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reux, comme toujours, de priviléges et partisans des restrictions douanières. Mais ils étaient peut-être plus excusables qu'à d'autres époques, parce que leurs intérêts étaient plus que jamais ancrés sur le fond de la prohibition. Grâce à leurs richesses, ils étaient appelés à représenter l'industrie française, et, par une illusion assez ordinaire, disposés à prendre leurs intérêts pour les siens. Ils allaient, avec les grands propriétaires, dicter leurs conditions aux ministres.

La Restauration se trouva placée entre les deux pouvoirs. de l'époque, l'administration et la Chambre, qui voulaient la protection, l'une par habitude, l'autre par calcul. La protection triompha; les tarifs prirent un nouveau caractère non moins exclusif sur certains points que celui de l'Empire, et d'ailleurs beaucoup plus dangereux, parce qu'on prétendit ériger en un système commercial régulier, ce qui n'avait été jusque-là qu'une conséquence regrettée de l'état de guerre.

La réforme du comte d'Artois souleva une tempête de réclamations. On aurait pu croire que les manufacturiers seraient satisfaits de se procurer la matière première à bon marché. Il n'en fut rien. L'intérêt du présent les aveuglait assez sur l'intérêt de l'avenir, pour que les cotonniers de l'ouest et du nord, se prétendissent ruinés, parce que l'a-'. baissement des droits sur le coton allait diminuer d'autant la valeur des étoffes qu'ils avaient en magasin. Ils pétition-nèrent, écrivirent qu'une « immense population serait réduite au désespoir, que « la prohibition est de droit politique. et social, et que, depuis le fabricant jusqu'à l'ouvrier, tous ont le droit de fournir exclusivement à la consommation du pays qu'ils habitent 1. » Ils demandaient 30 millions d'indemnité, et la prohibition des fils et des tissus de coton : ils obtinrent la prohibition.

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Les maîtres de forges élevaient d'autres prétentions. L'Empire n'avait imposé, il est vrai, qu'une taxe modique de 44 francs par tonne (1000 kilog.) sur les fers en barre. Mais la guerre formait une barrière plus difficile à franchir

1. Voir aux Arch. del'Emp. l'original d'une de ces pétitions (25 avril 1814)

que les douanes et durant vingt ans les hauts fourneaux du continent n'avaient pas eu à redouter les fers anglais. Après la paix, ils se trouvèrent tout à coup surpris par une concurrence qui livrait ses produits à 30 ou 40 pour 100 au-dessous des prix ordinaires, et par une crise commerciale qui paralysait la vente. Vives réclamations. Les maîtres de forges voulaient sinon une indemnité, au moins le séquestre immédiat des fers qui étaient encore en entrepôt et la prohibition des fers étrangers; ils obtinrent le quadruplement du droit qui, décime compris, fut porté à 165 francs, taxe représentant environ 50 pour 100 de la valeur de la marchandise en entrepôt1.

Le baron Louis n'avait pu résister à l'orage. Cependant il ne dissimula pas que le gouvernement approuvait peu l'esprit de monopole des manufacturiers. « Les prohibitions absolues détruisent l'émulation. Aussi espérons-nous, ajoutait-il, pouvoir, aux sessions prochaines, demander la réduction successive du tarif que nous proposons aujourd'hui sur les fers. » Il se faisait illusion. Les intérêts sont plus tenaces. Ils se précipitèrent à la curée, réclamant à l'envi, qui pour les colons, qui pour les éleveurs, qui pour les manufacturiers; et ce que chacun d'eux obtint à titre de faveur passagère, il prétendit le conserver comme une propriété, il s'en fit même un titre pour obtenir de nouveaux avantages. C'est ainsi que les lois protectionistes se succedèrent et s'aggravèrent de session en session.

Le gouvernement songeait à faire une refonte générale du tarif. Il n'en eut pas le loisir en 1814, et se contenta de présenter un projet par lequel il autorisait le transit, donnait au pavillon français la faveur d'une surtaxe, et relevait, mais à un taux encore très-modéré, certains droits abaissés par l'ordonnance du 23 avril3. Il s'excusait de ne pas faire plus, parce que les douanes venaient à peine d'être ré

1. Voir M. Amé, Tarifs des douanes, chap. XVIII.
2. M. Amé, Tarifs des douanes, p. 62.
3. De 40 à

60 francs par quintal métrique sur le sucre brut,
sur le café,

60

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tablies, et il hasardait timidement, que « d'ailleurs le bon marché provoquait la consommation. » Tel n'était pas l'avis de la Chambre qui vota la loi1, mais en donnant une leçon aux ministres. « En principe d'économie politique, disait le rapporteur, les douanes sont établies pour assurer la prospérité des manufactures, pour faire fleurir l'industrie nationale. Elles sauvent le commerce en donnant aux fabricants français, par des prohibitions ou des droits sur les productions de l'industrie étrangère, l'avantage de la concurrence dans le marché intérieur; elles sont utiles au consommateur en lui assurant à moindre prix les marchandises qui se fabriquent extérieurement avec des malières premières indigènes, que l'étranger accaparerait, sans la prohibition à la sortie.... L'institution deviendra réellement nationale, lorsque la combinaison des différents règlements sera parvenue au point d'activer dans les mains d'un million d'ouvriers l'instrument qui les nourrit, lorsque cette combinaison repoussera par des prohibitions nécessaires les marchandises étrangères dont l'entrée porterait préjudice aux marchandises de même espèce qui se fabriquent, se vendent et se consomment dans l'intérieur2. »

Le ministère comprit la leçon, promit de rédiger ses lois de douane en vue de la protection 3, et présenta, en 1816, un nouveau projet pour refondre le tarif de 1806, qui, jusque-là, n'avait subi que des modifications de détail. Il proposait des droits plus forts. La Chambre les renforça encore", acceptant, sans en peser la valeur, les arguments quelquefois singuliers que suggéraient les intérêts ou les préjugés, Un député déclarait la céruse de Clichy excellente pour la consommation, supérieure même, de l'avis de tout le monde, à celle de Hollande; « mais, ajoutait-il, le vulgaire veut le

1. Loi du 17 décembre 1814.

2. Rapport de Magnié-Grandprez, Moniteur de 1814, p. 1253.

3. Moniteur de 1815, p. 1253.

4. Le gouvernement, par exemple, proposait de créer un entrepôt à Lille. Les députés des ports de mer se récrièrent et firent, après un long débat, supprimer l'article.

cachet des manufactures étrangères; » pour l'en dégoûter, il demandait, et il obtint un droit énorme sur la céruse étrangère1. Un autre voulait qu'on imposât fortement le thé, parce que les Anglais le fournissent, et que « c'est autant de numéraire qui sort de Françe2. » Sur la demande des agriculteurs, la prohibition des peaux, à la sortie, fut levée d'une part, et d'autre part, l'entrée des eaux-de-vie, autres que de vin, fut prohibée. On rétablit, en pleine paix, les rigueurs de la législation prévôtale, et l'on autorisa la recherche et la saisie à l'intérieur des étoffes prohibées".

La Chambre introuvable fut dissoute. Mais le cabinet eut besoin, en 1817 comme en 1816, de s'appuyer sur une majorité qui, si elle ne professait pas les mêmes sentiments politiques, avait en agriculture et en industrie les mêmes intérêts et les mêmes exigences. La législation commerciale se sentit donc peu du souffle libéral qui inspirait alors le gouvernement. Lorsque la question des tarifs se produisit à la session de 1817, le directeur général des douanes se contenta de glisser timidement un éloge platonique de la liberté des échanges", tout en déclarant aussitôt ne vouloir porter aucune atteinte au système prohibitif, « qu'il est, ajoutait-il, sage de respecter aussi longtemps que nos manufactures se croiront fondées à le considérer comme leur plus solide appui ".

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1. Moniteur de 1816, p. 440. - 2. Ibid., p. 439.

3. Loi du 28 avril 1816. Art. 59. A dater de la publication de la présente loi, les cotons filés, les tissus et tricots de coton et de laine et tous autres tissus de fabriques étrangères prohibés seront recherchés et saisis dans toute l'étendue du royaume. »

4. Cependant le rapporteur, Morgan de Belloy, parla avec modération et fit des vœux pour l'entier affranchissement des matières premières que les circonstances ne permettaient pas de dégrever. Moniteur de 1816, p. 291; voir aussi la loi qui fut promulguée le 28 avril 1816.

5. «Sans doute il est louable d'annoncer hautement le désir de cette heureuse révolution dans le système commercial du monde; mais nous n'aurons pas la hardiesse de vous conseiller d'en devancer l'époque. » (Moniteur de 1817, p. 146.)

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6. Le baron de Saint-Cricq s'applaudissait des « heureux effets » de la loi du 28 avril 1816 que le projet nouveau était destiné à renforcer. « Donner, disait-il, aux finances le plus possible sans surcharger le commerce ni affaiblir la consommation, sans porter atteinte au système prohibitif dont l'efficacité, nous le savons, partage encore les meilleurs esprits, mais qu'il est

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Les députés voulaient non-seulement le respecter, mais le fortifier. Les propriétaires, en faveur des maîtres de forges ⚫ auxquels ils vendaient leur bois, cherchaient à écarter la concurrence des fers étrangers, et ne prenaient guère la peine de dissimuler le mobile qui les faisait agir1. Les industriels, pensant que « la prospérité des manufactures peut seul procurer des consommateurs utiles à l'agriculture 2, » voulaient qu'on supprimât tout droit d'entrée sur les matières premières, et le directeur général avait quelque peine à défendre les intérêts du fisc. La loi du 27 mars 1817, ajouta quelques restrictions nouvelles au commerce extérieur.

Celle du 21 avril 1818 fut le sujet d'un curieux débat. Avant 1789, les provinces d'étranger effectif n'étant pas comprises dans la circonférence des douanes, commerçaient librement avec les pays voisins; l'Alsace était du nombre, et avait gagné cinq millions par an au transport des marchandises entre l'Allemagne et la Suisse. La Révolution, en portant la ligne des douanes à la frontière, avait interrompu ces relations; l'Empire, par ses prohibitions contre le commerce maritime, les avait en partie renouées; mais, depuis 1815, le bénéfice en avait passé au grand-duché de Bade. L'Al

sage de respecter aussi longtemps que nos manufactures se croiront fondées à le considérer comme leur plus solide appui, tel était, Messieurs, le but que nous devions nous proposer, et ce but, nous pouvons le dire maintenant avec le sentiment de la conviction, la loi du 28 avril dernier l'a atteint au delà même de nos espérances.» (Moniteur de 1817, p. 146.)

1. Le général Augier proposait un amendement pour porter de 20 à 30 fr. par 100 kil. le droit imposé par la loi du 21 décembre 1814 sur les fers laminés, que les étrangers fabriquaient par des procédés économiques. (Mon. de 1817, p. 286.) L'orateur déclare « qu'il manquerait au premier de ses devoirs, si connaissant bien la partie et propriétaire d'une des plus grandes usines de Bercy, il ne déclarait à la Chambre que la France est menacée dans ses intérêts les plus précieux si elle ne garantit les propriétaires des forges de la concurrence trop avantageuse de l'étranger. » Becquey le soutint «. Je n'ajouterai qu'un fait la pensée de l'introduction considérable et prochaine de ces fers avec lesquels les nôtres ne peuvent entrer en concurrence pour les prix a jeté un tel découragement parmi les maîtres de forges, que dans le département de la Haute-Marne, où j'ai l'honneur d'être député, dans ce département couvert de forges et de bois, des ventes de bois étaient annoncées il y a quelques jours; ils appartiennent à Monsieur, frère du roi, et à plusieurs communes. Eh bien! il a été impossible de trouver des acheteurs.... >>

2. Moniteur de 1817, p. 278. Discours du comte Beugnot.

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