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portée ? C'est à examiner par le gouvernement et par l'assemblée nationale, d'autant plus que la Délégation de Tours a préjugé le droit d'association sans conditions (décr., 22 sept.).

Un décret a déclaré libres les professions d'imprimeur et de libraire, en maintenant d'ailleurs l'une des obligations imposées par la loi sur la police de l'imprimerie et en réservant certaines questions pour les brevetés 10. Ce sera encore matière à examen.

Qu'est devenue la législation sur la presse? Il n'y a pas eu définitivement abrogation ou remplacement du décret-loi du 17 février 1852 et de la loi du 27 juillet 1849. En janvier 1870, ayant proposé une loi nouvelle et complète quant à la compétence et à la procédure pour délits de presse, le gouvernement impérial avait invité les procureurs généraux à s'abstenir provisoirement de certaines poursuites; le projet a été amendé et voté par le Corps législatif (J. off. 26 mai), mais le Sénat n'était pas disposé à admettre tous les amendements, et la gravité des évènements survenus a fait prononcer un ajournement indéfini (V. J. cr., 1870, p. 269). Ne conviendra-t-il pas de reprendre un projet déjà tant examiné, sauf modifications? Ayant suivi la discussion pas à pas, j'avais préparé un commentaire ; j'en conserve tous les matériaux. Deux décrets du gouvernement républicain ont aboli l'impôt du timbre sur les journaux et autres publications, puis le cautionnement des journaux politiques (décr. 5 et 10 sept. 1870). Pour les rétablir, il faudrait une loi nouvelle.

Un système exceptionnel de législation a été nécessité par le siége de Paris, dont le principal moyen était l'interception de toutes communications pour amener la famine. D'abord le gouvernement de la défense nationale a dû user d'un droit qui, participant à la fois de celui d'expropriation pour cause d'utilité publique et du droit de préemption qu'aurait un belligérant vis-à-vis des neutres eux-mêmes, est connu sous le nom de réquisition et a été consacré en France par une loi du 19 brumaire an 3 disant: «Toutes denrées, subsistances et autres objets ́ nécessaires aux besoins de la République peuvent être mis en réquisition en son nom. Tout citoyen sera tenu d'y satisfaire, sous peine de confiscation des objets requis». Le droit a été exercé par l'émission de différents décrets, en septembre et octobre, en novembre et décembre, d'abord pour les blés et farines, ensuite pour toutes sortes de denrées

10. Art. 1o. Les professions d'imprimeur et de libraire sont libres. Art. 2. Toute personne qui voudra exercer l'un ou l'autre de ces professions sera tenue à une simple déclaration faite au ministère de l'intérieur. Art. 3. Toute publication portera le nom de l'imprimeur.

Art. 4. Il sera ultérieurement statué sur les conséquences du présent décret à l'égard des titulaires actuels de brevets.

Du 11 sept. 1870.

alimentaires et des fourrages, puis pour les bêtes à corne et spécialement les vaches laitières, enfin pour tout ce qui pouvait être employé in extremis à l'alimentation et aux besoins analogues. La mesure générale avait besoin d'arrêtés spéciaux, désignant les choses requises, pour qu'il y eût une sanction pénale contre ceux qui négligeraient la déclaration exigée d'eux : c'est ainsi que le tribunal correctionnel a pu être saisi et prononcer pour contravention l'amende édictée par l'art. 471 C. pén., avec confiscation selon la loi de l'an 3 (Voy. jugem. 27 et 29 déc. 1870). Obtenant ainsi des vivres pour la population, il fallait empêcher l'accaparement et la trop grande élévation des prix. D'abord la mairie de Paris, livrant la viande aux bouchers, les a soumis à taxe; mais ils étaient portés par les circonstances à dépasser les prix, sans se trouver retenus par la menace de poursuites, qui ne pouvaient les faire condamner qu'à une faible amende de simple police. Aurait-on pu décréter les peines du délit d'abus de confiance, à raison de ce que les viandes étaient livrées sous la condition de ne pas excéder la taxe ? C'eût été anormal, tant que les bouchers étaient acheteurs et revendeurs. Il a donc fallu en venir à un système suivant lequel les viandes étaient ré– puiées propriété publique, confiées à des bouchers municipaux pour les vendre au prix de la taxe avec rétribution proportionnelle, ce qui a permis d'édicter pour infractions aux règles nouvelles des peines les sanctionnant suffisamment. Tel a été l'objet d'un décret du gouvernement de la défense nationale, qu'il peut y avoir intérêt à retenir en ce qu'il a des combinaisons ingénieuses 11.

11. Art. 1er. Seront punis d'une amende de 100 à 500 fr. et d'un emprisonnement de 15 jours à 3 mois, ceux qui auront contrevenu aux décrets et arrêtés concernant la taxe de la viande.

Art. 2. Seront punis d'une amende de 200 à 1000 fr. et d'un emprisonnement de 2 à 18 mois, ceux qui, étant préposés ou employés par l'administration à la conservation, à l'abatage, à la distribution ou à la vente des animaux ou de la viande destinés à la consommation, auront détourné ou dissipé tout ou partie des animaux ou de la viande qui leur auront été confiés à titre de dépôt ou de mandat, à charge de les rendre ou de les représenter, ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé.

Art. 3. Les contraventions ou délits prévus par les deux articles qui précèdent donneront lieu, en outre, à la fermeture des établissements de ceux qui s'en seront rendus coupables, à l'affichage du jugement sur la devanture desdits établissements et à la porte de la mairie de l'arrondissement, à l'insertion du jugement dans deux journaux qui seront désignés par le tribunal, le tout aux frais du condamné.

Art. 4. Seront punis des peines portées aux art. 1 et 2 qui précèdent, ceux qui se seront rendus complices des délits qui y sont énoncés, soit en facilitant leur perpétration, soit en achetant ou en faisant acheter la viande à eux offerte au moyen desdits délits.

Pour l'administration de la justice, il est intervenu différentes mesures, ne pouvant guère avoir qu'un caractère provisoire, que je dois simplement indiquer ici.

L'investissement imminent de la capitale avait motivé un décret autorisant la Cour de cassation à siéger en province (9 sept.); les magistrats présents ont émis l'avis que les nécessités du service n'exigeaient pas qu'ils échappassent aux périls de la population parisienne. Plus tard, l'investissement se prolongeant indéfiniment, la délégation de Tours a établi une section, composée des magistrats de la Cour de cassation qui se trouvaient retenus hors Paris, à juger les pourvois au criminel et même les pourvois au civil, pour lesquels il y aurait urgence (25 oct.). C'est ainsi qu'une section, siégeant d'abord à Poitiers, puis à Pau, pendant que la Cour de cassation avait ses trois chambres fonctionnant à Paris même, a rendu de nombreux arrêts, dont vingt ont renvoyé des affaires d'une Cour à une autre, l'occupation ennemie étant une cause suffisante selon le principe que j'ai développé dans une dissertation spéciale (J. cr., art. 9068. Voy. aussi infrà, p. 26).

L'état de siége ayant été déclaré dans le département de la Seine et successivement dans beaucoup d'autres, la défense de la capitale investie

Art. 5. Seront punis de la peine de l'emprisonnement pendant 2 ans au moins et 5 ans plus, ceux qui auront altéré, imité, contrefait les marques, estampilles ou tous autres signes employés par l'administration pour assurer l'exécution des arrêtés concernant la police et l'organisation de la boucherie; ceux qui sciemment auront fait usage de fausses marques, fausses estampilles ou autres signes falsifiés, ou des empreintes obtenues à l'aide desdites falsifications; ceux qui auront aidé ou facilité lesdites falsifications ou leur emploi.

Art. 6. Seront punis de la peine de la réclusion pendant 5 ans au moins et 10 ans au plus, ceux qui se seront rendus coupables des faits énoncés en l'article précédent étant fonctionnaires publics ou préposés à l'effet d'assurer l'exécution des règlements concernant la boucherie.

Art. 7. Les coupables des faits prévus par les art. 5 et 6 qui précèdent pourront, en outre, être privés des droits mentionnés en l'art. 42, C. pén., pendant 5 ans au moins et 10 au plus, à compter du jour où ils auront subi leur peine.

Les dispositions qui précèdent et celles contenues aux art. 5 et 6 seront applicables aux tentatives des faits prévus auxdits articles.

Art. 8. Les peines édictées par les articles 1, 2 et 3 qui précèdent seront appliquées à toutes les contraventions ou délits similaires commis dans le commerce des denrées déjà taxées ou qui seraient ultérieurement soumises à la taxe ou à des règlements concernant leur distribution.

Art. 9. L'art. 463, C. pén., pourra toujours être appliqué.

Art. 10. Sont abrogées les dispositions des art. 142, 479, 6 et 2 et 482, C. pén., en ce qu'elles ont de contraire au présent décret.

Du 10 nov. 1870.

nécessitant d'ailleurs des mesures militaires extraordinaires, il y a eu institution de conseils de guerre spéciaux, même pour la garde nationale, ainsi que d'un conseil de révision exclusivement composé de membres du barreau. J'en ai donné déjà l'explication (J. cr., art. 9067, no XXXIV). Ces conseils continuent à fonctionner parce que l'état de siége, résultant d'une déclaration gouvernementale, n'a pas été levé par une déclaration contraire, encore bien que l'investissement effectif ait cessé en vertu d'une convention pour la paix.

La composition et le tirage du jury étaient réglés par une loi du 4 juin 1853 (J. cr., art. 5633), ayant remplacé le décret de l'Assemblée nationale du 7 août 1848 (J. cr., art. 4371). Un décret du 14 oct. 1870 a provisoirement remis en vigueur celui de 1848, et il a été promulgué partout (décr., 24 octobre); mais les événements ont nécessité des mesures provisoires (décr. 18 et 25 novembre, 27 décembre et 3 février). Une révision paraît nécessaire ; il y aura des questions sur lesquelles j'ai préparé une dissertation (infrà, art. 9077).

Le roulement annuel des magistrats, dans les Cours d'appel et les tribunaux de première instance, a fait l'objet d'essais différents et de critiques diverses, en ce qu'il s'agit d'assurer l'indépendance des opinions, même contre tout soupçon (Voy. mon Traité sur l'organisation et la discipline judiciaires, no 599). Un décret du 2 oct. 1870 a prescrit la voie du tirage au sort, dans la semaine précédant la rentrée 12. Faudrat-il s'en tenir définitivement à ce système, qui peut avoir besoin d'un correctif en ce que le sort seul a parfois des effets fâcheux ?

Les circonstances m'obligent à terminer ici cette esquisse rapide des changements récents qui intéressent surtout l'administration de la justice. Relativement à la jurisprudence en matière criminelle, un examen rétrospectif aurait peu d'utilité quant à présent. Mes efforts et ceux de mon collaborateur tendront à rendre au journal spécial l'importance qu'ont suspendue des événements déplorables.

ACHILLE MORIN.

12. Il n'y a pas de roulement à la Cour de cassation, où domine l'intérêt des principes, pour la fixation et le maintien desquels il faut unité de jurisprudence. Chaque magistrat, lors de son installation, est attaché de droit à la chambre où siégeait le magistrat qu'il remplace : c'est ainsi que, ayant eu l'honneur d'être nommé conseiller à la Cour de cassation, en remplacement d'un magistrat qu'atteignait le décret-loi de 1852 sur la limite d'âge, j'appartenais d'abord à la chambre des requêtes, où j'ai continué de siéger même après avoir passé à une autre chambre, pour compléter pendant que plusieurs magistrats fonctionnaient à Pau. Mais l'usage permet, lorsqu'une place est vacante dans une chambre, qu'elle soit accordée à celui des magistrats d'une autre qui la désire: c'est ainsi que j'appartiens maintenant à la chambre criminelle (Voir Gazette des tribunaux, 2 fév. 1871).

ART. 9072.

Du vol et du recel d'objets mobiliers ayant eu lieu, en France, pendant l'invasion et pendant l'armistice.

I. La propriété des choses, de celles qui sont susceptibles de ce droit, n'est pas seulement une institution civile, en ce qu'elle a la garantie des lois c'est même un de ces droits antérieurs et supérieurs aux lois positives, réputés droits naturels dans tous les pays civilisés, comme l'ont reconnu en France la déclaration des droits, inscrite en tête de la constitution de 1791, et des constitutions nouvelles 1. Il en est ainsi notamment pour la propriété privée, sur laquelle on ne peut attribuer à l'État d'autre droit que celui d'expropriation, avec indemnité, pour cause d'utilité publique, selon les lois du pays: car, ainsi que l'a démontré un traité spécial, même au point de vue de l'impôt, l'État n'y a que les droits qui se rapportent à l'empire politique ou administratif, que des droits de protection et de garantie comme régulateur pour le maintien du bon ordre et du repos public 2.

La protection des lois civiles et pénales est due surtout au possesseur légitime d'objets mobiliers: c'est de toute justice, d'autant plus qu'ils sont le produit du travail de ce possesseur ou de quelqu'un dont il a acquis les droits; c'est d'autant plus nécessaire, que de tels objets pourraient facilement être enlevés au préjudice de l'ayant droit. La loi civile française, attachant à la possession légitime une présomption de propriété qui vaut titre, ajoute que « celui qui a perdu ou auquel il a été volé une chose, peut la revendiquer pendant trois ans contre celui dans les mains duquel il la trouve, sauf à celui-ci son recours contre celui duquel il la tient », mais en remboursant le prix d'achat au « possesseur actuel qui l'aurait achetée dans une foire ou dans un marché, ou d'un marchand vendant des choses pareilles » (C. civ., art. 2279 et 2280). Suivant la loi civile prussienne, le droit de propriété peut se perdre par le non-usage pendant le temps fixé pour la prescription, mais il ne s'acquiert par la possession qu'au moyen d'une possession effectivement exercée; le possesseur, même de bonne foi, de choses volées, ne peut en prescrire ni la propriété ni la possession; on est présumé les avoir achetées d'un voleur, lorsqu'on ne peut pas indiquer son vendeur; une possession paisible de quarante ans est nécessaire pour acquérir les choses volées (V. de Saint-Joseph, t. 3, p. 190, art. 301, 584 et 648).

1. Locke, De la propriété des choses, chap. 4; Déclaration des droits, art. 2; Constitution de 1848, Préamb. IV; Rép. gén. du dr. cr., vo Vol, no 1. 2. Troplong, Traité de la propriété d'après le Code civil, chap. 16.

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