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quents; impossible et illogique dès qu'on avait en même temps la prétention de favoriser et d'étendre le commerce extérieur. Pour réussir, sans commettre de trop grandes injustices, il aurait fallu pouvoir isoler la France comme le Japon s'est longtemps isolé au milieu de l'Océan; le travail qu'on se plaisait à appeler national aurait seul pourvu, tant bien que mal, aux besoins des nationaux, et tous auraient subi la condition commune. Mais dès que la barrière ne s'élevait que pour quelques-uns, il y avait nécessairement un privilége en faveur de ceux, quels qu'ils fussent, qui avaient le droit, comme producteurs, d'imposer leurs marchandises à leurs concitoyens et le droit, comme consommateurs, de choisir entre les marchandises de leurs concitoyens et celles des étrangers. Il devait y avoir, par suite, une ardente compétition pour être admis à la jouissance de ce privilége.

Pour assurer à l'intérieur l'exécution des lois prohibitives, il fallut étendre encore à de nouveaux objets la surveillance administrative, ordonner, par exemple, que les tissus et tricots de la nature de ceux qui étaient prohibés ne fussent mis en vente qu'avec une marque particulière 1, prescrire le mode de dévidage et d'enveloppe des cotons filés en France2, faire des visites domiciliaires, saisir les marchandises suspectes, exciter des mécontentements et des réclamations. Un mal conduisait à un autre mal.

Il faut dire, pour mieux faire comprendre les causes de la politique commerciale en France, que dans toute l'Europe le vent était alors à la protection. Après les rudes secousses de l'Empire, les nationalités s'étant reconstituées, les gouvernements avaient favorisé dans une certaine limite cette tendance qui semblait assurer leur indépendance politique,

1. Ord. des 8-14 août 1816.

2. Loi du 21 avril 1818; loi du 26 mai 1819; ord. du 16 juin 1819; des 1-15 déc. 1819; des 8-24 avril 1829.

3. « Prenant en considération les représentations adressées de la part d'un grand nombre de manufacturiers et de marchands de bonneterie, soit sur 1 insuffisance, en ce qui les concerne, des délais précédemment accordés, soit sur les difficultés qui s'opposent à ce que la marque puisse être séparément appliquée à chacun des objets provenant de leur industrie.... » Ord. des 23-30 sept. 1818.

et chacun s'était gardé d'autant plus de ses voisins que les événements l'avait, quelque temps auparavant, lié plus étroitement à eux. Partout on avait repoussé les produits étrangers, et particulièrement les produits anglais, dont l'introduction à bas prix avait fort déconcerté les manufacturiers du continent. La France, il est vrai, avait donné l'exemple aux Pays-Bas, à l'Allemagne, à l'Espagne; mais ceux-ci s'étaient empressés de le suivre et parfois l'avaient dépassé. L'Angleterre elle-même était restée, jusqu'en 1824, hérissée de prohibitions, qu'elle avait même aggravées au profit de ses propriétaires fonciers.

La protection était au pouvoir en Europe. Toutefois l'économie politique, patronne de la liberté commerciale, lui livrait déjà de rudes combats dans le domaine de la science; elle triomphait dans le domaine des faits: elle donnait Huskisson à l'Angleterre et en France elle commençait à miner, avec le double argument de la consommation et des débouchés, la forteresse élevée par des intérêts privés et soutenue par des préjugés: mais la forteresse était énergiquement défendue.

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Sucre de betterave. — Industries diverses. — Lithographie. — Librairie.— Pianos. Cristaux et Glaces.

Houille.

Canaux.

Coutellerie.

Quincaillerie. Métaux. Comparaison de la richesse industrielle sous l'ancien Régime et sous la Restauration.

Comblée des faveurs de la royauté, la grande industrie prospéra. Les circonstances secondèrent merveilleusement ses entreprises: une longue période de paix sous un gouvernement qu'on savait résolu à ne jamais la troubler, et dont l'expédition d'Espagne altéra à peine quelques mois la sérénité, la reprise du commerce maritime, un besoin d'activité que la guerre ne détournait plus, le licenciement même de l'armée de la Loire qui, laissant sans emploi un grand nombre de soldats et d'officiers, fournit aux manufactures un premier renfort de travailleurs actifs et d'ingénieurs instruits.

Les débuts cependant furent pénibles 1. On travaillait au

í. En 1816, le Moniteur disait avec timidité en parlant d'une certaine reprise des affaires à Marseille, à Lyon, à Rouen: « Ces divers détails indiquent, sinon un état de prospérité, du moins ce retour au mouvement signalé déjà dans les six derniers mois de 1814 et les trois premiers de 1815.>> Moniteur de 1816, p. 361.

milieu d'une armée de 150 000 étrangers gardant nos places fortes; on supportait les frais de l'occupation; on avait à payer 700 millions de contributions de guerre, de lourdes indemnités à tous les peuples que nos troupes avaient naguère foulés, à liquider plus d'un milliard de dettes arriérées depuis 1812: ces charges pesaient lourdement sur le pays1. On ne s'en aperçut pas à Paris. La présence de riches étrangers qui, avides des plaisirs de la grande ville, prodiguaient l'argent, fruit de leurs rapines, communiqua au commerce, dès le lendemain de la seconde invasion, un mouvement factice; lorsque les troupes alliées eurent été éloignées de la capitale, ces étrangers continuèrent encore à animer la Bourse par leurs spéculations sur les titres de rente qui leur étaient donnés en payement: malgré la masse des émissions, la rente monta à 80 francs. Cette hausse, effet de l'agiotage, était sans solidité et devait crouler, dès que les étrangers chercheraient à réaliser leurs bénéfices. La Banque, qui n'avait pas osé faire circuler ses billets durant l'année 1815, et qui, dans les deux années suivantes, avait à peine émis 100 millions de billets provisoires, venait de prendre elle-même confiance et d'ouvrir plus libéralement son portefeuille, lorsque, dans la seconde moitié de l'année 1818, éclata une crise, amenée par la disette des grains et par le jeu des spéculateurs; les présentations à l'escompte augmentèrent tout à coup pendant que l'encaisse tombait en moins de trois mois de 117 à 34 millions 2. Il fallut serrer les freins, réduire l'escompte à 45 jours et laisser passer la tourmente, qui fit un grand nombre de victimes.

Quand le calme fut rétabli, la France était délivrée de la présence des alliés. Richelieu avait signé un traité par lequel l'armée d'occupation devait évacuer le territoire français, après le payement de 265 millions, reliquat de la

1. L'État eut ainsi à payer, en capital ou en rentes, une valeur représentant environ 2 milliards.

2. 117 millons en juillet; 59 millions le 8 octobre; 34 millions à la fin d'octobre. Voir la série des comptes rendus de la Banque de France. Voir aussi les Crises commerciales, par M. Cl. Juglar.

3. Traité du 9 octobre 1818.

contribution imposée à la France, et, à la fin du mois de novembre 1818, les derniers bataillons étrangers avaient repassé la frontière.

Ce fut alors que l'industrie prit son essor, et entra dans une des plus brillantes périodes de son développement. Les escomptes de la Banque peuvent donner une idée de ce progrès le portefeuille, qui n'avait encore escompté que 253 millions d'effets de commerce en 1820, reçut 384 millions en 1821, 395 en 1822; en 1823, la guerre d'Espagne le réduisit, il est vrai, à 320; mais il remonta dès l'année suivante à 489, à 638 en 1825 et à 668 en 1826. Les plus beaux jours de l'époque impériale étaient éclipsés.

Mais une crise était encore une fois imminente. Le prix des marchandises, que la spéculation avait surélevé, baissa les exportations se réduisirent; les faillites se déclarèrent, et, dans les trois derniers mois de l'année 1826, la Banque eut 8 millions d'effets qu'elle dut protester. La Restauration resta sous le coup de cette crise jusqu'à son dernier jour, comme l'Empire était resté sous le coup de la crise de 1811 les escomptes descendirent à 566 millions en 1827, à 407 en 1828. S'ils se relevèrent en 1829 et en 1830, c'est que la disette, rendant nécessaires de fortes importations de grains, multiplia un genre tout spécial d'opérations; mais l'industrie n'en fut que plus languissante1.

Pendant la période de développement, les progrès avaient été rapides. On put, à plusieurs reprises, en 1819, en 1823, en 1827, les constater dans les expositions que le gouvernement voulut renouveler régulièrement tous les quatre ans. Ce fut le comte Decazes qui eut le mérite de faire revivre cette heureuse institution du Directoire, et Costaz qui fut chargé, sous la Restauration comme sous l'Empire, d'organiser la solennité et de rédiger le rapport.

La liberté politique portait alors ses fruits: la littérature, languissante sous l'Empire, commençait à intéresser les esprits et bientôt les passionna. Chateaubriand, dont la

1. Voir les comptes rendus annuels de la Banque de France.

2. Ordonnance du 13 janvier 1819.

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