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retour de la paix, espérons que nos désastres seront réparés, que de nouvelles institutions viendront rétablir l'ordre partout et que la justice reprendra toute sa puissance.

L'organisation politique a été bouleversée. C'était d'abord une révolution subite qui, ne s'en tenant pas aux mesures provisoires qu'auraient préférées les hommes d'État clairvoyants, proclamait immédiatement avec la déchéance de l'empereur l'avénement de la République et l'institution d'un Gouvernement de la défense nationale, ce qui opérait abrogation virtuelle des constitutions impériales et a motivé un décret portant: « Le Corps législatif est dissous. Le Sénat est aboli. 2 » Puis, la capitale étant menacée d'investissement par des ennemis qui s'avançaient à marches forcées, le nouveau Gouvernement a dû déléguer à plusieurs de ses membres les pouvoirs nécessaires pour qu'ils pûssent, en se retirant dans une ville de province, faire pour la défense nationale ce qui serait impossible au Gouvernement enfermé dans Paris: de là deux fractions, dont chacune avait des pouvoirs législatifs en même temps que des pouvoirs de haute administration 3. A la vérité, un décret immédiat devait provoquer l'élection d'une assemblée nationale qui aurait même le pouvoir constituant 4; mais l'investissement précipité, l'inefficacité de l'intervention des puissances neutres pour un armistice et le refus par l'ennemi d'une condition qui paraissait nécessaire ont empêché alors l'élection désirable: c'est un malheur qui a produit de grands désastres, la guerre s'étant prolongée avec bombardement de la capitale jusqu'à ce que la famine forçât à souscrire une convention qui participe des caractères d'une capitulation et surtout de ceux de l'armistice général. Du moins en est-il résulté à la fin la possibilité, pour la France entière, d'élire une assemblée nationale, dont la composition et les premières résolutions ont procuré de grands avantages, ceux entre autres d'une reconnaissance par toutes les puissances neutres et de conférences pour une paix qui fût honorable, lesquelles auront abouti lorsque paraîtra ce que j'écris dans l'intervalle.

Le Conseil d'État a été l'objet d'une demi-mesure, à titre provisoire. Selon la constitution qu'avait enfantée le coup d'État du deux décembre et qui avait été appropriée au régime impérial par des sénatus-consultes, c'était un des trois corps politiques institués, dont la mission principale était de préparer les lois et d'en soutenir la discussion devant le

2. Proclamations, 4 sept. 1870 (Bull. des lois, nos 1 et 2); Décr., 4 sept. 1870 (Bull., no 4).

3. Décr., 12 sept. 1870 (Bull., no 44).

4. Décr., 8 sept. 1870 (Bull., no 22): « Les colléges électoranx sont convoqués pour le dimanche 16 octobre, à l'effet d'élire une assemblée nationale constituante. >>

Corps législatif; mais ce rôle avait été amoindri par de récents changements, qui devaient assurer le régime parlementaire, et d'ailleurs une section du conseil d'État avait dans ses attributions le contentieux administratif. Le Gouvernement de la défense nationale a décrété une simple suspension, avec institution d'une commission provisoire pour l'expédition des affaires administratives ou contentieuses urgentes 5. L'assemblée constituante réorganisera le conseil d'État, utile sous tous les régimes, fixera la mesure de ses attributions quant au contentieux administratif et décidera s'il ne conviendrait pas de donner le jugement des conflits à une haute juridiction mixte, en suivant avec correctif le système adopté sous la Constitution de 1848.

Il y a eu abrogation absolue de tout ce qui constituait ce qu'on appelle ordinairement, pour les agents du Gouvernement et pour une foule de fonctionnaires administratifs, la garantie constitutionnelle ou administrative 6. Là se trouve un problème délicat, depuis longtemps agité, ayant fait naître différents systèmes et pour la solution duquel il faut, d'une part, considérer l'importance du grand principe de la séparation des pouvoirs, et d'autre part, assurer aux ayants droit respectivement les garanties qui leur sont dues contre les abus de pouvoir ou de poursuite. Ce sont des questions que j'ai déjà discutées, sous leurs différents aspects (Rép. gen. du dr. cr., Vo Agents du gouvernement; Journ. du dr. cr., art. 4283 et 9001).

La Haute Cour de justice a été abolie par un décret spécial, insinuant même qu'elle l'était virtuellement déjà 7. Cela demande explication. Une telle institution est éminemment judiciaire, comme la cour d'assises

5. Décr., 15 sept. 1870 (Bull. des lois): « Art. 1°. En attendant la réorganisation du Conseil d'Etat par l'Assemblée constituante, les membres actuels du Conseil d'Etat sont suspendus de leurs fonctions à dater de ce jour. Art. 2. Les affaires administratives ou contentieuses urgentes seront expédiées par une commission provisoire composée de huit conseillers d'Etat, dix maîtres des requêtes et douze auditeurs. »>

6. Le Gouvernement de la défense nationale décrète :

Sont égale

Art. 1er. L'art. 75 de la Constitution de l'an vi est abrogé. ment abrogées toutes autres dispositions des lois générales ou spéciales ayant pour objet d'entraver les poursuites dirigées contre des fonctionnaires publics de tout ordre.

Arr. 2. Il sera ultérieurement statué sur les peines civiles qu'il peut y avoir lieu d'édicter, dans l'intérêt public, contre les particuliers qui auraient dirigé des poursuites téméraires contre des fonctionnaires.

Du 19 sept. 1870.

7. Décret qui abolit la Haute Cour de justice (Bull., no 170).

Le Gouvernement de la défense nationale;

Considérant que, malgré l'abrogation des constitutions impériales, des doutes

composée de magistrats et de jurés, quoiqu'elle ait à juger les crimes ou délits politiques. Elle n'a rien d'antipathique au régime républicain modéré aussi une Haute Cour de justice avait-elle été instituée par la constitution de 1848. Si donc une abrogation a paru nécessaire lorsqu'est tombé le second empire, c'est que l'institution alors existante, sans permanence d'ailleurs, avait été créée par la constitution issue du coup d'état, était organisée par un sénatus-consulte de conséquence et avait une compétence exclusive étendue par sénatus-consulte aux crimes et délits des princes, des ministres, etc. L'assemblée constituante, lorsque sera venu le moment et selon le régime politique qu'elle aura fondé, trouvera de puissantes raisons pour l'institution d'une Haute Cour de justice devant juger tels et tels crimes, mais avec plus de prévoyance que les auteurs de la constitution de 1848 (Voy. mon Rép. gén. du dr. cr., vo Haute Cour, nos 6 et suiv.). Quoique cette constitution, aujourd'hui jugée, eût réputé «< crime de haute trahison » un fait prévu (la dissolution de l'assemblée nationale par le président de la République, ayant prêté serment), et quoiqu'elle entendît conférer à la Haute Cour un pouvoir d'action contre le crime possible, ses dispositions pour ce cas étaient absolument inefficaces, à défaut d'organisation donnant une force armée obéissante (Voir art. 68, 91 et suiv.). Dans la nuit du 2 décembre, des agents nombreux avaientexécuté la dissolution décrétée, l'enlèvement des hommes politiques pouvant faire obstacle, etc, etc; dès le matin, une force armée dirigée par les complices du coup d'État empêchait la réunion des députés, celle des conseillers d'État eux-mêmes; les magistrats de la Haute Cour se sont réunis autant qu'ils le pouvaient et ont fait tout ce qui leur était possible, avec la volonté d'accomplir leur devoir, ce que je puis affirmer personnellement. Tout cela était impuissant; il faudrait aviser autrement, si l'on voulait prévoir toutes éventualités.

L'empire qui avait cette origine étant tombé, il y a eu abrogation, expressément proclamée, d'un décret dictatorial et d'une loi dite « de sûreté générale » dont les principales dispositions étaient antipathiques au régime nouveau 8. Mais l'abrogation complète a produit, dans la lé-gislation criminelle, des lacunes qu'il faudrait combler au plus tôt.

se sont élevés relativement à l'existence de la Haute Cour de justice comme institution judiciaire,

Décrète :

La Haute Cour de justice est abolie.

Du 4 nov. 1870.

8. Décret portant abrogation du décret du 8 déc. 1851, concernant les individus placés sous la surveillance de la haute police et les individus reconnus coupables d'avoir fait partie d'une société secrète, et de la loi du 27 fév. 1858, dite de sûreté générale (Bull. des lois, no 142).

LE GOUVERNEMENT DE LA DÉFENSE NATIONALE :

Considérant que si le décret du 8 déc. 1851, concernant les individus placés

Le décret du 8 décembre 1851, appuyant le coup d'État dans des vues politiques qu'il ne m'était pas permis de critiquer en le recueillant, ne s'était pas borné à ajouter aux peines de certains délits correctionnels la transportation par mesure de sûreté générale, ce qui faisait « gémir la justice» suivant l'expression que j'osais employer (Journ. du dr. cr., art. 5166): il établissait, pour la surveillance de la haute police à l'égard de tous ceux qui y seraient soumis, un système nouveau, reproduisant celui de 1810 sans l'alternative du cautionnement facultatif, lequel me paraissait ne pouvoir être approuvé que selon les résultats que donnerait l'expérience. A l'avènement du régime politique qu'on appelait « l'empire libéral », toutes les dispositions du décret relatives à la transportation ont été improuvées dans un rapport et dans un projet de loi abrogatif, qui même était voté par le Corps législatif et allait l'être par le Sénat, résultat final qu'ont empêché les évènements aboutissant à une révolution (Voy. J. cr., 1870, p. 264): en ce point, le décret du Gouvernement de la défense nationale opère irrévocablement l'abrogation projetée, qui avait besoin de la formule législative. Mais pour la surveillance de la haute police, si elle se trouve affaiblie en ce sens que son effet n'est plus déterminé que par le Code pénal de 1832, il faut aviser et chercher de nouveaux moyens, ce qui produisait déjà des dissidences motivant certaines réserves lors du projet précité (Voy. ibid., p. 265). Peut-être conviendrait-il, à raison de l'augmentation croissante des récidives nonobstant la surveillance, d'adopter l'innovation radicale que je proposais pour les cas de rechutes réitérées (art. 9038). Ce doit être examiné dans la commission remplaçant celle qui fonctionnait avant la chute de l'Empire.

Quant à la loi du 27 février 1858, elle n'existait déjà plus en ce qui concernait l'internement ou l'expulsion de certains condamnés; et le Corps législatif avait voté à l'unanimité l'abrogation de ses dispositions punissant l'hostilité politique qui consisterait à « pratiquer des manœuvres ou entretenir des intelligences soit à l'intérieur, soit à l'étranger ». Mais une vive opposition s'était manifestée dans le Sénat contre ce pro

sous la surveillance de la haute police et les individus reconnus coupables d'avoir fait partie d'une société secrète, et les dispositions de la loi dite de sûreté générale, du 27 fév. 1858, encore en vigueur le 4 septembre dernier, ont été virtuellement abrogés par la révolution de ce jour, il importe de confirmer expressément cette abrogation, afin qu'aucun doute ne puisse s'élever sur leur disparition totale;

Décrète :

Art. 1. Le décret du 8 déc. 1851 et la loi du 27 fév. 1858, susvisés, sont abrogés.

Art. 2. L'effet du renvoi sous la surveillance de la haute police sera ultérieurement réglé.

Du 24 oct. 1870.

jet abrogatif, et les événements de guerre avaient motivé un ajournement qui « ne préjugeait rien » (J. cr., 1870, p. 266 et 267): l'abrogation résulte aujourd'hui de la révolution politique accomplie, ainsi que d'un décret faisant loi. Il y avait en outre dans la loi dite « de sûreté générale », à raison de l'invention meurtrière ayant servi lors de l'attentat qui motivait l'innovation législative, une disposition à reproduire ou conserver, celle punissant spécialement « tout individu qui, sans y être légalement autorisé, a fabriqué ou fait fabriquer, débité ou distribué des machines meurtrières agissant par explosion ou autrement, ou de la poudre fulminante ». C'était l'objet d'un projet de loi distinct, voté par le Corps législatif; l'ajournement par le Sénat a naturellement compris le nouveau projet (Ibid.). En abrogeant complétement la loi de 1858, le gouvernement de la défense nationale n'a rien dit à l'égard des machines meurtrières: cela peut s'expliquer par cette considération, qu'on était en pleine guerre avec investissement de la capitale, que la fabrication des armes était devenue libre et même provoquée (décr. 4 sept. 1870), qu'une commission dite « des barricades » faisait fabriquer des bombes explosibles (autres d'ailleurs que les balles interdites aux belligérants par la convention de Saint-Pétersbourg). Aujourd'hui, de telles bombes existant avec ou sans saisie et de nouveaux dangers pouvant se produire, il serait prudent de reprendre le projet qui avait été soumis au Corps législatif, de l'approprier aux circonstances nouvelles et d'adopter une loi comblant la lacune ici signalée.

Pendant le siége de Paris, dont l'effet nécessaire était de suspendre les libertés publiques et tout au moins d'étendre les pouvoirs de l'autorité militaire, le gouvernement provisoire avait voulu cependant laisser libres toutes associations et réunions, les clubs eux-mêmes. De graves désordres, plusieurs fois suscités, l'ont enfin déterminé à supprimer les clubs, mais en disant que la suppression n'aurait lieu que «< jusqu'à la fin du siége 9». L'investissement cessant, les clubs redeviendront-ils libres encore bien que la déclaration d'état de siége ne soit pas rap

9. Le Gouvernement de la défense nationale :

Considérant que, à la suite d'excitations criminelles dont certains clubs ont été le foyer, la guerre civile a été engagée par quelques agitateurs, désavoués par la population tout entière;— Qu'il importe d'en finir avec ces détestables manœuvres qui, dans les circonstances actuelles, sont un danger pour la patrie, et qui, si elles se renouvelaient, entacheraient l'honneur, irréprochable jusqu'ici, de la défense de Paris,

Décrète :

Art. 1. Les clubs sont supprimés jusqu'à la fin du siége. Les locaux où ils tiennent leurs séances seront immédiatement fermés.

Les contrevenants seront punis conformément aux lois.

Art. 2. Le préfet de police est chargé de l'exécution du présent décret. Du 22 janv. 1871.

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