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bles à notre industrie. Ce fut assez pour occasionner la guerre.

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Napoléon avait habilement tourné les États-Unis contre leur ancienne métropole et il voyait enfin une guerre maritime éclater entre l'Angleterre et les Américains'. Il crut pouvoir compter de même sur le continent pour poursuivre l'œuvre du blocus, et rendre nationale en Europe sa guerre contre la Russie. L'Allemagne grondait déjà sourdement; à un appel que Barclai de Tolly adressait aux Allemands, il fit répondre par un « militaire bavarois, dont la lettre fut insérée au Moniteur: «........ Le gouvernement bavarois s'est associé librement à la grande ligue contre la Russie; c'est une suite de son accession précédente à la conféderation du Rhin que vous avez menacée depuis quelque temps par vos rassemblements de troupes et par votre opposition au système continental qui seul peut sauver l'Europe de l'esclavage commercial de l'Angleterre.» Napoléon s'abusait encore: un an après, Leipsiget Hanau lui apprenaient douloureusement de quel côté les Allemands et les Bavarois croyaient voir leur esclavage.

L'Empire tomba sans que les fabriques eussent eu le loisir de se relever des coups que la politique continentale leur avait portés. La crise qui, depuis 1811, pesait sur le marché et que la longue retraite des armées françaises, depuis Moscou jusqu'à Paris, aggrava de jour en jour, contribua avec la haine de la conscription à détacher les populations du grand homme dont elles avaient salué avec enthousiasme l'avènement et les débuts sous le Consulat. Le commerce était complétement désorganisé.

1. Les États-Unis se plaignaient également de la tyrannie des Anglais sur mer et des proscriptions de Napoléon dans les ports du continent. Ils déclarèrent même (1er mars et 1 mai 1810) qu'ils ne recevraient dans leurs ports ni bâtiments français ni bâtiments anglais, parce que les deux nations violaient les droits des neutres. Napoléon répondit aux Etats-Unis qu'ils n'avaient qu'à faire respecter leur pavillon par les Anglais pour ne pas tomber sous le coup de ses décrets; puis il révoqua purement et simplement les décrets de Berlin et de Milan pour les Américains (déc. du 28 avril 1811). L'Angleterre persistait néanmoins à maintenir les ordres de l'amirauté et exerçait la presse sur les matelots américains; les États-Unis, sous le président Madison, lui déclarèrent la guerre (1812).

2. Voir Moniteur du 11 sept. 1812.

Cependant le tronc sur lequel est greffé le commerce et par lequel il se nourrit, l'industrie, n'avait éprouvé qu'une secousse, violente sans doute, mais passagère. En somme, sous le gouvernement de Napoléon, l'industrie avait pour la première fois, depuis la proclamation de la liberté, respiré avec sécurité et elle avait grandement prospéré. Si quelques rameaux, nés sous l'influence d'une chaleur factice étaient prédestinés à périr ou à végéter péniblement, l'arbre n'en avait pas moins eu une vigoureuse croissance; il avait donné déjà dans le présent des fruits abondants, et il promettait pour l'avenir de belles récoltes.

CHAPITRE VII.

CONDITION DES PERSONNES.

Recherche du bien-être.

Amoindrissement du luxe pendant la Révolution. geoisie. Condition des ouvriers.

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Progrès de l'aisance dans les campagnes. Situation de la bourChangements dans l'apprentissage. Dépenses journalières. Accroissement des salaires. Rareté des hommes. Accroissement des naissances. — Rigueurs de la conscription. Disette et crise à la fin de l'Empire. Moeurs de la classe ouvrière.Le compagnonage. But et forme générale de l'association. mystères. Les distinctions aristocratiques. Les enfants de maître Jacques. constitution du compagnonage sous l'Empire. niers. Luttes de chefs-d'œuvre. classes ouvrières.

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Les Les enfants de Salomon. Guerre entre les divers devoirs. - Re

Initiation des cordonAttitude de l'Empire à l'égard des

Le mont-de-piété.- Loi relative aux maisons de prêt

sur gages. Les bureaux de bienfaisance.

Les sœurs de charité.

Remaniement de l'instruction par le

Répression de la mendicité. Réouverture des églises. - Les écoles primaires et les écoles centrales. Consulat. Ecole de Compiègne.-Lacune. sumé de l'œuvre du Consulat et de l'Empire.

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En bouleversant les fortunes et les conditions, la Révolution tendait à changer la manière de vivre des diverses classes de la société. La recherche du bien-être était déjà plus générale1: conséquence logique des institutions nou

1. « Les mœurs avaient jusqu'en 1789 conservé presque dans toutes les classes leur antique simplicité. Aujourd'hui le faste éblouit et subjugue tous les esprits; personne n'est assez sage pour s'en défendre. Les mœurs sont changées de même que le genre de vie; la dépense est quintuplée. » Mém. stat. sur le département de la Moselle, an x11, p. 105. - Il y a dans les expressions du préfet une exagération évidente, mais le fond de la pensée est vrai et se retrouve dans les autres mémoires.

velles. C'est ainsi que les lois réagissent sur les mœurs, et que l'homme qui se sent devenu l'égal de son voisin par les droits civils, aspire à devenir aussi son égal par les jouissances. Le progrès se faisait d'autant mieux sentir au commencement du dix-neuvième siècle, qu'il avait été précédé par dix années d'épreuves. La monarchie absolue s'était terminée au milieu d'une disette, et le régime de la liberté avait d'abord porté des fruits amers, même pour les propriétaires et les cultivateurs; la disette s'était prolongée; les réquisitions, le papier-monnaie, l'interruption du payement des fermages avaient jeté le trouble dans la vie agricole. Ces fléaux furent écartés en partie par le Directoire, en partie par le Consulat.

Les paysans commencèrent, surtout après que le concordat eut rassuré les acquéreurs de biens nationaux, à jouir paisiblement des bienfaits de la Révolution. Ils avaient été les premiers à en recueillir les bénéfices matériels1. Le nombre des propriétaires avait augmenté; les petites propriétés, débarrassées des gênes et des redevances de la féodalité, avaient été en général mieux cultivées; l'agriculture, quoique livrée encore à la routine, s'était mise sur quelques points à supprimer les jachères et à pratiquer les méthodes d'assolement de la Flandre et de l'Angleterre. Sous le Consulat et l'Empire, certaines cultures, comme celles de la garance, de l'œillette, de la betterave, du pastel, se developpèrent; des champs furent plantés de vignes; la pomme de terre occupa plus de 500 000 hectares. « Si l'on compare l'agriculture à ce qu'elle était en 1789, dit un contemporain, on sera étonné des améliorations qu'elle a reçues ; des récoltes de toute espèce couvrent le sol; des animaux nombreux et robustes

1. «< Jusqu'à présent l'agriculture a obtenu tous les avantages de cette Révolution dont l'industrie a très-peu profité.... Un tel changement est provenu du délabrement des fortunes, de la perte des capitaux.... L'agriculture s'est améliorée, non dans l'exploitation des fermes, mais sous le rapport seulement que des bras antérieurement oisifs ou mercenaires se sont appliqués à en multiplier les produits sur de médiocres ou de petites propriétés, sur des portions communales qui ont été continuellement tenues en culture: ce qui a diminué les jachères et les pâtis. » Mém. stat. sur le département de la Moselle, an XII, p. 51.

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labourent et engraissent la terre. Une nourriture saine et abondante, des habitations propres et commodes, des vêtements simples, mais décents, tel est le partage de l'habitant des campagnes; la misère en a été bannie et l'aisance y est née de la libre disposition de tous les produits1. » Quelques détails de ce tableau pouvaient être embellis; mais le fond était vrai et la population des campagnes s'était accrue, même pendant la période révolutionnaire.

La bourgeoisie avait été émancipée, comme la classe rurale, par les institutions de la Constituante. Plus de manufactures royales; plus de maîtrises; la carrière était ouverte et chacun avait le droit d'y entrer. Mais l'industrie, plus timide et plus délicate que l'agriculture, a besoin d'être enveloppée de sécurité. Elle vit par l'échange et en partie par le luxe; or le maximum et les assignats avaient paralysé l'échange, et le désir naissant du bien-être chez les petits ne remplaçait pas encore, en 1800, le luxe éclipsé des grands. Les nobles avaient fui ou se cachaient; les gens de robe ou de finance étaient ruinés par le remboursement fictif de leurs offices, et la plupart de ceux qui conservaient des débris de leur fortune, auraient craint de les étaler au grand jour. Les équipages étient devenus rares, en province surtout, et l'on ne voyait presque plus de domestiques mâles. Les artisans souffraient de cette contraction de la dépense et leur gêne dura plus longtemps que celle des agriculteurs. Dans les villes, disait un préfet, « le journalier est misérable par la dispersion des capitaux et des fortunes qui y étaient rassemblés, tandis que celui des campagnes a recueilli tous les avantages de la Révolution; l'un est réduit à solliciter de l'ouvrage, tandis que l'autre a presque besoin d'être sollicité 2. »

Nous avons dit comment le Consulat dissipa ces nuages. Les industriels entrèrent dans la carrière, soutenus à la fuis par les encouragements directs de Napoléon, par les pompes de la cour et de l'administration impériale, et sur

1. Chaptal, de l'Indust. franç., t. I,
p. 153.

2. Mém. stat. sur le département de la Moselle, p. 104.

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