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où se pressait la population industrielle étaient au nombre des plus compromis; la Seine, le Rhône, la Seine-Inférieure, la Gironde, les Bouches-du-Rhône, le Nord, avec Paris, Lyon, Rouen, Bordeaux, Marseille, Lille, figuraient dans les premiers rangs, tandis que les départements encore primitifs de la Bretagne étaient classés parmi les derniers1. On objectait, il est vrai, que les Landes, avec leur population rare et leur faible industrie, accusaient une moralité inférieure à celle du Nord, que le Haut-Rhin, malgré Mulhouse, le Gard, malgré Nîmes, restaient beaucoup au-dessous de la moyenne, que d'ailleurs les villes portaient la responsabilité d'un grand nombre de fautes qui, commises en d'autres lieux, venaient se cacher dans leur sein. Néanmoirs il était impossible de nier l'influence fâcheuse des grandes agglomérations, et le double tort de l'industrie qui contribuait à former ces agglomérations et qui jetait pêle-mêle dans les ateliers, près des séductions du luxe, des jeunes filles ne gagnant qu'un modique salaire, et des hommes n'ayant pas de famille ou se souciant peu de rentrer dans leur maison pour y entendre les plaintes de la femme et les cris des enfants.

Aussi voyait on prospérer le cabaret, ce mauvais génie de la classe ouvrière, qui dissipe en quelques heures une bonne partie du salaire de la semaine, et qui amène les rixes avec l'ivresse. On constatait que, sur 903 meurtres commis de 1826 à 1830, 446 l'avaient été à la suite de querelles chez le marchand de vin".

Les séductions étaient fréquentes de là les naissances

1. Moyenne du nombre des naissances naturelles sur un total de 1000 naissances, de 1821 à 1831 :

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Voir Congrès de bienfaisance de Bruxelles en 1855, p. 267.

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illégitimes, et, ce qui est pis encore, des enfants abandonnés. Beaucoup de femmes mariées suivaient ce funeste exemple et trouvaient plus commode de se débarrasser de leurs charges de famille que de lutter contre la misère. L'administration, guidée par une charité imprévoyante, s'était d'abord montrée très-facile pour les admissions, et en cinq ans le nombre des enfants trouvés avait augmenté de plus de 17 000. Sur les réclamations de tous les conseils généraux, elle se décida à déployer plus de sévérité. Des radiations eurent lieu; les départements y trouvèrent une économie notable, et les enfants une famille; néanmoins le nombre des abandons resta encore de beaucoup supérieur au total des naissances illégitimes1.

La Restauration fut charitable. Moins rigide que l'Empire, elle supprima, à la demande des conseils généraux, une grande partie des dépôts de mendicité; elle simplifia le système des secours à domicile3; elle organisa, à Paris, les bureaux de bienfaisance par arrondissement et créa un bureau de placement pour les enfants sortis des hospices". Elle institua des bals, des quêtes au profit des pauvres; des distributions plus somptueuses que véritablement utiles, à la fête du

1. En 1826, il y eut encore plus de 100 000 enfants trouvés et le nombre des naissances illégitimes fut de 72 000.

2. De 1814 à 1818 seulement 26, sur 59, furent supprimés, à la demande des conseils généraux; presque tous eurent successivement le même sort ou furent convertis en maisons de correction. Voir E. Buret, t. I, p. 230. 3. Ordonnance du 2 juillet 1816.

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roi; et, dans plusieurs circonstances, des princes et princesses de la famille royale allèrent solennellement visiter et soulager des malheureux1.

Cette sympathie pour la souffrance qu'avivait le sentiment religieux n'eut que trop d'occasions de s'exercer. Paris comptait en temps ordinaire plus de 60 000 indigents inscrits, environ le dixième de la population, et à cette armée régulière de l'indigence s'ajoutaient de nombreuses recrues, quand survenaitun hiver rigoureux, un chômage, une disette. Celle de 1817 fut surtout terrible; le blé valut jusqu'à 38 fr. 85 c. l'hectolitre. Le gouvernement fit venir des blés (1 460 000 hectolitres) de l'étranger, d'Odessa principalement, et dépensa 70 millions.

Mais le secours pallie le mal présent, sans en trancher les racines et lègue au lendemain tous les embarras de la veille. On doit exiger davantage d'une société civilisée qui tend au progrès. Bien qu'ils ne se préoccupassent pas encore très-vivement de ces questions que le temps n'avait pas jusque-là posées d'une manière impérieuse, les hommes de la Restauration, dans le gouvernement et hors du gouvernement, tentèrent de louables efforts pour obtenir plus et pour faire pénétrer dans la classe ouvrière l'épargne, la prévoyance et l'instruction, trois sources vives auxquelles se trempe la moralité humaine.

L'Angleterre, qui nous avait devancés sur la route du progrès industriel, avait en plus d'un genre des modèles à proposer à notre imitation. Dans les premières années du dixhuitième siècle, une femme charitable avait eu l'ingénieuse pensée de créer une banque des pauvres, moins pour faire fructifier leur argent que pour leur fournir l'occasion de l'épargner; elle avait, dès 1798, établi à Tottenheim une Caisse d'épargne. Des Caisses du même genre, fondées dans un très-grand nombre de villes, avaient eu un tel succès qu'en 1817 elles tenaient en dépôt 360 millions. Il est bien difficile pour le pauvre de faire des économies. Quand, le pain et le gîte payés, il lui reste encore quelque monnaie

1. Voir, par exemple, le Moniteur de 1819, p. 329.
2. 62 705, en janvier 1830. Voir Moniteur de 1830, p. 173.

dans sa bourse, il croit avoir tant de bonnes raisons pour la dépenser, et d'ailleurs il en reste si peu qu'il ne croit guère pouvoir en faire un placement fructueux !

A la campagne, le paysan entasse sou sur sou dans l'espérance d'acheter quelque lopin de terre qu'il ambitionne; rien ne le détourne de cette pensée au milieu du calme dans lequel il vit; et, à moins d'être profondément vicieux, il est facilement économe. Il n'en est pas ainsi pour l'ouvrier des villes. Il n'a ni les mêmes racines sur le sol, ni la même espérance, et il est de tous côtés entouré de séductions. Il est bon qu'une âme charitable le dérobe à ses propres tentations, recueille ses épargnes à mesure qu'elles se forment et l'encourage même, par un intérêt quelconque, à les lui confier. C'est l'objet que se proposent les caisses d'épargne; elles doivent, à ce titre, être classées au nombre des plus bienfaisantes institutions qui aient été imaginées pour l'avantage des classes pauvres. Les sommes qu'elles reçoivent, elles les soustraient à une consommation non-seulement improductive, mais souvent pernicieuse, et elles préviennent ainsi le vice. Elles inculquent l'habitude morale, quelque modique que soit le présent, de faire la part de l'avenir, et elles forment à la prévoyance des hommes qui, étant les moins riches, ont le plus besoin de cette vertu. Enfin elles aident les gens laborieux à franchir la période la plus difficile de l'existence, celle où ne possédant rien encore, ils cherchent à créer leur premier capital. Ce n'est pas seulement au chiffre des dépôts existant dans une caisse d'épargne qu'il faut mesurer son importance et ses bienfaits, c'est au total des sommes qui y ont été successivement déposées, et qui, en majeure partie, ne lui ont été confiées qu'en attendant un plus fructueux emploi.

Des écrivains firent connaître cette institution en France, et quelques hommes généreux, appartenant la plupart au parti libéral, parvinrent à lui donner droit de cité. Une société anonyme se forma, en 1818, sous le nom de Caisse d'épargne et de prévoyance1; elle obtint l'autorisation royale, et ouvrit

1. L'acte de Société est du 22 mai; l'autorisation royale, du 29 juillet 1818

le 1er décembre des bureaux installés sans frais dans le local de la Compagnie d'assurances maritimes. Benjamin Delessert était le principal créateur de cette société, et le vénérable la Rochefoucauld, que l'on trouvait partout où il y avait une bonne action à faire, en fut le premier président.

<< Cette caisse, disait l'acte de fondation, est destinée à recevoir en dépôt les petites sommes qui lui seront confiées par les cultivateurs, ouvriers, artisans, domestiques et autres personnes économes et industrieuses. » Elle recevait en effet toute somme, depuis 1 franc, sans fraction de franc, et se chargeait d'administrer les épargnes jusqu'à concurrence de la somme nécessaire pour acheter au dépositaire une rente de 50 francs. Elle donnait un intérêt variable', mais fixé au commencement de chaque année, et qui, compté par mois, s'ajoutait, à la fin de chaque mois, au capital. Elle remboursait, tout ou partie des fonds déposés, huit jours après avoir été prévenue. Elle présentait d'ailleurs de sérieuses garanties; tous ses fonds devaient être employées en achats de rentes; elle était administrée par vingt-cinq directeurs dont les fonctions étaient entièrement gratuites et qui étaient pour la plupart au nombre des plus riches capitalistes de Paris.

Les débuts, sans être éclatants, furent de nature à prouver que l'institution réussirait dans le dernier mois de l'année 1818, quoique la caisse n'ouvrît que le dimanche et le lundi, il y eut 505 versements donnant un total de 54 867 francs. En 1829, le succès était depuis longtemps certain; dans l'année 6 278 134 francs furent déposés en 138 722 versements.

L'exemple avait d'ailleurs porté ses fruits. Des caisses avaient été ouvertes dans treize autres villes et le gouverne

(Moniteur de 1818, p. 1049). Parmi les membres fondateurs qui donnèrent chacun 1000 francs de rente à la Caisse pour former son capital de garantie, on comptait Laffitte, Boucherot, Périer, Barillon, Busoni, Lefebvre, Caccia, Guiton, Delessert, Davillier, Vernes, Pillet-Will, Hottinguer, Lainė, VitalRoux; etc.

1. L'intérêt fut de 5 p. 100 pour la première année.

2. A Bordeaux (24 mars 1819), à Metz (17 novembre 1819), à Rouen (30 mars 1820), à Marseille (3 janvier 1821), à Nantes (23 janvier 1821), à

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