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sur ces modèles, ne produirait pas une augmentation sensible. 1: >>

En 1806, c'était déjà le côté faible. L'industrie suivait la consommation. Elle changeait ses visées depuis que les fortunes avaient changé ; elle commençait à s'adresser au grand nombre et préférait les procédés économiques à la perfection de l'art.

La porcelaine ne manquait pas depuis que la suppression des priviléges en avait fait une industrie libre; et, grâce à la science, elle s'enrichissait de nouvelles couleurs. Mais les manufactures les plus renommées avant la Révolution avaient disparu ou s'étaient tranformées; celle de Sèvres, entretenue aux frais de l'État, et dirigée par Brongniart, continuait seule à orner les tables des souverains et à offrir des modèles à l'industrie privée. Le rapporteur déclarait ses « formes et peintures belles et admirait avec tout le public la grande table de porcelaine qu'elle avait envoyée. Il se trompait avec tout le public. Il aurait pu louer avec raison certains procédés de métier, tels que les fours économiques. Mais jamais les formes générales de l'art n'avaient été plus antipathiques à l'industrie du porcelainier; là où il fallait du mouvement, de la grâce, du caprice, on ne trouvait plus que du style monumental et une roideur glaciale : le commencement du dix-neuvième siècle restait sous ce rapport bien inférieur au dix-huitième. Les imitations plus ou moins grossières étaient seules en grand progrès. La vaisselle en terre de pipe, qui datait à peine de quinze ans, était devenue d'un usage presque général, et six fabriques en avaient envoyé de nombreux échantillons". Cependant une heureuse innovation avait été introduite dont l'art devait profiter: c'était le transport mécanique des gravures en taille-douce sur porcelaine, imaginé par Gonord.

La manufacture de glacés de Paris, « connue de toute l'Europe et sans rivale, n'avait rien perdu : c'est que ses

D

1. Monit. de 1806, p. 1523.

2. Entre autres le vert de chrôme de Vauquelin.

3. Val-sous-Meudon, Creil, Lunéville, Sarreguemines, Chantilly, Montereau.

produits, quoique destinés à la décoration, procédaient plus de la science que de l'art.

Les tissus de luxe avaient retrouvé, avec les pompes de la cour, une clientèle nombreuse. On fabriquait de nouveau des brocards d'or et d'argent, des satins et des velours, des façonnés riches dont le tissage était rendu plus facile par l'emploi du nouveau métier. Les tulles et les crêpes de Lyon étaient de mode, comme les batistes et les linons de SaintQuentin. Les toiles peintes que l'on vendait alors avec de gros bénéfices offraient, sinon des dessins aussi gracieux que les fleurs du dix-huitième siècle, du moins des dessins plus variés et des couleurs plus solides1. La broderie et la passementerie de Paris et de Lyon, les dentelles et les blondes de Chantilly, d'Alençon, de Bruxelles, étaient fort recherchées et couvraient les uniformes des hommes ou les parures des femmes. L'Empereur lui-même faisait des commandes considérables. La garniture du lit de Marie-Louise, tout en point d'Alençon, passe pour le chef-d'œuvre le plus parfait du travail de la dentelière. Les fabriques plus modestes de Caen, d'Arras, du Puy, défrayaient le luxe de la bourgeoisie et n'étaient pas les moins actives. Mais là encore l'art faisait souvent défaut, et on remarquait plus de richesse que de goût dans les ajustements. L'impératrice Joséphine avait, en point de Bruxelles, une magnifique robe à colonnades. Des colonnes et des temples en dentelle ! Quel contre-sens! Et pourtant la nécessité d'approprier les consommations de luxe à des fortunes modestes, amena une réforme dans la fabrication. Malgré la roideur du dessin, le travail fut en général moins chargé et moins lourd que dans les anciennes dentelles : ce fut un progrès 2.

L'ébénisterie et l'orfèvrerie sont deux industries qui, rece

1. Les principaux fabricants qui avaient envoyé des toiles peintes à l'exposition de 1806 étaient : Oberkampf de Jouy, qui, le premier, en 1801, avait introduit en France la machine à imprimer; Haussmaun frères, de Logelbach, près Colmar dont l'un avait fait faire de grands progrès à la teinture; Dollfus-Mieg, de Mulhouse; Périer, de Vizille, près Grenoble; Petit-Pierre, de Nantes.

2. Voir Exposition de 1851, rapport du dix-neuvième jury, par M. Félix Aubry, p. 27.

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vant la loi de l'architecture et de la sculpture, donnent à leur tour le ton à tout l'ameublement. Elles comptaient alors des fabricants dignes d'être comparés à leurs plus habiles devanciers. Dans l'ébénisterie travaillait le célèbre Jacob Desmalter; dans l'orfévrerie proprement dite, Odiot, orfévre de l'Empereur, Biennais et Auguste, ancien orfévre du roi ; dans le bronze, Thomire et Ravrio. Thomire était désigné à l'exposition de 1806 comme « le premier de nos ciseleurs, et on lui rendait cette justice d'employer « pour faire les modèles des bronzes qu'il doit ciseler les plus habiles statuaires de la capitale. Cependant ses œuvres sont nonseulement entachées de l'affectation antique, mais il semble que l'exécution en soit défectueuse. Les ornements et les sujets sont mal ajustés; l'harmonie manque, et l'ensemble, qui parfois peut avoir une certaine majesté dans les grands objets assortis aux vastes appartements d'un palais, devient presque toujours disgracieux dans les petits défaut qui fut bien plus sensible encore dans la fabrication courante. On se plaisait dans l'allégorie. Ici, l'amour est sur un char traîné par deux chiens, emblèmes de fidélité, et la roue sert de cadran; là, un amour aiguise un de ses traits sur une meule argentée et supportée par un trépied antique : voilà le goût du jour 2!

L'orféverie n'avait gagné qu'un procédé, celui de l'estampage qui permettait de frapper d'un coup de mouton les ornements qu'il fallait auparavant exécuter au ciselet; économie de main-d'œuvre, qui ne profitait pas au bon goût et qui lui nuisit quelquefois en facilitant la profusion et en sollicitant la reproduction monotone des mêmes motifs. La bijouterie, plus heureuse, avait trouvé ou plutôt remis à la mode le filigrane et la cannetille qui allaient défrayer la coquetterie des femmes sous l'Empire et sous la Restauration. Napoléon avait encouragé et presque créé, à Paris, l'industrie des camées et des mosaïques qu'il essayait de disputer à l'Italie. De tous les fabricants de l'époque, Jacob-Desmalter est le

1. Monit. de 1806, p. 1526.

2. Voir le Recueil de la Mésangère, t. I, nos 206 et 24. Bib. imp., département des estampes.

plus remarquable. C'était un excellent ébéniste, et ses meubles peuvent encore passer de nos jours pour des modèles de fabrication. Mais aucun ne donna plus complétement dans les idées de son temps et ne mit plus d'habileté mécanique au service d'une fausse théorie de l'art. Il prétendit imiter l'antiquité sans la comprendre, et il plia l'ameublement du dix-neuvième siècle aux formes, mal connues d'ailleurs, des meubles grecs et romains1. C'était un contre-sens. S'il était possible encore de faire un pastiche décent de l'antiquité en élevant un arc de triomphe, il ne l'était plus en fabriquant un secrétaire. Pour relever la nudité des plaques unies d'acajou, Jacob prodigua le cuivre, poli ou doré. Mais le cuivre, au lieu de dessiner de gracieux motifs, comme dans les incrustations de Boulle ou dans les enroulements tourmentés du style Louis XV, s'aligna en bandes étroites sur les angles, en rectangles ou en carrés sur les surfaces; les pieds se profilèrent en colonnes surmontées de chapiteaux comme s'ils eussent eu à soutenir un édifice, ou portèrent des cariatides sans grâce. Il fit d'ailleurs, comme ses contemporains, un usage fréquent et quelquefois heureux du bronze antique. Chez lui, comme chez Thomire, les ornements paraissent le plus souvent hors de proportion ou d'àpropos avec l'objet auquel ils sont appliqués. La perfection du travail sauve quelquefois l'ensemble; quelquefois aussi ce mobilier monumental, placé dans un palais du temps, avec des bronzes et des tentures du même goût, concourt à produire un effet, je ne dirai pas agréable, mais sévère et presque imposant. L'écueil est dans le salon d'un particulier; là tout est choquant et on s'aperçoit que les industries de l'ameublement en général, égarées par l'école de David, n'ont eu ni le souci de la commodité ni le sentiment de la grâce. En somme, l'industrie était en progrès, et elle avait à peu

1. On faisait alors des lits dits grecs, étrusques, romains, gothiques, des secrétaires étrusques, des cheminées grecques; mais les modèles ne sont que roides, sans rappeler véritablement le type qu'ils prétendent représenter. Rec. de la Més., nos 122, 123, 118, 139, 163, 150, 110, 90, 93. On réussit un peu mieux dans l'imitation ottomane. De l'expédition d'Égypte on a rapporté le goût des sphynx que l'on prodigue.

près remonté sous l'Empire la pente que lui avait brusquement fait descendre la Révolution. Mais ses allures étaient changées.

L'art avait été pendant des siècles son unique flambeau et l'avait seul guidée, hors de la commune routine, vers des idées supérieures. L'art, sous l'Empire, était dans une voie étroite, et ses types, gauchement calqués sur l'antique, convenaient moins encore aux applications industrielles qu'aux compositions purement artistiques. Il exerçait toujours une grande influence, parfois même une domination. tyrannique sur la mode; mais il ne traçait plus aussi directement les modèles de la fabrication, parce que, l'alliance une fois dissoute, les fabricants ne s'attachèrent pas assez à étudier l'art, ni les artistes à rendre leurs conceptions pratiques1. Ce schisme devait durer plus d'un demisiècle.

Mais, par compensation, l'industrie avait un autre flambeau dont elle commençait à rechercher avidement la lumière, et qu'elle allait prendre pour guide, sans reculer devant les plus grandes dépenses. La science devait renouveler les procédés des arts chimiques et mécaniques, et faciliter l'appropriation des forces de la nature aux besoins de l'homme. Grâce à elle, les produits devaient être rendus plus abondants, moins coûteux, et mis plus aisément à la portée des masses, qui aspiraient à plus de jouissances depuis que la Révolution avait ouvert toutes les carrières: l'émancipation du travail et le progrès de la richesse allaient ainsi concou

1. C'est ce que M. de Laborde exprime très-bien dans son rapport sur l'exposition de 1851 (p. 198): « Les artistes, dit-il, font dès lors défaut à l'industrie.... Un jeune homme né dans un métier a-t-il quelques dispositions, il se croit du talent et quitte son industrie; il la dédaigne pour transporter ses espérances et ses travaux dans une sphère qu'il croit plus élevée. L'industrie est livrée à des praticiens sans initiative, sans idées, et si elle demande des modéles aux artistes, ils les lui donnent, mais sans avoir la conscience des objets et des procédés employés à leur fabrication. Le créateur est d'un côté, le metteur en œuvre de l'autre, et il s'élève des réclamations également justes des deux parts: les artistes sont mécontents de voir leurs modèles mal exécutés, les fabricants et leurs ouvriers déclarent ces modèles inexécutables. Cette absence d'entente produisit une scission déplorable et un dédain réciproque. >>

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