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ment avait prêté son appui à cette œuvre, la plus belle de celles qu'une charité intelligente ait inspirées dans cette période 1. Il avait autorisé les caisses à acheter, au nom des déposants, des coupons de 10 francs de rente, bien que les moindres coupures fussent alors de 50 francs: mesure destinée à sauvegarder, en partie du moins, les caisses qu'une demande considérable de remboursements, en temps de baisse, eût ruinées, si elles eussent été obligées de vendre à vil prix des titres représentant au moment du dépôt et de l'achat des sommes beaucoup plus fortes. La hausse avait aussi des dangers pour des établissements qui, ne faisant aucune spéculation ni aucun bénéfice, désiraient échapper aux fluctuations du marché d'argent; l'État pouvait rembourser à 100 francs des titres achetés au-dessus du pair, et causer aux caisses un déficit considérable. Elles obtinrent une seconde ordonnance par laquelle le Trésor s'engageait à prendre en compte-courant tous leurs fonds avec intérêt de 4 pour 100*.

En retenant ensuite un demi pour 100 comme frais d'administration, la Caisse acquit la fixité qu'elle souhaitait. Mais elle lia, ainsi que l'expérience l'a montré plus tard, trop intimement sa destinée à celle du gouvernement. Les épargnes des petits se noyèrent dans la dette flottante, et l'État, en assurant à la Caisse un intérêt souvent onéreux pour lui, fit légèrement incliner sur la pente de l'assistance publique

Troyes (1er août 1821), à Brest (27 août 1821), au Havre (16 janvier 1822), à Lyon (17 septembre 1822), à Reims (23 avril 1823), à Beaucaire (7 avril 1824), à Nîmes (6 mars 1828), à Rennes (27 janvier 1830).

1. Voici le témoignage que rendait à ce sujet le comte Roy, en 1829: << Parmi les associations formées depuis 1814 dans un but de bienfaisance et d'utilité publique, il en est peu qui aient un objet plus utile que celles qui, en créant des caisses d'épargne et de prévoyance, ont offert des moyens de conservation et d'accroissement aux petites économies des classes peu aisées de la société, » Monit. de 1829, p. 921.

2. Ordonnance du 30 octobre 1822.

3. Dans le cas d'une demande de remboursement, les Caisses restituaient aux exposants leurs titres de rente et n'étaient exposées à perdre que sur les placements inférieurs à dix francs de rente.

4. Ordonnance du 3 juin 1829. Cette ordonnance les autorisait seulement pour les années 1829 et 1830, mais sans les obliger en rien. « Dans tous les cas, leurs relations avec le Trésor ne sont pas obligatoires. Une liberté entière leur est maintenue. » Moniteur de 1829, p. 921.

une institution qui aurait dû n'avoir jamais d'autre cachet que celui de la prévoyance libre, se suffisant à ellemême.

La Société pour le placement des jeunes apprentis, fondée en 1821, la Société des amis de l'enfance, fondée en 1828, la Société philanthropique, tendaient à exercer un patronage plus personnel et déployaient à l'envi leur zèle. La dernière surtout s'appliquait à stimuler chez les ouvriers le sentiment de la prévoyance, à fonder parmi eux des sociétés de secours mutuels, et réussissait à en faire naître un certain nombre.

La société de secours mutuels était pour les classes ouvrières une excellente institution que le temps devait développer. Elle était alors à la recherche de ses véritables principes et elle était condamnée à d'autant plus de tâtonnements que la plupart des ouvriers, ne prenant conseil que d'euxmêmes, promettaient, dans leur inexpérience, plus qu'ils ne pouvaient tenir. Comme les Mutuellistes de Lyon, associés en 1827, ils garantissaient, sur la remise d'une modique cotisation, non-seulement contre la maladie, mais contre les infirmités, la vieillesse, le chômage. Aussi beaucoup de ces sociétés ne tardaient-elles pas à être débordées par les dépenses et ruinées. Le gouvernement, sans leur être hostile, les connaissait à peine et s'en préoccupait fort peu. Il n'en fut question que deux fois d'une manière solennelle', à l'occasion du baptême du duc de Bordeaux, où une distribution d'argent fut faite aux sociétés du département de la Seine3, et dans un rapport lu à l'Institut sur les caisses d'épargne dans lequel, tout en signalant les imperfections présentes, on rendait à l'institution ce juste témoignage : « Le principe de l'assurance mutuelle, qui en forme la base,

1. M. Ducellier, Histoire des classes laborieuses, p. 368.

2. Cependant la Caisse de secours des ouvriers mineurs fut organisée sous le patronage du préfet avec les fonds de l'État (27 juin 1817, 28 mai 1818). 3. Un petit nombre seulement de Sociétés se présentèrent alors. En leur remettant une médaille commémorative, le préfet de la Seine disait : « Rien ne nous a paru plus digne d'encouragement que les associations de prévoyance, de secours mutuels et d'union formées entre certains ouvriers. » Moniteur de 1821.

sera dans l'avenir un des principaux éléments des progrès de la civilisation1. »

Le clergé ne restait pas inactif. L'esprit de charité, plus que celui de prévoyance, inspirait ses œuvres et le conduisait naturellement au patronage des classes pauvres. L'abbé Legris-Duval fondait ou plutôt restaurait la maison du BonPasteur dans laquelle on admettait, au sortir de l'hôpital et de la prison, les jeunes filles égarées. Les frères et les sœurs de Saint-Joseph pénétraient dans les prisons; à Lyon, ils avaient fondé la Solitude pour des femmes qui avaient subi une condamnation et la Providence Saint-Joseph dans laquelle ils recevaient les jeunes détenus et leur apprenaient à travailler; ils étaient parvenus à faire subsister en grande partie la maison avec les produits de leur travail . A Paris, le curé Desgenettes avait fondé aussi une maison de la Providence pour les jeunes orphelines qu'il admettait, soit comme internes, soit comme externes, et dont il faisait des ou vrières, des sous-maîtresses, quelquefois des religieuses, selon leur vocation". L'œuvre de Saint-Joseph cherchait à former parmi les ouvriers des associations religieuses en empruntant quelques-unes des formes du compagnonage; ́ l'institut Saint-Nicolas tentait l'éducation professionnelle dans les faubourgs de Paris. D'autres associations, l'association Sainte-Anne, l'œuvre de Saint-Jean au Gros-Caillou, visaient au même but par des moyens divers.

Il appartient aux classes éclairées de prêter l'appui de leur moralité et de leurs conseils à ceux que le malheur de la naissance ou le défaut d'éducation a laissés sans guide, faibles et ignorants, ou qu'il a déjà pervertis. Le cœur le commande. Sous la Restauration, l'intérêt parlait comme le cœur; car cette masse d'ouvriers dont le nombre croissait chaque année, pouvait, faute d'une bonne direction, créer

1. Le rapport dit qu'il existait alors environ deux cents Sociétés de ce genre à Paris. Moniteur de 1830, p. 495.

2. Fondée en 1821. Voir de Gérando, de la Bienfaisance publique, t. III,

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5. Voir M. Ducellier, Histoire des classes laborieuses, p. 375.

des dangers sérieux au gouvernement et à la société. Le clergé, qui vit près du peuple, le comprenait, et son zèle avait de bons effets; il en aurait eu de meilleurs, si la politique, alors trop mêlée à la religion, n'avait inspiré à l'ouvrier des grandes villes une défiance instinctive pour tout ce qui lui était présenté de la main d'un prêtre.

La question de l'instruction primaire, fort négligée sous l'Empire, avait été soulevée durant les Cent-Jours par Carnot, et n'était plus retombée dans l'oubli. Deux méthodes se trouvaient en présence.

La Société pour l'Encouragement de l'instruction élémentaire en France s'était fondée après les événements de 1814; dirigée par des hommes de cœur, comme le baron de Gérando et le comte de Laborde, elle travaillait avec ardeur à propager ses doctrines et à créer des écoles. Il fallait une instruction à bon marché, donnée par un petit nombre de maîtres; car l'argent et le personnel manquaient. L'Angleterre offrait encore un modèle dans la méthode rapportée, disait-on, de l'Inde, et propagée par Bell et par Lancaster; on la nommait méthode d'enseignement mutuel, parce que le maître ne donnait ses leçons directes qu'à un nombre restreint d'enfants, que ces enfants à leur tour, avec le titre de moniteur, groupant en cercle les enfants moins avancés, leur apprenaient, suivant leur propre degré d'avancement, ce qu'ils avaient appris eux-mêmes, pendant que le maître présidait et exerçait la surveillance sur tous les cercles, soit en personne, soit par l'intermédiaire d'un moniteur général. Un instituteur pouvait ainsi tenir sous sa direction plusieurs centaines d'élèves. S'il est vrai que l'on ne sache bien que ce qu'on a enseigné, les enfants les plus studieux étaient. dans la meilleure condition pour s'instruire. La dignité de moniteur soutenait leur zèle. L'espoir de parvenir à cette dignité, le désir d'être inscrit au tableau d'honneur, et d'occuper ou de garder un bon rang dans le cercle, rangé chaque jour et à chaque exercice d'après le mérite, animait les autres. Une école mutuelle devait être une petite république gouvernée par l'émulation. Malheureusement il était difficile de faire régner l'ordre dans de pareilles républiques. Le moni

teur, en classant son cercle, pouvait avoir des préférences; c'était un enfant, et il pouvait jouer; l'œil du maître n'était pas partout à la fois, et on était exposé à perdre beaucoup de temps aux changements d'exercices, qui devaient être fréquents afin de ne pas fatiguer l'attention, et qui, pour éviter la confusion, se faisaient en cadence, au bruit des chants. La Société pour l'encouragement de l'instruction élémentaire comprit que dans un pays où rien n'avait encore été fondé, les avantages du système mutuel l'emportaient sur les inconvénients, et avec tous les esprits libéraux, elle prêcha l'application de la méthode lancastrienne.

Le clergé, dans ses écoles, suivait le système de l'enseignement simultané, tel que l'avait réglé l'abbé de La Salle. Le frère de la doctrine chrétienne instruisait seul ses élèves qui écrivaient ensemble sous sa dictée et répétaient ses leçons, soit ensemble, soit successivement. Les enfants n'exerçaient aucune action les uns sur les autres, et toute l'instruction tombait des lèvres du maître. Ce système, qui laissait l'autorité intacte, avait le double inconvénient d'occasionner plus de perte de temps encore que son rival, les enfants restant une partie de la journée sans direction, et d'exiger un personnel beaucoup plus nombreux.

Le clergé se prononça énergiquement contre la méthode qui se présentait en concurrence avec la sienne. L'enseignement mutuel et l'enseignement simultané devinrent des questions de partis, et l'on mit dans une discussion de discipline scolaire toute l'âpreté des débats politiques, les uns accusant les écoles ecclésiastiques d'organiser l'obscurantisme, les autres dénonçant les écoles mutuelles comme des foyers d'immoralité où l'enfant apprenait à secouer le joug de l'autorité et de la religion 1.

1. Voici comment dans une discussion de la Chambre s'exprimait à ce sujet un député de la droite: « S'il est vrai qu'un enfant de six ans puisse par cette méthode pour laquelle il est sans cesse en mouvement et jase sans cesse, apprendre à lire et à écrire en un an, c'est de l'instruction, non de l'éducation.... Si au contraire on les assujettit à la discipline, au silence, à la subordination.... » et il concluait en faveur de l'enseignement des Frères. Moniteur de 1821, p. 855 et 856.

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