Page images
PDF
EPUB

avait rassuré les intérêts. L'autorité de la justice s'accrut par l'inamovibilité des juges, par l'établissement des cours d'appel, et la publication du Code Napoléon fixa les droits de la vie civile. Ce furent de précieuses garanties pour la concorde et la prospérité générales, et la France oublia volontiers qué lá libérté politique n'avait pas sa place dans cette restauration de l'ordre public.

La pensée de rétablir le calme dominait alors toutes les autres considérations. Il y avait eu depuis dix ans des troubles à cause des subsistances: le Consulat n'hésita pas à faire revivre en grande partie la police de l'ancien régime sur les marchés, et à créer, en les mettant dans la main de son administration, les corporations de boulangers et de bouchers. Les formalités de la justice paraissaient mal observées et les intérêts des plaideurs et des contractants mal défendus: le Consulat rétablit les compagnies de notaires, d'avoués, l'ordre des avocats. Pensant, non sans raison, que l'instruction était insuffisante, il plaça des examens à l'entrée des carrières libérales, et créa une instruction publique dont l'État eut la direction et qui fut bientôt elle-même invéstié du monopole.

Les fabriques étaient sans discipline. Exempt des préjugés qui avaient fait proscrire toutes les institutions particulières comme des priviléges, il créa des chambres de commerce, il rendit la loi du 22 germinal an XI qui instituait les chambres consultatives, subordonnait l'ouvrier à son patron, restaurait le livret, et garantissait la propriété des marques.

Le Consulat forma en quelque sorte le trait d'union entre l'ancien et le nouveau régime et renoua la chaîne des temps trop violemment rompue sur plusieurs points par la Révolution. Mais sur plusieurs points aussi il dépassa lui-même la mesure d'une restauration utile. Il prit certains cadres du passé pour des formes nécessaires à la tranquillité publique et il y fit entrer, bon gré mal gré, une partie de la société, subordonnant le développement de l'activité libre aux besoins et parfois aux préjugés de sa politique. Est-il étonnant que les espérances qu'il fit naître en agis

sant ainsi aient éveillé des intérêts personnels et qu'on ait sollicité de lui le rétablissement des corps de métiers? Il résista. En somme, fermement attaché aux grands principes de liberté civile et d'égalité qui étaient devenus la foi de la société nouvelle, il eut, malgré quelques exceptions, l'honneur de les consacrer par ses lois et de les consolider par l'ordre et la paix intérieure. La liberté du travail était désormais un fait acquis.

L'Empire fut moins fécond'. Il ne régnait plus la même harmonie entre les besoins de la France et la pensée de Napoléon. Le maître était trop absolu et trop haut placé pour que les conseils et les plaintes pussent monter jusqu'à lui et l'arrêter dans sa course. Cependant, il complétait le recueil desuodes; il donnait à l'industrie ses prud'hommes; il enlevait aux communes le droit d'exclure les fabriques sous prétexte d'insalubrité. Pénétré de la puissance des sciences appliquées, il continuait à les encourager; il secondait les efforts de l'industrie par ses encouragements, par le talent des hommes dont il s'était entouré ou dont il provoquait l'activité les sciences étaient cultivées, et l'industrie, animnée de leur souffle, prospérait. Patrons et ouvriers voyaient rechercher leur travail et leur rémunération s'accroître.

Mais, jaloux de son pouvoir, l'Empereur plus encore que le premier Consul, rapporta tout à lui-même et voulut que tout tînt de lui la vie et le mouvement. Il exagéra l'autorité en croyant la fortifier; il multiplia ou aggrava les monopoles. Il nourrissait contre l'Angleterre une haine implacable qui n'avait alors d'égale que la haine de l'Angleterre contre Napoléon, et ce fut cette passion qui, n'étant retenue par aucun frein légal, flattée même par la victoire, l'entraîna aux plus funestes excès. Impuissant à atteindre sur la mer cette rivale détestée, il prétendit la faire périr de consomption dans son île en fermant le continent à son commerce. Pour accomplir

1. La seconde partie de l'Empire, distraite par la guerre, fut surtout la moins féconde. On peut en juger d'une manière sommaire par cette remarque dans la collection complète des lois et décrets de Duvergier, le consulat (4 ans et demi) comprend trois volumes, et l'empire (10 ans) quatre volumes, dont un seulement depuis sept. 1811.

ce projet gigantesque, il lui fallut faire violence à la nature des choses et aux intérêts de plus de cent millions d'individus, condamner à la ruine tous les ports, de Saint-Petersbourg à Cadix, hérisser les côtes de douaniers, ramener le commerce aux routes de la barbarie, jeter l'industrie dans des tentatives de production irrationnelle, tyranniser les rois, faire peser sur les peuples un joug plus insupportable encore que celui qu'impose la politique, étendre les frontières de l'Empire de Lubeck à Terrarine, fatiguer les industriels par la proscription des matières premières, les ouvriers par d'incessantes levées d'hommes; il lui fallut, hors des limites de l'Empire, faire sentir aux mécontents le poids de ses armes, courir de Madrid à Moscou, jusqu'au jour où il eut la douleur de voir l'Europe presque entière conjurée contre lui, la France désaffectionnée, épuisée, envahie, et où le Génie de la guerre fut écrasé sous le nombre. Le blocus continental faussa la politique de l'Empire et causa la chute de Napoléon; Napoléon, en tombant, fit perdre à la France les conquêtes territoriales et mit même un instant en péril les conquêtes civiles et morales de la Révolution.

LIVRE III.

LA RESTAURATION.

CHAPITRE PREMIER.

LA TRADITION DE L'EMPIRE.

- Le ministre Protestation La Banque

De la situation politique des Bourbons.-L'émigration. Les fonctionnaires. — De la première restauration. — Loi sur l'observation du dimanche. - Réaction de 1815.- La Chambre introuvable. Decazes. Pétition pour le rétablissement des corporations. de la Chambre de commerce.- - Demandes du même genre. de France depuis la chute de l'Empire. - Application de la loi de germinal an XI. - Réglementations diverses. Nécessité et limite des règlements municipaux. - Conséquences de la réglementation. — Organisation du Conseil général du commerce et du Conseil général des manufactures. - Suppression, puis rétablissement de la corporation des bouchers de Paris. — Attaques contre les principes de 1789.

[ocr errors]

Le Consulat avait été soutenu par l'éclat de la victoire, par le génie d'un grand homme et par une conformité parfaite entre les actes du gouvernement et les vœux de la nation. Les Bourbons n'eurent pas la même fortune. Ra menés sur le trône par l'événement d'une guerre qui n'avait été faite ni par eux, ni pour eux, ils se trouvaient dans une situation difficile. Ils connaissaient mal la France dont ils avaient vécu exilés pendant vingt-deux ans, et ils n'en étaient plus connus. Ils revenaient conduits par des armées étran

gères, imposés par la force des armes, et leur restauration, dont le souvenir était inséparable de celui de l'invasion, affligeait le patriotisme des Français et blessait leur orgueil. Pour effacer la tache de leur origine, il leur aurait fallu de longues années de paix et un système bien arrêté de politique libérale : c'était pour eux le moyen de trancher sur la période impériale, et de mériter la reconnaissance de leurs sujets par deux des bienfaits de la civilisation dont la France avait été privée sous le règne de Napoléon, et dont les esprits éclairés paraissaient le plus désireux.

Ce double but n'était pas impossible à atteindre. La paix, qui était alors le vœu de toute l'Europe, était une nécessité pour les Bourbons restaurés, et l'on peut dire, malgré les courtes expéditions d'Espagne, de Morée et d'Alger, que la France jouit pleinement de ce premier bienfait sous le gouvernement de Louis XVIII et de Charles X. Le second était en germe dans la Charte, qui fondait un gouvernement constitutionnel et qui, consacrant la liberté politique après les orages révolutionnaires et le despotisme impérial, était saluée par une grande partie des classes supérieures, comme le couronnement de l'édifice de 1789. La Restauration semblait disposée à comprendre et à satisfaire ce double besoin, lorsqu'elle écrivait dans le préambule de la Charte : « La divine Providence, en nous rappelant dans nos Etats après une longue absence, nous a imposé de grandes obligations. La paix était le premier besoin de nos sujets; nous nous en sommes occupés sans relâche; et cette paix, si nécessaire à la France comme au reste de l'Europe, est signée. Une Charte constitutionnelle était sollicitée par l'état actuel du royaume; nous l'avons promise et nous la publions. »

Mais la liberté eut à compter avec les passions, les rancunes, les intérêts et la routine. Elle rencontra, sur des terrains divers, des esprits malveillants ou hostiles dans deux camps en apparence très-opposés, celui de l'émigration et celui de l'administration impériale, qui tous deux exercèrent une influence considérable sur le gouvernement.

Les Bourbons étaient entourés d'un nombreux cortége d'émigrés qui avaient partagé leurs souffrances, auxquels

« PreviousContinue »