Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

partie des formes de l'ancienne étiquette. « L'épée et les bas de soie, dit un contemporain, remplacèrent le sabre et les bottes. Mme Bonaparte, séduisante par sa bonne grâce, attira dans ses salons les familles aristocratiques auxquelles la loi d'amnistie avait permis de rentrer dans leur patrie. Quelques ministres, Talleyrand surtout, puis bientôt tous les grands personnages eurent aussi leurs réceptions. Les fêtes publiques devinrent somptueuses. La décoration des appartements, la parure des femmes, les costumes officiels des hommes donnèrent à certaines industries une activité qu'elles ne connaissaient plus depuis les derniers jours de Versailles.

Un homme qui était à la fois savant distingué, grand mánufacturier et grand inventeur, administrateur habile et actif, Chaptal avait été appelé au ministère de l'intérieur, et c'était à son initiative qu'était due une notable partie des mesures prises en faveur de l'industrie. Favorisé par les circonstances, il reprit l'ingénieuse idée qu'avait le premier mis en pratique, sous le Directoire, François de Neufchateau 2, et ouvrit une exposition pendant les jours complémentaires de l'an ix (1801). Mais, en 1798, Paris et ses environs avaient pour ainsi dire seuls pris part à la fête. En 1801, Chaptal voulut que la France entière y figurât et il fit savoir à tous les préfets les désirs du gouvernement. « Je vous invite à les faire connaître dans toutes les manufactures de votre département; vous direz à ceux qui les dirigent, que les mains qui ont gagné tant de batailles vont aujourd'hui creuser des canaux et vivifier les ateliers3.... » Des portiques avaient été construits dans la cour du Louvre. Les produits y furent classés par département. Le public s'y porta en foule. Bonaparte y vint, interrogeant, encourageant les fabricants. Des médailles furent décernées aux plus méritants, et les consuls, obéissant à une pensée qui était chère

1. Mémoires sur le Consulat (par Thibaudeau), p. 15 et 65.

2. Dans sa circulaire du 13 ventôse, Chaptal disait : « Une exposition semblable eut lieu vers la fin de l'an vi, et de cette époque datent les premières espérances de nos fabriques. » (Monit. de l'an ix, p. 896.)

3. Circulaire du 20 germinal. Monit. de l'an ix, p. 896.

4. Des médailles furent décernées à Didot (stéréotypie); Herhan (stéréoty

à tous les manufacturiers et qui contenait déjà en germe le système d'exclusion si rigoureusement appliqué sous l'Empire, arrêtèrent que dans tous les ouvrages ordonnés par les autorités constituées on ne ferait usage que de produits français1.

L'année suivante, la même fête se renouvela avec plus d'éclat. Il y avait eu 229 exposants en 1801; il y en eut 540 en 1802. A côté des tissus de laine qui étaient l'orgueil de la fabrique française, on avait remarqué, en 1801, de belles cotonnades, la porcelaine de Sèvres, les maroquins de Choisy, les tapis de Sallandrouze; et le métier encore imparfait de Jacquart avait obtenu une médaille de bronze. En 1802, on vit un peu d'acier fondu, les premières faux sorties de l'usine de Bischwiller; Montgolfier, déjà récompensé pour ses papiers peints en l'an ix, reçut une médaille d'or pour son bélier hydraulique le règne des machines approchait.

Chaptal fit les honneurs de cette exposition à lord Cornwallis et à Fox que les négociations de la paix avaient amenés à Paris. Fox admira les richesses étalées sous ses yeux, mais remarqua avec malice qu'on ne voyait aucun de ces objets d'un usage vulgaire, réunissant, comme en Angleterre, le bon marché et la bonne confection. Chaptal le conduisit à l'étalage d'un coutelier de Thiers, lui fit voir des eustaches de trois sous que le fabricant n'avait pas même pris la peine de mettre en évidence. Fox fut ravi, remplit ses poches de ces petits couteaux, vit ensuite un horloger de Besançon qui livrait au prix de treize francs des montres avec boîte en argent, et « avoua franchement qu'il venait de prendre de l'industrie française une idée toute différente de celle qu'il en avait eue jusqu'alors. » Fox avait raison des industries de luxe peuvent fleurir dans un pays misérable, tandis que le développement et la perfection

pie); Conté (crayons artificiels); Lenoir (instruments de mathématiques); Desarnod (cheminées économiques); Deharme et Dubaux (tôle vernie); Denys (cotons filés). Ces six premiers avaient déjà obtenu des récompenses en Montgolfier (papiers peints); Décretot (draps); Ternaux (draps); Banens (cotons filés).

l'an VI.

1. Arrêté du 25 thermidor, an Ix. Monit. de l'an 1x, p. 1348.

des industries communes prouvent le bien-être du peuple. Mais la France, qui a sur les marchés étrangers la supériorité du bon goût et qui tient à la conserver, ne doit négliger ni les unes ni les autres.

Malgré l'élan imprimé par le Consulat, l'industrie française était encore loin d'être remontée au niveau de prospérité qu'elle avait atteint pendant les derniers temps de l'ancien régime : il faut des années pour réparer des ruines comme celles que la Révolution avait amoncelées. C'est vers cette époque que plusieurs préfets remirent au gouvernement les mémoires statistiques qui leur avaient été demandés1. Tous s'accordaient à signaler, d'une part, la reprise du travail, mais aussi, d'autre part, une fâcheuse différence dans les chiffres de la production sous le Consulat et sous la monarchie de Louis XVI. A Louviers, on faisait 4360 pièces de drap avant 1789; en l'an IX, on n'en faisait plus que 3095. Aux Andelys, la fabrication était réduite de 1766 pièces à 700; à Bernay, de 12000 à 36003. Les forges de la Côte-d'Or ne produisaient plus que 10 millions de quintaux au lieu de 15. Partout, même décadence 3.

Cependant les vides se comblèrent. Lyon, qui ne comptait plus, en 1800, que 5800 tisserands, en occupa jusqu'à 12 700 avant la crise de 1812. A la même époque, Tours, Nîmes, Avignon, employaient 20 000 ouvriers au tissage de la soie. Reims, après une longue éclipse, brilla d'un plus bel éclat qu'autrefois; non-seulement elle fabriquait,

1. C'est Chaptal qui pendant son ministère avait demandé ces statistiques et qui en avait dressé le plan. De l'Industrie française, préface, p. 25. 2. Mém. statist. du département de l'Eure, an XII, p. 130. Dans le même département, on signale encore comme ayant notablement diminué les tanneries (p. 124), la fabrication du fer et du cuivre (p. 131), celle des toiles (p. 136).

[ocr errors]

3. Mém. statist. du département du Doubs, p. 94, 109, etc. - Mém. statist. du département de l'Indre, p. 293, 301, 366 et suiv. - Mém. statist. du département de la Moselle, p. 139. Mém. statist. du département des Deux-Sèvres, p. 275, 276, 277, 282. Les conseils généraux de l'an ix avaient constaté également un grand affaissement de l'industrie. — Voir, entre autres, Basses-Pyrénées, Sarthe, Vaucluse, Charente, Eure, Manche, Aisne, Pas-de-Calais, Côte-d'Or.

en 1810, à peu près autant de pièces de draps qu'en 1789; mais elle fournissait de plus au commerce 400 000 aunes d'étoffes de fantaisie, et 32 800 châles, qui valaient à eux seuls plus de 3 millions et demi. Il y eut sans doute des industries que les changements de la mode, la perte de nos colonies et l'interruption de notre commerce maritime empêchèrent de se relever; mais d'autres industries naquirent de besoins nouveaux. C'est ainsi que la vente des toiles fines de Saint-Quentin, de Cambrai, de Valenciennes était réduite de moitié; mais les toiles de coton avaient pris leur place. Un grand nombre de tissus nouveaux étaient venus solliciter et satisfaire les désirs de l'acheteur; Elbeuf, Reims, avaient doublé leur population ouvrière, et Darnetal, qui, en 1789, ne faisait, conformément au règlement, qu'un genre d'étoffes, avait, en 1810, plus de vingt types différents. Sous l'Empire, l'industrie française, prospère jusqu'au jour où commença à palir l'étoile du conquérant, aurait certainement pu, sans désavantage, mettre l'inventaire de ses richesses présentes en comparaison avec celui de ses richesses passées.

La reprise des hostilités, en 1803, n'avait interrompu que quelques mois l'activité du travail. Il y avait eu une crise, des faillites, mais on en avait bientôt perdu le souvenir au milieu des premières fêtes de l'Empire', et en l'an xiii, le chiffre des escomptes de la Banque de France avait atteint 630 millions. La déclaration de guerre par l'Autriche et la reprise des luttes continentales, amenèrent, il est vrai, une nouvelle crise. L'argent disparut; le crédit se resserra; les

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

porteurs de billets se précipitèrent vers la Banque, qui un moment suspendit, ou du moins limita à 500 000 franes par jour ses remboursements. Mais la victoire d'Austerlitz ramena encore une fois la confiance, et nous avons vụ comment Napoléon mécontent mit désormais la Banque de France sous la main de l'administration!.

La quatrième coalition produisit des effets à peu près semblables: la guerre, lors même qu'elle est conduite par un favori de la victoire, épouvanté le commerce. Cette fois, Napoléon, tout en dirigeant ses opérations militaires, surveillait la Banque; de Berlin il écrivait au gouverneur d'escompter à 5 pour 1002, et la Banque escomptait à cinq. Il autorisait, ou, pour mieux dire, il contraignait3, malgré les représentations de ses conseillers, la Caisse d'amortissement à employer 6 millions en prêts sur nantissement, afin d'assister les manufacturiers qui ne pouvaient vendre leurs marchandises, et il ne leur prenait que 2 pour 100 d'intérêt. Quoiqu'il en pensât, de pareilles mesures ne rétablissent pas le crédit; l'escompte de la Banque ne fut que de 333 millions, et il faut aller jusqu'en 1810, après la paix de Vienne, pour atteindre et dépasser le chiffre obtenu en l'an XIII".

Toutefois, ce n'étaient là que des ombres légères. Après la paix de Presbourg, l'Empereur qui venait de faire sentir au continent le poids de ses armes, avait voulu lui montrer aussi la puissance de l'industrie nationale et porter un double défi à l'orgueilleuse Angleterre. Il donna des ordres pour qu'une exposition fit « partie des fêtes consacrées à célébrer les triomphes des armées françaises. » De longs

1. Voir plus haut, p. 266.

2. Corresp. de Nap., t. XIII, p. 652. Voir plus haut, p. 267.

3. «J'ai pris, il y a quinze jours, un décret pour prêter aux fabricants sur nantissement. Toutes ces prétendues délicatesses que l'on met en avant sont des bêtises et des sophismes. A quel cri d'alarme cela donnerait-il lieu, qu'un fabricant dise: Je suis riche, j'ai pour un million de marchandises, je ne puis les vendre, et je n'ai pas un sou. Le gouvernement me prète 100 000 écus je lui donne pour sûreté 100 000 écus de marchandises. — Au lieu d'être un objet de discrédit, cela est au contraire un moyen de crédit. » (A Cambacérès, 5 avril 1807. Corresp. de Nap., i. XV, p. 34.) 4. En 1810, l'escompte fut de 715 millions.

« PreviousContinue »