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l'avons fait, de l'éloge du Prince fon Bienfaiteur, celui des Princeffes fes filles, & des Princes fes petits-fils ; & par cette accumulation peu réfléchie, il en eût affoibli l'effet. M. de Florian, pour donner à chaque tableau tout l'effet particulier dont il eft fufceptible, en ufe tout autrement; il place au commencement de fon Discours, le remercîment à Monfeigneur le Duc de Penthièvre, que tout le monde attendoit d'abord; mais ne perdant pas de vue fes intérêts, & fe fouvenant combien il importe de finir par un trait remarquable, & de laiffer une impreffion profonde, il finit par l'éloge de Madame la Ducheffe d'Orléans, qui eft le complément du premier, & après lequel il n'y avoit plus rien à dire.

Sur d'autres points encore, l'Auteur fait profiter de tout, & même du malheur des conjonctures. M. de Buffon étoit mort, M. Geffner venoit de mourir au moment où M. de Florian venoit d'être élu : tour homme de Lettres devoit un tribut de regret & de refpect à de tels hommes; M. de Florian s'empare de leur éloge, & prépare des tortures à leurs Panégyriftes futurs : il eft fàcheux, par exemple, pour les fucceffeurs, qu'on ait dit avant eux, que la vie de M. de Buffon peut être comptée au nombre des époques de la Nature; c'est-là ce que le Métromane appelle, dérober nos neveux.

Quant à l'éloge de M. Geffner, il appartenoit en propre à M. de Florian. » Le

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bonheur, dit-il, n'eft jamais fans mé» lange; j'ai perdu Geffner quand vous m'adoptiez. Les félicitations de mes amis » ont été troublées par les plaintes dont » retentiffent les monts Helvétiques, par » les regrets de tous les cœurs fenfibles qui redemandent Geffner à ces plaines, à ces vallons qu'il a dépeints tant de fois; à ce printemps qui renaît fans lui, » & qu'il ne chantera plus. Ah! quoiqu'il »ne fût pas François, quoiqu'il ne tînt à » cette Académie que par fes talens & » par fes vertus, qu'il me foit permis, au milieu de vous, de lui offrir mon tribut de refpect, d'admiration! Que mes » nouveaux Bienfaiteurs me pardonnent la "reconnoiffance, & me laiffent jeter de loin quelques fleurs fur le tombeau de mon ami! fur ce tombeau où la piété » filiale, la tendreffe paternelle, la difcrète amitié, l'amour pur & timide, pleurent enfemble leur Poëte! Le Chan»tre d'Abel, de Daphnis, le Peintre ai»mable des mœurs antiques, celui dont les Idylles touchantes laiffent toujours

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au fond de l'ame ou une tendre mélancolie, ou le défi de faire une bonne action, ne peut être étranger pour vous. En quelque lieu que le hafard les ait placés, tous les grands talens, tous les cœurs vertueux font frères; ils reffemblent à ces fleurs brillantes qui, difperfées dans tout l'Univers, ne forment » pourtant qu'une feule famille «.

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M. de Florian donne de juftes éloges à plufieurs de fes nouveaux Confrères; on a pu les lui reprocher; ceux dont le noble métier eft d'infulter tous les Ecrivains avoués de la Nation, & de réserver la louange pour ceux fur qui la louange ne fçauroit prendre, ont pu prononcer que ces éloges n'étoient pas mérités (car comment un Académicien, comment le Secrétaire de l'Académie feroit-il un bon Ecrivain?) Si cet ufage de donner une marque d'eftimè diftinguée à fes amis ou aux plus illuftres Académiciens en entrant dans l'Académie fi cet ufage que M. de Florian a trouvé tout établi & n'a fait que fuivre, avoit befoin d'apologie, il en trouveroit ici une particulière dans le fentiment qui paroît animer l'Auteur, dans le fentiment qu'exprime ce vers de Zaïre:

Je veux que tous les cœurs foient heureux de ma joie.

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Mais en mettant à part M. de Florian qui ne mérite que des éloges pour tous ceux qu'il a donnés, & en généralifant la queftion, ne pourroit - on pas en effet trouver quelque inconvénient à cet ufage des éloges particuliers des Académiciens vivans Ces éloges conviennent-ils bien à un Corps dont l'efprit général & le principe favori eft l'égalité? Ne mettent-ils pas une difproportion trop marquée entre l'A

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cadémicien nommé ou défigné, & l'Académicien paffé fous filence? Ne peuvent-ils pas même quelquefois induire en erreur le Public ignorant fur la mefure & la comparaifon du mérite des différens Académiciens? Quand M. de Voltaire, dans fon Difcours de réception, a dit : » Le Théatre, je l'avoue, » eft menacé d'une chute prochaine; mais au moins je vois ici ce génie véritablement tragique, qui m'a » fervi de maître quand j'ai fait quelques » pas dans la même carrière : je le regarde » avec une fatisfaction mélée de douleur, comme on voit fur les débris de fa " patrie un Héros qui l'a défendue «. Il a dit certainement une très belle chofe; - mais le vieux Crébillon en ce moment ne devenoit-il pas trop grand en comparaifon de fes Confrères? Ne le devenoit-il pas plus peut-être que l'Auteur ne le vouloit? N'éclipfoit-il pas même un peu trop l'Académie entière ?

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N'eft-il pas à craindre d'ailleurs qu'avec le temps l'injuftice & la partialité ne parviennent à corrompre ces éloges? Chaque Récipiendaire ne donnera-t-il jamais rien à l'amitié ou à la haine? Tiendront-ils tous la balance parfaitement égale entre ceux qui auront fecondé leur électron & ceux qui l'auront contrariée ? N'arriverat-il jamais que le filence, perfidement combiné avec la louange, devienne un inftrument de vengeance contre des ennemis,

& foit, à l'égard de ceux-ci, un outrage & un acte d'hoftilité Et quand le Lecteur, fur la foi de ce filence, conclura, en disant comme Augufte dans Cinna :

Le refte ne vaut pas l'honneur d'être nommé.

Ou comme Don Diegue, dans le Cid:

Qui n'a pu l'obtenir ne le méritoit pas. conclura-t-il toujours jufte ?

Concluons donc nous-mêmes que le plus für feroit de fupprimer tous ces éloges particuliers, & de s'en tenir à cet éloge général de l'Académie, que la reconnoiffance paroit infpirer au Récipiendaire, & qui femble naître de l'occafion. Encore le temps eft-il venu peut-être de fupprimer jufqu'à cet éloge général, épuifé par tant de répé titions. Que le Récipiendaire faffe l'éloge de fon Prédéceffeur, que le Directeur le regrette au nom de la Compagnie, c'est un hommage légitime à la mémoire des morts, & d'ailleurs les circonftances perfonnelles peuvent toujours rendre cet éloge nouveau mais pourquoi remettre toujours, pour ainfi dire, en queftion la gloire. & la fupériorité de l'Académie dans les Lettres, en la faifant toujours établir & célébrer par une perfonne intéreffée, puifqu'elle fait déjà partie de la Compagnie ? Quel befoin d'ailleurs l'Académie a-t-elle d'être louée ? Qui pourroit blámer Hercule?

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