporteur, eut jadis trop d'entraves; depuis, la licence a été sans bornes.... Il y avait trop peu de marchands, d'artisans, pour que le consommateur trouvât un avantage, une garantie contre le monopole dans la concurrence. Et depuis, la confusion des états, l'anéantisscment des professions a porté vers le négoce ou le trafic une multitude d'hommes peu éclairés qui en ont méconnu les principes et compromis le succès. »

3. Ibid. Dans cette discussion, Napoléon disait : « J'ai entendu dire de très-bonnes choses contre les jurandes, et je vois que ceux-là mêmes qui proposent la classification se défendent de les rétablir. Je n'ai point d'opinion faite sur cette question, mais je penche pour la liberté....

D - « Le

« PreviousContinue »