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reformer les capitaux qui ne se reproduisent et ne s'accroissent que par un labeur continu, et que dix ans de crise avaient presque anéantis. Nous avons dit combien la société de 1786 était florissante; combien aussi elle était gênée, en raison même de son développement, dans les formes étroites de sa législation surannée. La société nouvelle était constituée sur des principes solides et sur des bases assez larges pour supporter tous les développements de l'avenir; mais, comme elle avait eu tout à recréer, elle s'était trouvée au début bien moins riche que sa devancière. Elle ne parvint à l'égaler que sous l'Empire, et ne la dépassa que sous la Restauration.

Les chiffres du commerce extérieur sembleraient même accuser un progrès moins rapide. En 1787, le commerce extérieur avait été d'environ 1 milliard; sous l'Empire, il n'atteignit qu'une fois le chiffre de 933 millions; sous la Restauration, il ne dépassa le milliard qu'en 1827, et l'importation, qui fournissait principalement les matières premières du travail, ne remonta qu'en 1830 au niveau de l'ancien régime1.

Mais le commerce intérieur, qui échappe à toute mesure exacte, s'était accru plus rapidement, parce que la population des villes avait augmenté et que le paysan était devenu propriétaire. Quel était le rapport exact aux deux époques? nul ne saurait le dire avec précision; mais il est certain que la société nouvelle, riche d'avenir, ne possédait pas encore, sous la Restauration, un capital matériel beaucoup plus considérable que la société de 1786.

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Les chiffres de 1787 sont empruntés à l'ouvrage de Chaptal (de l'Industrie française), les autres aux documents officiels. Le chiffre de 1787 n'est pas, par tous les statisticiens, évalué de la même manière. Voir plus haut, p. 6.

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des usines. Révolution dans l'industrie. Sentiments des ouvriers.

AvanProfit pour

Doctrine de Sismondi.- Impossibilité de se passer de machines. tages économiques du perfectionnement des machines.

les classes pauvres.
Effet sur les salaires.
de l'ouvrier. - Influence sur la moralité.

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Action sur l'intelligence

Sous la Restauration comme sous l'Empire, ce que l'industrie présentait de plus nouveau et de plus digne de remarque, c'était moins encore les produits que les moyens de produire. La science continuait à éclairer le travail et armait la manufacture de procédés et d'instruments qui lui communiquaient une puissance inconnue à l'ancien régime. « On doit, disait avec un juste sentiment de reconnaissance Costaz dans son rapport de 1819, placer au premier rang les progrès des sciences exactes et les nombreuses découvertes faites depuis trente ans en physique, en chimie et en mécanique; ces découvertes déterminent presque toujours la création ou le perfectionnement de quelque branche d'industrie1. »

Elles avaient eu principalement pour effet la réduction des prix de revient. Sur les porcelaines, par exemple, la diminution était de 60 pour 100 au moins, de 25 pour 100 sur

1. Rapport de Costaz, avant-propos, p. xix.

les draps, presque de 30 pour 100 sur les fils de coton. Les calicots, qui, en 1816, se vendaient 2 fr. 60 à SaintQuentin, n'étaient plus payés que 70 centimes en 1831, et les mérinos qui, en 1805, avaient valu 70 francs le mètre à Reims, n'en valaient pas 10 en 1830. C'étaient là d'importants résultats; car abondance et bon marché sont les derniers termes de l'industrie, qui se propose d'accommoder au service de l'homme, avec le moins d'efforts possible, la plus grande somme de richesses naturelles.

Une part du mérite revenait à la chimie, qui avait rendu déjà de si grands services sous l'Empire. Derosne travaillait pour les raffineries, où il introduisait l'usage du noir animal et le sang desséché. L'usine de l'île des Cygnes continuait à donner l'exemple de la fabrication de la colle extraite des os au moyen de l'acide sulfurique. L'art du blanchiment et celui de la teinture continuaient à se développer; l'emploi des rongeurs donnait lieu à de nouvelles variétés dans les dessins, et le jury se plaisait à reconnaître que plusieurs de ces perfectionnements étaient dus à d'anciens élèves des Gobelins'. L'ingénieur français Lebon, dès 1785, avait découvert la puissance éclairante des gaz de la combustion, mais il avait vu son invention dédaignée dans sa patrie. Elle avait réussi chez nos voisins, d'où elle nous revint sous la Restauration. Quelques établissements publics, puis le passage des Panoramas, puis le Palais-Royal avaient essayé du nouveau procédé, et, dès 1820, le gaz, un moment discuté, avait triomphé". A la même époque, Thénard, Gay-Lussac, Chevreul, Chaptal, Dumas étendaient le domaine de la chimie et les bienfaits de son application à l'industrie.

Mais, à cette époque, la part la plus considérable dans les progrès du travail appartenait aux machines, qui, sous l'Empire, n'étaient qu'au second rang. Alors les machines

Voir aussi le rapport de 1827.

1. Voir le rapport de 1819. 2. Lebon avait fait son invention dès 1785. Il prit un brevet en 1800, publia en 1801 son mémoire sur les thermolampes, et établit au Havre une usine qui n'eut pas de succès. Ce fut Murdoch qui fit réussir le gaz en Angleterre dès le commencement du siècle, et Winsor, qui rapporta l'invention à Paris en 1815.

étaient encore rares; les ouvriers rares aussi, et le nouvel auxiliaire du travail n'avait soulevé que quelques oppositions isolées parmi des ouvriers ignorants. Il en fut autrement quand, sous le règne pacifique des Bourbons, la mécanique transforma des industries entières, au moment où les travailleurs affluaient vers les fabriques.

En 1817, Douglass établissait chez des filateurs de Rouen deux pompes à feu de 4 à 8 chevaux, destinées à remplacer les manéges; le préfet venait solennellement les visiter et admirait cet engin nouveau, qui donnait un travail plus rapide et une économie notable. D'autres filateurs et bientôt d'autres constructeurs suivirent l'exemple. Dietz et Farcot furent récompensés à l'Exposition de 1823; quatre autres concurrents parurent à celle de 1827, et diverses améliorations furent apportées à la construction1. Sous l'Empire, on comptait à peine une quinzaine d'établissements possédant des machines à vapeur, dont une seule à haute pression; en 1820, l'administration des mines en recensait déjà 65; à la fin de 1830, il y en avait 625, représentant une force d'environ 10 000 chevaux.

La vapeur avait passé de la manufacture à la navigation. La France avait, depuis 1820, d'habiles constructeurs de bateaux à vapeur; et, en 1827, M. Seguin, l'inventeur de la chaudière tubulaire, lançait sur le chemin de fer de SaintÉtienne la première locomotive française. Fresnel, que l'on a justement surnommé le Newton de l'optique, décuplait la puissance d'éclairage des phares par la combinaison des verres lenticulaires. Ampère découvrait les courants d'induction et préparait l'invention du télégraphe électrique. Arago les secondait et leur rendait hommage.

Le domaine de la mécanique commençait à s'étendre sur les outils comme sur la force motrice. Le cardage de la laine et la filature de la laine cardée se faisaient dans de grands établissements et avec des machines; plusieurs es

1. Pecqueur proposait même, à l'Exposition de 1827, un système à rotation immédiate qui paraît être théoriquement le plus simple, et dont on a cherché longtemps la réalisation avant l'adoption presque générale aujourd'hui des cylindres horizontaux.

sais, encore imparfaits, avaient eu lieu pour appliquer également la mécanique aux travaux de la laine peignée. Ternaux, qui occupait le premier rang dans l'industrie des lainages, avait, dès 1811, introduit dans sa manufacture de Bazancourt, la filature mécanique de la laine peignée par le procédé Dobo.

Les cardes à chardons, imaginées par Douglass, les cardes métalliques, alors à leur début, la peigneuse de Collier et la tondeuse, oscillante ou rotative, dont Collier et Poupart se disputaient l'invention, complétaient alors l'outillage mécanique des fabriques de draps. Les filatures de coton étaient toutes munies de bancs à broches, et quelques essais étaient tentés pour créer le tissage automatique1. Les tours à filer la soie exerçaient le génie des inventeurs, et, vers la fin de la Restauration, Meynier imaginait le battant-brocheur, qu'il appliquait à la fabrication des rubans façonnés.

C'était aussi l'époque où les forges, tout en écartant les Anglais de notre marché, cherchaient à s'approprier leurs procédés et renouvelaient leur outillage. Depuis 1825 surtout, on les vit s'armer du soufflet à piston, du marteau frontal, du cylindre étireur', de la grue pivotante, du chariot monté sur les charpentes de la toiture, pendant que, dans d'autres ateliers, des machines commençaient à percer et à rogner le fer, que des scies circulaires et des planeuses coupaient ou menuisaient le bois. Comparées à l'outillage des usines de nos jours, ce n'étaient encore que de rares et faibles machines; mais elles constituaient alors une grande révolution industrielle, dont les Douglass, les Collier, les Schlumberger, les Koechlin, les Calla, les Périer étaient les agents les plus actifs3.

1. En 1827, Collier avait exposé un métier à tisser. Voir Rapport, p. 353. D'autres, et particulièrement Despiau, et Josué Heilmann, avaient fait aussi des tentatives du même genre. Voir Expos. univ. de 1851, t. III, 1re partie, 2o section, p. 338.

2. Le jury de 1819 attribuait à Dufaud, ancien élève de l'École polytechnique, la substitution du cylindre étireur au martinet.

3. L'usine des frères Périer, à Chaillot, était alors dirigée par Edwards, leur successeur. Il faut encore citer parmi les constructeurs de machines Manby et Wilson, Waddington, Dietz, Laborde, Hallette d'Arras, etc. Voir pour l'historique des machines le rapport du général Poncelet, Expos . de 1851, t. III, 11 partie.

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