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à Verzier, il travailla à construire, en combinant le mécanisme de Vaucanson et le système des cartons de Falcon, le métier qui devait remplacer par un mouvement automatique le travail des tireuses de lacs. Il retourna bientôt à Lyon et monta ses premiers métiers; mais leur mouvement manquait de précision et amenait de fréquentes erreurs. Les canuts, fort peu satisfaits d'une innovation qui supprimait leur auxiliaire, et rendait, à cause du jeu de la pédale', leur propre travail plus fatigant, s'ameutèrent à plusieurs reprises, prétendant que Jacquart voulait ôter le pain à leurs femmes; les prud'hommes mêmes intervinrent et firent briser le métier en place publique. Cependant la Société d'encouragement le soutenait, et, grâce aux amélioration introduites dans le détail du mécanisme par l'ingénieur Breton, la routine dut enfin reculer devant la supériorité incontestable du nouveau procédé : avant la fin de l'Empire, le métier Jacquart avait acquis droit de cité dans la fabrique lyonnaise.

Grâce à lui, non-seulement les étoffes riches ont pu être plus riches encore; mais la variété des dessins est devenue possible, même dans les soieries à bon marché, et des débouchés inattendus, loin de reduire le nombre des ouvriers, ont sollicité une production plus abondante. Toute invention qui économise la main-d'œuvre a pour effet ordinaire d'accroître la somme de travail3.

1. Dans le métier Jacquart, c'est le mouvement de la pédale qui fait lever la griffe et les plombs, et il y a des passées pour lesquelles l'ouvrier, à l'aide, il est vrai, d'un long bras de levier, doit mouvoir plus de 60 kilogrammes.

2. Sur l'invitation de l'Empereur, la ville de Lyon vota à Jacquart une pension de 3000 francs et une prime de 50 fr. pendant six ans pour chaque métier construit d'après son système. En 1808, la Sociélé d'encouragement lui décerna un prix de 3000 fr. L'année précédente, elle lui avait fait sur ce prix une avance de 300 fr. pour payer un brevet que Jacquart, du reste, ne prit pas. (Voir Bulletin de la Société d'encouragement, t. VII, p. 189, et t. V, séance du 11 mars 1807.)

3. Voici le témoignage que Costaz, sous la Restauration, rendait à Jacquart dans le rapport de l'exposition de 1819 (p. 47). « Les machines qu'on employait autrefois étaient compliquées, chargées de cordages et de pédales; plusieurs individus étaient nécessaires pour les mettre en mouvement; ils appartenaient au sexe le plus faible et souvent à l'âge le plus tendre; ces ouvrières, que l'on désignait sous le nom de tireuses de lacs, étaient obligées de conserver pendant des journées entières des altitudes forcées, qui défor

La fabrication du fer, qui est le corps de la machine, comme la vapeur devait en être l'âme, avait repris l'activité qu'elle avait eu en 1789. Plus de 150 usines avaient envoyé des échantillons à l'exposition de 1806 et déjà apparaissait un procédé nouveau qui devait plus tard transformer nos forges une usine de la Haute-Marne avait, à l'exemple de ce qui se faisait depuis longtemps dans le pays de Namur, mêlé la houille au bois et obtenu un fer nerveux et tendre'.

La France employait, en 1789, 61 000 tonnes de fonte et 250000 tonnes de houille, et, en 1812, 99 000 tonnes de fonte et 929 000 tonnes de houille. Bien que la consommation de ces matières ne fût pas alors un thermomètre de l'activité manufacturière aussi exact que de nos jours, cependant la différence entre les chiffres des deux époques témoigne d'un certain progrès dans la grande industrie.

Si la machine proprement dite n'avait pas triomphé, la science avait du moins apporté des perfectionnements de détail aux outils et aux métiers. L'industrie des tissus en avait profité.

Elle avait adopté, dans le travail de la soie, le chauffage à la vapeur des bassines pour dévider les cocons2, multiplié les machines à organsiner de Vaucanson, que Tabarin venait de perfectionner3, à peu près vaincu les répugnances des Lyonnais contre le métier Jacquart, et propagé l'usage de la navette volante, qui supprimait un ouvrier sur deux dans la fabrication des étoffes de grande largeur. Le métier à faire le tricot, ingénieusement modifié, s'était prêté à des applications diverses".

maient leurs membres et abrégeaient leur vie.» «On doit ainsi à cet artiste ingénieux d'avoir, en perfectionnant les moyens d'exécution, affranchi la population ouvrière d'un travail dont les suites étaient si déplorables. >> 1. Monit. de 1806, p. 1448. Voir aussi, sur l'emploi du four à réverbère, le Moniteur de 1813. p. 711. ·

2. L'invention est due à Gensoul, de Lyon. - 3. Brevet de 1796.

4. La navette volante, inventée en Angleterre en 1738, et appliquée en 1760, avait été importée en France en 1788. Elle fut surtout répandue par les soins de Ternaux, de Richard et Lenoir, de Despiau (brevet du 4 janv. 1805). Voir les Machines et outils appropriés aux arts textiles, p. 341, par M. le général Poncelet. (Exposition univ. de 1851.)

5. Voir entre autres le métier Favreau, Moniteur de 1812, p. 674. Fa

Sur les modèles fournis par Douglass1, les Ternaux, les Décrétot avaient armé leurs manufactures d'un nouvel outillage et fabriquaient, outre les draps proprements dits, des étoffes de laine qui commençaient à être fort recherchées, casimirs, draps de fantaisie, tissus mélangés, mérinos. Les châles cachemires, tramés et brochés en laine sur chaîne de soie, contribuaient, avons-nous dit, à la fortune de Reims et les rapports officiels disaient avec quelque complaisance que ces châles « ne cèdent en rien pour le moelleux et la finesse à ceux de l'Inde2. » C'était beaucoup dire à une époque où l'on ne brochait guère qu'à quatre ou cinq couleurs.

Malgré les obstacles que l'industrie du coton rencontrait dans le blocus des mers, la filature mécanique, à peine connue en France à l'époque de la Révolution, comptait, en 1812, un million de broches ; et l'impossibilité de communiquer avec l'extrême Orient avait appris à la France à fabriquer elle-même ses nankins, ses mousselines, ses calicots.

Richard, associé avec Lenoir-Dufresne, fut un des plus ardents promoteurs de cette industrie. Il avait le premier essayé d'enlever à l'Angleterre le monopole des étoffes de coton, et, dès le temps du Directoire, il avait fait construire, sur

vreau fut dans l'industrie des tricots un des plus féconds inventeurs de la fin du dix-huitième et du commencement du dix-neuvième siècle. - A son nom il faut joindre, avec ceux de Sarrasin et de Jolivet, qui appartiennent à la fin de l'ancien régime, les noms de Moisson, Jourdain, Bonnard, Legrand, Fayolle, Hullin, etc.; mais, en ce genre, les Français ne faisaient guère qu'imiter les Anglais.

L

1. Voir la notice. Monit. de l'an XIII, p. 609 et 1464.

2. Monit. de l'année 1810, p. 1430.

3. On ne filait cependant guère de fils plus fins que le n° 60, et c'était surtout avec des fils de contrebande qu'on travaillait à Tarare. Voici les villes qui avaient envoyé des produits de leurs filatures à l'exposition de 1806 Rouen, Desville, Darnetal, Bolbec, Lescure, Houlme, Petit Couronne, Lillebonne, Malaunay (Seine-Inferieure), Louviers, Evreux, Vernon, PontAudemer, les Andelys, Ivry-la-Bataille, Fontaine-Guérard, Brosville, Incarville, Saint-Pierre de Vauvray, Brionne (Eure), Paris, Versailles (Seine), filature de l'Épine près d'Arpajon (Seine-et-Oise), Saint-Quentin (Aisne), Liancourt, Senlis, Beaupré (Oise), Toulouse (Haute-Garonne), Roanne, Charlieu (Loire), Wesserling, Bolwiller (Haut-Rhin), Arras, Avesnes (Pasde-Calais), Gonneville (Manche), Valenciennes, Roubaix, Turcoing, Douai, Houplines, Cambrai, Commines (Nord), Amiens, Saleux (Somme), Valence (Drôme). Monit. de 1806, p. 1417.

des dessins pris dans les manufactures d'outre-mer, plusieurs mull-jenny. Bonaparte l'avait encouragé, et il était devenu un des plus riches manufacturiers de l'Empire. Ses basins et ses piqués étaient les plus estimés. Indépendamment de ses ateliers de la rue de Charonne1, où travaillaient plus de trois cents ouvriers, il avait des fabriques en Picardie, en Normandie, et il possédait le rare talent de se faire aimer de ceux qui étaient sous ses ordres'.

L'impression au rouleau qui semble avoir pris ses premiers développements dans la manufacture de Jouy, était déjà en usage, sous l'Empire, à Wesserling, à Mulhouse, et facilitait la fabrication des toiles peintes3.

Néanmoins, Napoléon comprenait que le coton serait toujours une industrie précaire, tant que les Anglais domineraient sur l'Océan; tout en lui accordant des encouragements, il aurait voulu pouvoir lui créer une redoutable concurrence, et élever le lin à la hauteur de ses procédés. Il avait proposé un prix d'un million « à l'inventeur de quelque nation qu'il put être de la meilleure machine propre à filer le lin*. » Le concours resta ouvert pendant trois ans, mais le prix ne fut pas décerné, quoiqu'à cette époque Philippe de Girard eut déjà en grande partie résolu le problème. C'était un ancien professeur à l'école centrale de Marseille, doué du génie de l'invention. Il avait, dès 1810, pris un brevet qu'il compléta par des additions successives, et bientôt il créa, rue de Vendôme, à Paris, avec l'aide de plusieurs associés, une manufacture de deux à trois mille broches dans laquelle, dit Chaptal, qui la vint visiter, « il filäit à volonté depuis le plus gros numéro jusqu'au fil de dentelles. Cette variété même dans

1. Il était établi rue de Charonne, 95, dans les anciens couvents de BonSecours et de Trenelle.

2. Lenoir mourut en 1806. Richard, qui continua les affaires, vit sa fortune compromise par les conséquences du blocus continental, et anéantie par les événements de 1814.

3. Voir, sur la question controversée de cette invention, Machines et outils, par M. le général Poncelet, p. 161. (Expos. de 1851.)

4. Décret du 7 mai 1810 et arrêté du 9 nov. 1810.

5. Il avait inventé différents systèmes de lampe, entre autres une lampe hydrostatique et une lampe à piston. Voir p. 309.

6. Chaptal, de l'Industrie franç., II, p. 23. - · Voir aussi Machines et ou

une fabrique naissante et armée d'un mécanisme encore grossier, nuisit au succès. Girard, plus inventeur qu'industriel, alla fonder une autre fabrique, rue de Charonne. Mais les malheurs de la guerre ruinèrent les deux établissements. L'inventeur, un moment incarcéré pour dette, alla encore sans succès tenter la fortune à Vienne, pendant qu'un Anglais, qui s'était frauduleusement procuré les modèles de la fabrique de la rue de Charonne, prenait un brevet à Londres. Vingt ans après, la filature du lin, perfectionnée en Angleterre, s'introduisit dans notre pays comme une importation étrangère. La France a l'honneur d'avoir fait la découverte et a eu longtemps le regret d'avoir méconnu l'inventeur.

C'était un spectacle nouveau que de voir des savants comme Conté, Fourcroy, Berthollet, Vauquelin, descendre des spéculations du cabinet dans le détail des ateliers, et faire servir directement leurs études au progrès de la manufacture. Des liens se formaient ainsi entre deux classes d'hommes jusque-là étrangers les uns aux autres. Les industriels s'éclairaient; le rapporteur de l'exposition de 1806 citait déjà avec éloge une fabrique de couleurs « dirigée par des connaissances chimiques étendues1.» Les savants, à leur tour, devaient gagner à ce contact journalier de la pratique qui allait servir d'épreuve à leurs théories et multiplier autour d'eux les expériences d'où jaillissent souvent à l'improviste des conceptions neuves.

Autrefois c'était avec les artistes que les gens de métier se mettaient en communication et c'étaient d'eux seuls qu'ils recevaient leurs inspirations supérieures. Raphaël faisait des dessins pour les faïenciers et esquissait des cartons de tapisserie. Lebrun, Mignard, Oudry avaient successivement animé les ateliers des Gobelins; Watteau et Boucher avaient

tils appropriés aux arts textiles, par M. le général Poncelet, 2° section, chap. 1. Tout ce qui est relatif à cette question y est très-clairement élucidé. Il fallait filer des fils de chaîne et de trame pour mousseline, avec une économie des huit dixièmes sur la filature à la main. Le concours devait être fermé en 1813. (Voir le Monit. de 1810, p. 1276.)

1. Moniteur de 1806, p. 1512.

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