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La législation industrielle de l'Empire ne fut donc ni complète ni exempte de défauts. Il n'est pas étonnant qu'il en fût ainsi dans les circonstances où le gouvernement la fondait, avec la diversité des opinions admises au conseil, avec le désir de fixer l'incertitude sur des questions relatives à la liberté du travail que l'expérience n'avait pas encore suffisamment éclairées ou qu'elle semblait avoir enveloppées dans le même discrédit que les désordres de 93. Dans la perspective de l'histoire, on aperçoit souvent entre la conduite et les principes d'un gouvernement des incohérences que les contemporains, dominés par la passion ou par l'intérêt du moment, ne soupçonnent pas. Néanmoins cette législation, prise dans son ensemble, marqua un progrès nouveau dans les destinées de l'industrie; la création des chambres consultatives des arts et manufactures, l'institution des livrets et des conseils de prud'hommes, la reconnaissance de la propriété des marques et modèles de fabrique, la publication d'un Code de commerce étaient en elles-mêmes des mesures excellentes dont le temps pouvait aider à reconnaître et à corriger les imperfections. Elles organisaient en quelque sorte la liberté du travail qu'il est beau de proclamer, mais qu'il est difficile d'entourer de solides garanties. La Révolution avait eu le premier de ces mérites; l'Empire, malgré quelques écarts, eut le second.

CHAPITRE V.

L'ART ET LA SCIENCE DANS L'INDUSTRIE.

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Rétablissement de la sécurité et du crédit. Création de la Société d'encouragement. Active sollicitude du premier Consul.- Luxe de la Cour des Tuileries. Exposition de 1801 et de 1802. Fox à l'Exposition. Amoindrissement des fabriques pendant la Révolution. - Reprise des affaires. Crise de 1803, de 1805 et de 1807. Union de la science et de l'industrie.

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Exposition de 1806. Progrès accomplis par la chimie. Commencements de la mécanique. —Le métier Jacquart. — Les forges. — Industries textiles. — Richard Lenoir. —Ph. Girard. —Rapports de l'art et de l'industrie L'école de David. Gros et Prudhon. Fontaine et Percier. Canova. Les Didot. Porcelaines et poteries. Tissus Défauts de l'ébénisterie. — Tendance

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de luxe. Thomire. Jacob. nouvelle de l'industrie.

La sécurité est la première condition du progrès industriel; elle est en quelque sorte l'air vital que respire le travail. Le Consulat n'eût-il pas procuré à la société française d'autre avantage que de lui rendre cette sécurité, indispensable à toute existence régulière, les ateliers se seraient rouverts, les manufactures se seraient multipliées, les capitaux, accrus par l'activité de la production, auraient coulé avec la confiance vers les entreprises industrielles, et la liberté aurait d'elle-même porté de bons fruits. Mais les efforts d'un gouvernement guidé par le désir et par l'intelligence du bien peuvent ajouter au bienfait de la sécurité. Ces efforts ne firent pas défaut à l'industrie; durant plusieurs années, ils en secondèrent les progrès jusqu'au jour où, sous l'inspiration d'une politique toute belliqueuse,

ils en contrarièrent le développement naturel, au grand dommage de la richesse nationale et de la fortune de Napoléon.

Le Directoire s'était traîné, jusqu'au dernier jour, de banqueroute en banqueroute; le discrédit de l'État avait fait fuir l'argent et avait lourdement pesé sur le crédit commercial. Dès les premiers mois du nouveau gouvernement, la régularité introduite dans le service de la trésorerie, le payement des rentes en argent, la création de la Banque de France firent monter la rente, rappelèrent le numéraire et abaissèrent bientôt à 7 et à 6 pour 100 par an le taux de l'escompte. .... Cette France, disait un contemporain, est si riche, elle est si industrieuse, qu'à peine l'orage a cessé de gronder, toutes les traces de ses malheurs ont disparu, ses ateliers ont été repeuplés; il s'en est formé de nouveaux; il s'en forme encore tous les jours, et si la guerre n'avait interrompu son commerce, sa prospérité n'aurait peut-être rien de comparable dans les temps les plus brillants de l'ancienne monarchie1. »

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Des hommes éminents, tels que Monge, Conté, Berthollet, Fourcroy, Chaptal, comprirent que, la liberté se trouvant consacrée par le rétablissement de l'ordre, le moment était venu « d'exciter l'émulation, de répandre les lumières, de seconder les talents, et ils fondèrent, dès 1801, la Société d'encouragement pour l'industrie nationale, ou plutôt ils renouvelèrent une société qui avait été formée sous le même nom en 1789. Ils se donnaient pour mission de recueillir partout les découvertes utiles aux arts et de les répandre, de propager l'instruction industrielle, de provoquer des expériences, de secourir les artistes malheureux et de distribuer des récompenses. Ils avaient réuni environ trois cents souscripteurs, dès le début; et, le 9 brumaire an x, la Société tint sa première réunion dans une des

1. Rapport de Vital Roux, p. 59.

2. Les noms des principaux fondateurs étaient Chaptal, Lasteyrie, Delessert, Berthollet, Conté, de Gérando, Fourcroy, F. de Neufchâteau, Frochot, Guyton de Morveau, Monge, Costaz, Montgolfier, Parmentier, Perregaux, Récamier, Ternaux, Vilmorin, etc.

salles de l'hôtel de ville. Le baron de Gérando présidait, et, plein de la confiance qui animait alors les hommes les plus éclairés, il s'écriait : « Sous quels auspices plus heureux pouvait-elle naître? Elles ont disparu ces institutions anciennes qui enchaînaient l'industrie et flétrissaient les artistes; ils ont disparu aussi ces préjugés révolutionnaires qui portèrent partout la destruction avec le désordre. Elles sont tombées à la voix d'un héros pacificateur, ces barrières qui séparaient le peuple français des autres peuples. Six mois ont suffi pour nous rendre l'amitié de cent nations et pour assurer la paix de l'univers 1.... La France comptait en profiter pour tourner toute son activité vers les arts pacifiques. Malgré le renouvellement de la guerre, qui ne tarda à assombrir cet horizon, la Société poursuivit son œuvre; elle proposa des prix, et elle eut la satisfaction d'en décerner un grand nombre à d'utiles inventions qu'elle avait elle-même provoquées2. Pendant toute la durée de l'Empire et après l'Empire, auquel elle a survécu, elle rendit à l'industrie des services signalés.

Le premier Consul, qui voulait être présent partout, avait pris pour son compte cent actions de la Société et cherchait à communiquer à tous son infatigable ardeur. Tantôt seul, tantôt accompagné de ses collègues, il parcourait les ateliers, questionnait les fabricants, ou donnait au ministre de l'intérieur l'ordre de continuer ces visites, quand les affaires de l'État le retenaient ailleurs3. Il écoutait les

1. Voir le Moniteur de l'an x, p. 192.

2. Parmi les inventions qu'elle a provoquées par des questions mises au concours, ou qu'elle a encouragées par des récompenses, on peut citer les machines à fabriquer les filets de pêche, le perfectionnement de la fabrication du bleu de Prusse, le procédé pour juger instantanément de la qualité du verre, les machines à filer et à carder la laine, la carbonisation du bois, diverses applications économiques de chauffage, la fabrication des poteries, de la fonte de fer, du vernis, des cuirs imperméables, les lampes de sûreté, les procédés de clichage, les lampes à courant d'air, les serrures de sûreté, la simplification du métier à bas, la fabrication des vis à bois, du fer-blanc, de l'acier fondu, la construction des fours à chaux. Voir les rapports de Costaz, entre autres celui de 1808. Monit. de l'année 1808, p. 1010. Voir aussi les Bulletins publiés par la Société.

3. Parmi les manufactures qui furent visitées, on peut citer la fabrique

réclamations, il ouvrait lui-même, au nom de l'État, des concours industriels' ou dotait certains établissements 2. Il invitait les préfets à envoyer des ouvriers d'élite pour apprendre, dans un tissage-modèle établi à Passy, le maniement de la navette volante'. Il se rendait lui-même à SaintQuentin pour vider le différend qui partageait depuis longtemps les ingénieurs relativement au tracé du canal, et il faisait commencer les travaux, aux applaudissements du commerce; il séjournait quelque temps à Lyon et il voyait avec joie la manufacture de soieries se relever de ses ruines. «Le bien-être de la République est sensible depuis deux ans, écrivait-il à ses collègues. Lyon, pendant les années VIII et IX, a vu accroître sa population de plus de vingt mille âmes, et tous les manufacturiers que j'ai vus de SaintÉtienne, d'Annonay, etc., m'ont dit que leurs fabriques sont en grande activité. Toutes les têtes me paraissent pleines d'activité, non de celle qui désorganise un empire, mais de celle qui les crée et qui produit leur prospérité et leur richesse ".

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Tel était en effet le sentiment général. Les salons se rouvraient en même temps que les ateliers. Le premier Consul donnait l'exemple. Il s'était établi aux Tuileries et il y fit revivre peu à peu, avec l'usage des grandes réceptions, une

de lampes à courant d'air de Lange, la filature de lin de Fournier, la briqueterie de Stainville, la fabrique de limes de Raoul, etc.

1. Un des premiers prix fut proposé pour le perfectionnement des machines à carder la laine. Arrêté du 22 messidor an ix. Voir Monit. de l'an x, p. 1374.

2. Autorisation donnée à la manufacture des bonnets de Tunis, à Orléans, de s'appeler Manufacture nationale. Subvention de 6000 livres par mois à la manufacture de Sèvres, qui ne faisait plus guère que de la porcelaine ordinaire pour avoir un plus grand débit. « Si la manufacture de Sèvres cesse de faire du très-beau.... la France perdra.... Voir Monit. de l'an x, p. 761 et 1472.

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3. On en envoya de l'Hérault, de la Lozère, de l'Aude, du Tarn, du Gard, de l'Aveyron. Ils devaient être entretenus sur le produit de centimes additionnels portés au budget départemental. (Monit. de l'an x, p. 393). Plus tard, on ouvrit au Conservatoire des arts et métiers une école gratuite pour la filature du coton. (Monit. de l'an XII, p. 1239.)

4. Voir Corr. de Nap., t. VIII, p. 14.

5. Lettre adressée de Lyon aux consuls, 16 janvier 1802, cité par M. Thiers (t. I, p. 699, éd. de 1851).

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