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la garde de ces dessins et modèles leur fut attribuée, ainsi que celle des marques1. Mais, par une bizarre contradiction, le dépôt suffit pour rendre perpétuelle la propriété d'un modèle, tandis que la loi des brevets limitait à quinze ans la jouissance exclusive de l'inventeur 2; et d'un autre côté, la pénalité draconienne, frappant comme un crime une fraude qui n'est le plus souvent qu'un délit, nuisit à l'exécution de la loi.

La protection accordée à la marque était toute dans l'intérêt du fabricant. L'Empire songea à la rendre obligatoire dans l'intérêt du consommateur, et parfois aussi dans l'intérêt de l'État. Cependant il n'osa pas s'aventurer bien loin dans cette voie, retenu non moins par les difficultés d'exécution que par les considérations purement économiques. Le Directoire la lui avait déjà ouverte en établissant le contrôle pour les matières d'or et d'argent3, et la marque pour les imprimés. La raison d'État imposa cette marque aux cartes à jouer, aux armes à feu °. Le désir de prévenir les fraudes fit rendre, à la suite du voyage que l'Empereur avait fait à Lyon, le décret sur la guimperie, les étoffes d'or et d'argent, en faux ou en mi-fin et les velours”, puis bientôt d'autres décrets sur la fabrication des draps destinés au commerce du Levant, sur les savons, sur les fils, sur les draps 11.

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On peut être séduit de prime abord par la pensée de rendre la marque obligatoire et de forcer ainsi chacun à porter la responsabilité de son œuvre, sans s'apercevoir des inté

1. Décrets du 11 juin 1809, du 20 fév. 1810, du 5 sept. 1810.

2. Relativement aux brevets, le Consulat avait sagement adopté le principe du non examen et écrit au bas des brevets qu'il n'entendait << garantir en aucune manière ni la priorité, ni le mérite, ni le succès d'une invention. » Arrêté du 22 vendémiaire an Ix.

3. Loi du 19 brumaire an vi (9 nov. 1797).

4. Loi du 28 germinal an IV (17 avril 1796).

5. Décret du 9 février 1810. - 6. Décret du 14 décembre 1810.

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7. Décret du 20 floréal an XII (10 mai 1805). —8. Décret du 21 sept. 1807. 9. Décret du 1er avril 1811. Décret du 22 décembre 1812, relatif à la marque de Marseille.

10. Décret du 14 décembre 1810.

11. Décret du 25 juillet 1810, relatif à la marque de Louviers. 22 décembre 1812, relatifs aux fabriques de draps de France.

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rêts légitimes que l'on froisse, et des impossibilités contre lesquelles on viendra échouer. Mais il faut songer que si un État impose cette obligation, c'est pour garantir la qualité du produit, que par conséquent il est entraîné à régler le détail de la fabrication, à vexer les uns au profit des autres, à porter des peines révoltantes parce qu'elles atteignent des faits innocents par eux-mêmes, que la loi a érigés en délits. Ainsi, les bijoutiers ne purent employer que de l'or contenant au moins les trois quarts de métal fin, et pourtant la mode, souvent plus forte que les lois, les sollicitait à faire des alliages connus sous le nom d'or blanc, d'or vert qui n'étaient pas compatibles avec le titre légal. On fixa pour les draps du Levant, le nombre des fils de la chaîne, la largeur du tissu sur le métier, la largeur après les apprêts, les couleurs des lisières, et on institua des jurés, des vérificateurs, des plombs particuliers.

Louviers demanda qu'on remit en vigueur un arrêt de 1782, qui lui conférait le privilége exclusif de mettre aux draps de sa fabrique une lisière jaune et bleue. Elle l'obtint; et bientôt, toutes les villes possédant des fabriques de draps, furent autorisées à adopter une lisière particulière, et à la rendre obligatoire pour tous leurs fabricants. Ce privilége aurait empêché tout manufacturier de faire concurrence aux types d'une autre ville, de sortir des genres pour lesquels sa marque était connue; on serait revenu ainsi aux mauvais errements du temps passé. Mais le règlement tomba en désuétude faute de sanction, et la liberté triompha sur ce point.

En revanche, elle eût à subir le décret sur la guimperie et le velours; l'amende, en cas de récidive, montait à 3000 francs; les étoffes étaient ou brûlées ou coupées, et les morceaux vendus au profit des hospices: il ne manquait plus, comme l'avait fait Colbert, que de les attacher au

carcan 1.

Bonnes ou mauvaises, ces institutions et ces lois étaient

1. L'art. 413 du Code pénal punit de 200 fr. d'amende ceux qui violeraient les règlements d'administration relatifs aux produits français destinés à l'exportation.

loin d'embrasser toute la législation industrielle. Ce n'étaient encore que des pierres isolées. L'édifice restait à construire. On en avait esquissé le plan dès le début du Consulat, et l'on avait songé à promulguer un Code de commerce en même temps qu'un Code civil. Le projet avait été rédigé ', présenté aux consuls par le ministre, imprimé et envoyé aux tribunaux et aux conseils de commerce. Mais ensuite il était resté plusieurs années comme enseveli dans l'oubli et il y serait peut-être demeuré si le grand nombre des faillites et l'impunité de la fraude qui irritaient Napoléon ne l'eussent determiné à reprendre ce travail. Le Conseil d'État en fut saisi de nouveau au mois de novembre 18062; et de ses délibérations sortit le Code de commerce, qui, promulgué dans le mois de septembre de l'année suivante, devint exécutoire à partir du 1er janvier 18083.

Du fond de la Pologne, Napoléon, traçant l'exposé de la situation de l'Empire, l'annonçait en ces termes : « Un Code se prépare pour le commerce, un Code muri par des discussions approfondies; il a pour objet de remettre en vigueur tout ce que l'expérience a pu faire reconnaître d'utile dans les ordonnances anciennes en les appropriant au temps présent; protégeant la bonne foi des transactions, réprimant par des lois sévères le scandale toujours croissant des faillites, il achévera de consolider le crédit, et relèvera une des professions les plus utiles et les plus honorables de l'État; il lui rendra cette antique loyauté qui doit être toujours son premier caractère". »

On avait en effet beaucoup puisé dans les anciennes coutumes et principalement dans l'ordonance de commerce de 1673 et dans l'ordonance de marine de 1681, deux des plus

1. Voir la Corr. de Nap., t. VII, p. 442. 5 déc. 1801.

2. Napoléon vint prendre lui-même part à la discussion en 1807, à son retour de Pologne.

3. Le livre I, du titre I au titre VII, fut décrété le 10 septembre 1807, et promulgué le 20, et le titre VIII, (sur les effets de commerce) fut décrété le 11, et promulgué le 21. Le livre II fut décrété le 15 septembre, et promulgué le 25. Le livre III, fut décrété le 12, et promulgué le 22. Le livre IV, fut décrété le 14, et promulgué le 24.

4. Voir Corr. de Nap., XV, 657.

remarquables monuments de l'administration de Colbert1. Mais les relations commerciales s'étaient étendues depuis le temps où régnait Louis XIV et les habitudes s'étaient modifiées. Le Conseil d'État n'y prit pas assez garde. Sur quelques points, son œuvre resta au-dessous des besoins, et, à mesure que s'est développée l'activité industrielle, on a été amené à y regretter des lacunes ou des formes étroites. C'est ainsi qu'on reproduisit presque textuellement les règles de la lettre de change, telles que les avait tracées, avec une grande précision d'ailleurs, l'ordonnance de Colbert et qu'on yajouta même, comme l'avait fait la jurisprudence du dix-hui tième siècle, la condition de la remise d'une place sur une autre. Le Tribunat voulait au moins supprimer cette dernière restriction; le Conseil d'Etat la maintint. En matière d'association, on s'attacha aux traditions du passé : l'ordonnance ne reconnaissait que deux espèces, la société genérale et la société en commandite. Le Conseil voulait aussi se tenir à deux espèces, et ce ne fut pas sans difficulté qu'entre la société en nom collectif et la société anonyme il fit une place distincte pour la société en commandite; il entoura les deux dernières de précautions contre la fraude, le plus souvent légitimes, toujours sevères et quelquefois minutieuses, et il rejeta à la fin du titre l'association en participation qu'il considérait, avec raison, comme une forme

1. Ainsi dans le premier livre, sur 189 articles, j'en ai relevé 56 presque textuellement empruntés à l'ordonnance de 1673 et 5 à l'ordonnance de 1681; le second livre est en grande partie extrait de l'ordonnance de 1681.

2. « Ce mode, disait le Tribunat, est devenu une vaine forme. Au fond, on ne voit aucun motif solide dans la nécessité de la remise de place en place. La lettre de change est de sa nature une subrogation de la part d'un particulier en faveur d'un autre, au droit qu'il a ou qu'il aura de faire remettre une somme de la part d'un tiers, de suite ou à une époque convenue. Ce contrat exige-t-il, pour sa perfection, cette forme illusoire de remise de place en place? Le Conseil d'Etat rejeta l'amendement, en donnant pour raison que la lettre de change n'aurait plus été que le simple mandat. Voir Locré, Comm. du Code de Comm., p. 12.

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3. Aux deux espèces mentionnées dans l'ordonnance de 1673, les rédacteurs du projet avaient ajouté la Société par action et la Société en participation; la section réduisit à trois, en disant que la participation n'étant qu'un fait passager ne donnait pas lieu à une Société ; le Conseil d'Etat ne voulait que la Société en nom collectif et la Société anonyme; mais on lui prouva que la Société en commandite différait essentiellement de la Société anonyme,

accidentelle et secondaire. Pour les assurances, il copia l'ordonnance de 1681, et par conséquent les assurances maritimes furent réglées, mais il ne fut question ni des assurances terrestres qui avaient déjà une certaine importance en France, ni des assurances sur la vie, dont on ne trouvait alors d'exemples qu'en Angleterre.

La timidité du Conseil d'État à admettre des formes nouvelles provenait surtout du désir de ne laisser aucune prise à la mauvaise foi et aux spéculations ténébreuses; il ne faut pas trop l'en blâmer, il faut même le louer d'avoir consacré celles des formes anciennes dont une longue expérience avait montré la solidité. Mais on peut lui adresser le reproche de n'avoir pas traçé un cadre assez large. Au lieu d'un Code de commerce, c'était un Code de l'industrie et du commerce qu'il aurait dû rédiger. Car entre les deux la distinction est parfois impossible et le plus souvent inutile à marquer. L'une et l'autre créent entre les hommes des rapports d'une nature particulière qui doivent être déterminés par des lois spéciales; il eut été bon que ces lois, et en particulier celle du 22 germinal an xi, y fussent réunies en un même corps, de façon à ce que tout homme fabriquant et trafiquant connût facilement ses droits et ses devoirs, comme chaque citoyen apprend les siens dans le Code civil. Au début auraient pu figurer sous le titre de propriété industrielle les brevets d'invention et les marques de fabrique; à côté des tribunaux de commerce, les conseils de prud'hommes auraient trouvé leur place, et les rapports des maîtres avec leurs ouvriers pouvaient y être déterminés aussi bien que « l'engagement et les loyers des matelots et gens de l'équipage1..

α

Le Code traita seulement dans ses quatre livres du commerce en général, du commerce maritime, des faillites et banqueroutes et de la juridiction commerciale, autrement dit régla, non sans méthode, comment les entreprises sont formées, détruites et jugées. Mais sur quelques points même de ces sujets l'édifice resta imparfait.

1. Livre II, titre V.

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