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3 § de l'art. 393. » Suivant la loi de 1848, art. 20, la liste de session devrait ajouter aux titulaires six jurés suppléants, tirés sur la liste supplémentaire, qui ne doit contenir que des noms de jurés pris dans la ville où siége la Cour d'assises, au nombre pour chaque département de 50 et pour Paris de 300. Mais la loi de 1853 a rétabli le nombre primitif en disant que le président «< tire, en outre, quatre jurés suppléants sur la liste spéciale (art. 17), de même qu'elle a limité à 200 pour Paris celui des inscrits sur cette liste (art. 13 et 17). Pourquoi cette différence? A défaut de toute explication dans les travaux législatifs, il faut considérer ceci : La loi de 1848 ayant étendu beaucoup l'aptitude à être porté sur la liste annuelle, on devait prévoir qu'au moment où se ferait l'opération judiciaire pour la formation définitive de la liste de session, il y aurait à admettre des excuses temporaires et même des dispenses, par exemple pour des personnes illettrées ou vivant de leur travail, ou bien arrivées à l'âge de 70 ans. La loi de 1853, elle, a épuré les listes en établissant beaucoup d'incapacités, a admis beaucoup d'incompatibilités de fonctions et d'excuses ou dispenses, enfin a donné aux commissions une grande latitude pour que la liste annuelle ne présentât que des jurés idoines : tout cela pouvait faire trouver suffisant le nombre de quatre supplémentaires, ajouté aux 36 titulaires, ce qui donne en tout quarante, comme le dit l'art. 390, alors qu'il suffit de trente pour le tirage du jury de jugement, et que d'ailleurs, au besoin, on aurait la ressource d'un tirage complémentaire.

Quoi qu'il en soit du motif, toujours est-il que, dans la loi de 1853 comme dans la loi antérieure à celle de 1848, le nombre des supplémentaires est fixe, limitativement fixé à quatre, de telle sorte qu'il ne pourrait sans illégalité être dépassé; qu'au contraire, la loi de 1848 en exigerait six, nombre sans lequel la liste serait incomplète et conséquemment insuffisante pour le cas où tous les jurés ne se trouveraient pas présents au nombre de trente. Qu'ont donc voulu les décrets nouveaux ?

V. Pour l'interprétation qui limiterait à quatre le nombre des supplémentaires, selon l'art. 388 et la loi de 1853, on pourrait dire : Ce qui préoccupait le gouvernement nouveau pour la composition du jury, quand il rappelait le décret de 1848 avec des modifications ne concernant que l'opération administrative dans ses éléments divers, c'était uniquement la confection de la liste générale et de la liste annuelle, qu'il voulait voir conformes aux idées républicaines pour devenir la base de l'œuvre judiciaire, comprenant le tirage des jurés de session et celui des jurés de jugement. Il ne devait pas étendre sa réforme à l'œuvre judiciaire elle-même, qui est étrangère aux idées politiques et n'est subordonnée à l'opération administrative qu'en ce sens que le double tirage se fait sur les listes reçues de l'administration: aussi le premier décret n'a-t-il aucunement parlé de ce qui se ferait par une Cour d'appel ou un tribunal, et par une Cour d'assises. C'est seulement dans

les décrets ultérieurs qu'il a parlé du tirage à faire par l'autorité judiciaire or ici, la loi de 1853 est la seule qui ait été citée. Puisque l'on doit prendre les listes dressées d'après cette loi, il semble logique de la suivre aussi pour le nombre des supplémentaires, de même que pour les décisions à rendre sur les incapacités et incompatibilités qui seraient relevées, sur les excuses ou dispenses facultatives et quant au taux des condamnations à l'amende contre les absents. Sans cela, il y aurait embarras pour ces décisions, et l'amende ne pourrait plus être modérée comme l'a permis l'art. 19 de la loi. En outre, on n'aurait plus la règle nécessaire pour le cas prévu par l'art. 18, celui où la Cour d'assises siégerait ailleurs qu'au chef-lieu ordinaire et où il faudrait des complémentaires pris dans la ville.

Cependant, il faut le reconnaître, le premier décret a une disposition qui semble écarter complétement la loi de 1853 pour revenir au système républicain. Tout en s'attachant avant tout à celui-ci, ce décret a pu entendre que la loi qui avait abrogé celle de 1848 était elle-même abrogée, et une telle abrogation peut se trouver dans les expressions disant que le décret de 1848 sur le jury est provisoirement remis en vigueur. Quant aux décrets postérieurs, ils s'abstiennent de rétablir la loi de 1853, si ce n'est en reprenant transitoirement les listes ayant déjà servi; et si le dernier cite la loi de 1853, c'est uniquement pour indiquer que la conformité des listes avec cette loi n'empêche pas de s'en servir, parce qu'il y a urgence 1.

VI. Le tirage de la liste de session, quoique l'opération soit matérielle, a cependant une importance considérable, puisqu'il donne aux accusés des juges pris parmi de simples citoyens. De là, des conditions essentielles de forme, dont l'observation est toujours une règle obligatoire, sanctionnée pour les cas graves.

Suivant M. Nouguier, « il y a nullité de la formation du tableau de jury de session et, par suite, de toutes les procédures poursuivies pendant cette session : 1o s'il est procédé à cette formation devant un juge incompétent; 2° s'il y est procédé par le président seul ; 3° si la Chambre, qui y procède, n'est point complète, ou régulièrement composée; 4o s'il n'y est point procédé en audience publique, ou si cette publicité n'est point constatée; 5° s'il y est procédé autrement que par un tirage au sort; 6o enfin, si le tirage s'opère arbitrairement et de propos délibéré, non sur tous les noms de la liste annuelle, mais sur une fraction de cette liste » (La Cour d'assises, t. v, no 619).

Des distinctions sont nécessaires. En tant qu'acte judiciaire différant

1. La Cour de cassation était appelée à statuer sur cette question, qui se présentait sous différents aspects dans plusieurs affaires. Mais les dossiers, déposés au greffe à Paris, se trouvent détruits par l'incendie du Palais de justice, qui est l'un des grands crimes à punir.

des jugements, le tirage peut être dénoncé à la Cour de cassation par son procureur général pour toute illégalité, par exemple si des bulletins de l'année précédente étaient restés dans l'urne par inadvertance (Cass., 27 fév. 1863). Cette opération pouvant être contrôlée par les défenseurs, comme par le ministère public, il leur appartient de relever en cassation après condamnation les vices qui l'auraient entachée, mais sous l'obligation d'articuler avec précision ceux qu'ils présenteraient, la présomption étant pour la régularité selon les énonciations du procès-verbal (Rej. 16 déc. 1864). Quoique la publicité du tirage soit une des plus essentielles conditions, une constatation expresse n'est pas absolument nécessaire (C. cass., 16 janv. 1830 et 31 janv. 1851); mais, lorsque le demandeur en cassation affirme qu'il n'y a pas eu publicité, quand surtout il demande à le prouver par inscription de faux au besoin, la Cour de cassation a dans ses attributions un pouvoir de contrôle inhérent à celui d'annuler pour violation de la loi, sans qu'on puisse objecter que le vice en question n'est pas compris dans les cas prévus par l'art. 408, C. inst. cr. (Arr. 27 fév., 12 et14 mars et 30 avril 1857 ; F. Hélie, t. 7, no 3190). Il semble devoir en être de même, quant aux vices qui existeraient relativement au nombre des jurés, supplémentaires ou complémentaires.

VII. Le nombre fixé par la loi, pour la garantie du droit de récusation, est une condition substantielle. Une liste incomplète serait vicieuse : y eût-il consentement de l'accusé ainsi que du ministère public à ce qu'elle servit néanmoins pour le tirage du jury de jugement, cela n'empêcherait pas la nullité résultant de ce qu'il n'y aurait pas eu 30 jurés idoines (Cass., 5 avr. 1821, 22 nov. 1821, etc.). Quelle serait la conséquence, si le nombre voulu avait été dépassé sur la liste? Quand 30 jurés capables ont concouru au tirage, la présence d'un incapable n'est pas une cause de nullité, parce que l'incapacité équivaut à l'absence (F. Hélie, no 3205; rej. 25 janv. 1846): c'est tout autre chose que le concours de l'incapable au jugement, ce qui serait une nullité certaine (Cass., 27 août 1847). Mais lorsque le nombre de 30 jurés n'est complet qu'à raison de la présence d'un juré supplémentaire qui avait été appelé au delà du nombre légal, il y a là un vice en ce que le 30o juré n'a pas reçu la capacité voulue, son adjonction ayant été illégalement opérée par la chambre civile, qui n'a pas même compétence pour appeler des complémentaires. Cela ne doit-il pas produire nullité, sans qu'il faille autrement prouver un préjudice pour la défense?

Le tirage des complémentaires, dont la nécessité surgit lorsqu'il s'agit de composer définitivement la liste de session comme liste de service, n'est attribué qu'à la Cour d'assises par toutes les lois se liant en ce point au Code d'instruction criminelle. Le nombre nécessaire des complémentaires pourrait-il être dépassé? Un arrêt du 12 mars 1813 l'avait admis, dans un cas où le nombre total était arrivé à 36; mais la jurisprudence s'est fixée dans le sens contraire, par le motif que, dès qu'il y a le nombre

voulu, tout caractère manque aux citoyens du lieu appelés comme complémentaires (Cass., 29 avr. et 31 déc. 1819, 13 janv. 1820, 27 mars 1823, 9 janv. 1824, etc.). Cela n'empêche pas d'appeler éventuellement un plus grand nombre de personnes, pour qu'il n'y ait pas besoin de renouveler l'opération; mais la condition essentielle est que le président retienne seuls ceux qui viennent les premiers en nombre suffisant (Cass., 19 avr. 1838, 14 janv. 1841 et 10 sept. 1846; J. cr., art. 4015).

Ces explications prouvent toute l'importance des deux opérations s'accomplissant, l'une en chambre civile pour la liste de session, l'autre en Cour d'assises pour une liste définitive qui serve au tirage du jury de jugement.

VIII. Les incompatibilités, à distinguer d'une incapacité qu'établirait la loi politique ou organique, sont surtout dans le domaine de la législation criminelle. Il y en a qu'on peut appeler relatives, en ce qu'elles n'existent qu'à raison d'un acte de fonction qui aura été exercé dans l'affaire soumise au jury. Celles dont il s'agit ici ont un caractère différent, qui les rend en quelque sorte permanentes comme attachées à certaines fonctions, selon l'appréciation du législateur organisant le jury. Leur cercle, restreint dans l'ancien art. 384 du Code d'instruction, a été étendu par le décret du 7 août 1848, art. 4, et plus encore par la loi du 4 juin 1853, art. 4. En présence des décrets d'octobre 1870 et février 1871, quelle est aujourd'hui la loi applicable? La solution dépend de celle qui aura prévalu sur les questions ci-dessus examinées.

Quoi qu'il en soit, l'Assemblée nationale aura, en faisant une loi nouvelle ou en optant entre les deux lois que rappelle le décret du 3 février, à se pénétrer de deux considérations différentes qui semblent dominantes, dans l'œuvre législative et aussi dans l'interprétation. D'une part, l'aptitude aux fonctions de juré étant un droit civique pour le citoyen qui n'a pas encouru d'exclusion, on ne saurait écarter pour incompatibilité un fonctionnaire, qui jouit incontestablement de tous les droits civiques, qu'autant que ses fonctions sont, non-seulement permanentes, mais surtout d'une nature ne s'accordant pas avec les qualités spéciales d'un bon juré; car autrement, un citoyen honorable serait indûment privé de son droit, par cela seul qu'il aurait une fonction quelconque. D'autre part, le droit sacré de la défense impliquant celui de récuser un certain nombre de jurés portés sur la liste, il convient de tracer largement le cercle des incompatibilités qui sont réputées naître des habitudes ou exigences d'une fonction, pour que la liste ne comprenne aucun de ceux dont la fonction les ferait vraisemblablement récuser: sans cela, le droit de récusation non motivée se trouverait restreint par la nécessité de l'exercer d'abord vis-à-vis de ces fonctionnaires.

IX. L'art. 384 du Code de 1808 ne réputait incompatibles d'autres fonctions que « celles de ministre, de préfet, de sous-préfet, de juge,

de procureur général, de procureur impérial et de leurs substituts »>, et «< celle de ministre d'un culte quelconque ». Le décret de 1848, art. 4, a réputé telles «< celles de représentant du peuple, de ministre, de soussecrétaire d'État, de secrétaire général d'un ministère, de préfet, de souspréfet, de juge, de procureur général, de procureur de la République et de leurs substituts, de ministre d'un culte quelconque, de membre du Conseil d'État, de commissaire de la République près des administrations ou régies, de fonctionnaire ou préposé chargé d'un service actif, de militaire en activité de service, d'instituteur primaire communal ». C'était autrement réglé, sous le second Empire, par l'art. 3 de la loi du 4 juin 1853, qui déclarait fonctions incompatibles quant au jury celles de << ministre, président du Sénat, président du Corps législatif, membre du Conseil d'État, sous-secrétaire d'État ou secrétaire général d'un ministère, préfet et sous-préfet, conseiller de préfecture, juge, officier du ministère public près les Cours et tribunaux de 1re instance, commissaire de police, ministre d'un culte reconnu par l'État, militaire de l'armée de terre ou de mer en activité de service et pourvu d'emploi, fonctionnaire ou préposé du service actif des douanes, des contributions indirectes, des forêts de l'Etat et de la couronne, et de l'administration des télégraphes, instituteur primaire communal ».

Parmi ces fonctions, il en est qui n'existent plus, d'autres dont l'incompatibilité dépendra des innovations politiques, d'autres enfin pour lesquelles il y a certitude actuelle. Au nombre de celles-ci paraissent devoir être rangées, avec celles de ministre, de préfet et de sous-préfet, de commissaire de police, de juge et d'officier du ministère public, de ministre d'un culte et d'instituteur communal, plusieurs des autres fonctions ou emplois indiqués dans le décret et dans la loi ci-dessus, soit à raison de leur nature très-différente de ce qui convient pour le jury, soit à raison de leurs exigences en ce qu'il s'agit de service actif ne pouvant être discontinué. Mais quelques-uns des titres indiqués appartiennent sans contredit à certains fonctionnaires, tandis que pour d'autres il y a doute: c'est ici qu'il faut fixer par interprétation le sens des expressions.

X. La fonction la plus incompatible avec la mission du juré est celle de juge. Si le législateur n'en a pas donné les raisons dans les travaux préparatoires sur la disposition concernant les incompatibilités, on en connaît la principale par les discussions profondes qui ont eu lieu quand il s'agissait ou d'établir le jury au criminel ou de décider si l'expérience devait le faire maintenir. Pourquoi a-t-on préféré de simples citoyens, d'ailleurs choisis ou seuls retenus après certaines éliminations, aux magistrats qui rendent ordinairement la justice? C'est qu'il s'agit des questions de fait et d'intention qui se décident d'après les circonstances et par une appréciation discrétionnaire, c'est que la loi criminelle a des sévérités qu'il faut souvent tempérer par un sentiment d'humanité ou d'indulgence, c'est enfin que le magistrat habitué à juger selon les prin

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