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que

à une Nation qui peut montrer des modèles dans prefque tous les genres: il étoit encore plus beau que ces regrets partiffent d'un jeune Ecrivain l'on eft toujours tenté de mettre en parallèle avec Goffner - c'étoit Virgile jetant des fleurs fur le tombeau de Théocrite.

Ces réflexions, Meffieurs, m'ont engagé à vous parler de M. Risbeck, jeune Auteur Allemand, enlevé aux Lettres il y a deux ans, & moiffonné la fleur de fon âge, j'ai pensé que quelques détails fur la vie paroîtroient d'autant plus intéreffans, que fes deux principaux Ouvrages viennent d'être traduits en françois (1).

M. Gafpard Risbeck eft né en 1750, dans une petite ville près de Maïence. Son père étoit Négociant à Eukft, & jouiffoit d'une fortune aflez confidérable. C'eft à tort que l'on a imprimé qu'il étoit Baron; non, Meffieurs, Risbeck n'étoit point un homme de qualité, mais il étoit quelque chofe de mieux, c'étoit un homme de génie. Il fut envoyé à Maïence pour y faire fes études: la fcience du Droit étoit celle pour laquelle on le deftinoit. Cette fcience cependant n'étoit point faite pour le jeune Risbeck; fon imagination brûtlante, fon caractère impétueux le rendoient peu propre à l'étude aride, mais néceffaire, des Loix,

(1) Son Voyage en Allemagne, dans une fuite de Lettres, trad. de l'Anglois. Il n'étoit guère poffible que cette Verfion, faite d'après la Traduction Anglaife, pût être très-fidelle ni très-élégante. L'Edition qui a été revue fur l'original Allę, mand, eft meilleure.

Le fecond Ouvrage de Risbeck eft une Hiftoire d'Allemagne, dont M Doray de Lougrais a annoncé la Traduction dans le Journal de Paris, du Vendredi 9 Mại.

Souvent il fe rendoit aux Cours de fes Profeffeurs avec Verther ou l'immortel Poëme du Mcffic dans fa poche; & là, retiré dans un coin, au lieu dẹ prêter fon attention aux préceptes qui affurent les droits des citoyens, il s'attendriffoit far le fort de l'infortunée Charlotte; ou, tranfporté par Klop tock, élevoit fa penfée jufquà l'Etre Suprême.

Obligé donc de fe livrer à des Sciences pour lefquelles il avoit un dégoût infurmontable, fes premières années ne furent point marquées par des fuccès, & le terme de fon éducation étoit arrivé fans qu'il eût commencé fes études. Malheureufement, à cette époque, régnoit en Allemagne une Secte, dont les principes dangereux n'ont formé que trop de profélytes; elle s'appeloir la Secte des Génies par excellence (das Genievefen). Ses principes fondamentaux étoient le mépris fouverain des convenances fociales, l'éloignement pour toute affaire quelconque. Les efprits fublimes de fes partifans regardoicnt comme au deffous d'eux les emplois, les engagemens politiques, les fonc tions qui exigeoient un travail fuivi; enfin la liberté étoit l'idole chimérique qu'ils encen foient & à laquelle ils facrifioient toutes les réalités. Une Société fondée fur de femblables principes, & qui en impofoit par quelques noms célèbres, devoit naturellement flatter la jeuneffe, toujours prompte à fair les liens, quelque légers qu'ils foient. L'effervefcence dans les têtes fut prodigieufe, & bientôt l'on vit une foule de jeunes gens accourir pour fe ranger fous les drapeaux des Chefs de la Secte.

Risbeck ne fut point des derniers à fe rendre auprès de ces nouveaux Diogènes. Son ame ardente & indomptable, qui peut-être avoit déjà deviné dans la folitude ces principes dangereux, fe fentit

peu

comme électrifée par cux, & alors reçut tout fon développement, femblable à un feu qui couve depuis long-temps fous la cendre, & qui, à l'ap3 proche d'une famme légère, s'embrafe & confume tout ce qui l'environne. Il ne tarda pointà fe repentir de s'être laiffé emporter par fon imagination. Obligé d'après fes principes, de méprifer l'état auquel le deftinoit fon père, il diffipa dans le bien dont il avoit hérité, & fe vit enfin réduit, pour fubfifter, à fe mettre aux gages des Libraires: ainfi, en pourfuivant une liberté idéale, il tomba dans un véritable efclavage. Plaignons fes erreurs mais applaudiffons-nous qu'elles n'ayent point été couronnées du fuccès. Risbeck, fectateur heureux & favorisé de la fortune, fut refté plongé dans une entière apathie; le malheur J'éveilla, &, en le retirant de fa léthargie, le rendit aux Lettres, pour lefquelles il fembloit être perdu.

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Risbeck quitta fa patrie, & fut s'établir à Saltzbourg. C'est là qu'il débuta dans la Littérature par les fecond & troifième volumes des Lettres fur Les Moines. Le premier volume de cet Ouvrage, qui eft attribué M. de la Roche, fit une trèsgrande fenfation; fon objet principal étoit de dévoiler la conduite des Moines dans les pays Catholiques de l'Allemagne, la manière dont ils cherchoient à enraciner les préjugés dans le peuple pour fe rendre maîtres de fon efprit, & le plus fouvent pour rançonner l'ignorance dans laquelle ils le maintenoient, & qui enchaînoit ces malheureux à leur joug. Risbeck, qui avoit déjà parcouru l'Allemagne, & qui dès-lors raffembloit des matériaux pour le Voyage qu'il publia quelques années après, avoit été témoin de leur conduite. Il entreprit donc de continuer J'Ouvrage, & les deux volumes qu'il publia cupent

plus de fuccès que le premier. Cependant il voulut faire croire qu'ils fortoient de la même plume, en imitant le ftyle de M. de la Roche; mais le preftige ne fut que pour le vulgaire. Les Gens de Lettres reconnurent, dans la continuation, un Écrivain plus hardi dans fes vues, plus nerveux dans fon ftyle, & malgré le voile de l'anonyme dont il s'étoit envelopppé, fon fccret fut bientot divulgué.

Toujours paffionné pour les Voyages, Risbeck voulut voir la Suiffe, & fut fe fixer quelque temps à Zurick: là, il coopéra à la rédaction de la fameufe Gazette politique de cette ville, & publia fes Voyages fous le titre de Lettres d'un Voyageur François fur l'Allemagne. Si Risbeck, dans fon premier Ouvrage, fe fit connoître comme bon Ecrivain & obfervateur exact, dans celui-ci il fe montra génie original, profond penfeur, Ecrivain élégant; fon efprit, qui n'étoit plus retenu par la gêne de l'imitation, ni refferré dans les bornes d'une carrière tracée par une main étrangère, put prendre tout fon effor. Je ne m'étendrai point fur ces Lettres; leur fuccès a déterminé le jugement que l'on en doit porter; je me bornerai feulement à regretter que dans la Traduction françoife, les graces du ftyle de l'original aient entièrement difparu, & que les fleurs que M. Risbeck a fu y répandre, en quittant le fol nãtal, fe foient flétrics & décolorées.

Ici finiffent les fuccès Littéraires dont a joui M. Risbeck pendant fa vie; il quitta Zurick, & s'ifola dans le village d'Arau. Ses malheurs avoient aigri fon caractère; bientôt une noire mélancolie fe répandit fur toutes fes idées, & le jeta dans une efpèce de mifanthropie. Vers la fin de fes jours, il ne connut plus d'autre fociété que celle des ca

barets. En vain MM. Geffner & Lavater employerent les plus vives follicitations pour l'engager à revenir à Zurick, & lui offrirent de l'aider de leur bourse & de leur crédit; il fe refusa conftamment à leur génércufe bienveillance, & perfifta dans le nouveau genre de vie qu'il avoit adopté.

Risbeck cependant écrivoit dans fon village une Hiftoire d'Allemagne; il en traçoit les révolutions avec cet efprit d'indépendance & cette vigueur de ftyle qu'il avoit montrés dans fes précédens Ouvrages déjà il touchoit au terme de fon travail & alloit jouir du fuccès de fes veilles, lorfque la mort l'enleva à fa gloire. L'Allemagne attendoit cet important Ouvrage. Enfin il a paru, grace aux foins de M. Vinkopp, qui l'a terminé, & n'a point démenti les hautes idées que l'on s'en étoit formées.

Risbeck eft mort à Arau, le

Février 1786.

(Par M. le Prince Baris de Galitzin.)

ANNONCES ET NOTICES.

V

OYAGES Imaginaires, Romanefques, Merveilleux, Allégoriques, Amufans, Comiques & Critiques; fuivis des Songes & Vifions, & des Romans Cabaliftiques, ornés de Figures; 12e. Livraifon contenant les Hommes volans, le Voyageur aérien, Micromegas, Julien l'Apoftat, ou Voyages dans l'autre Monde, les Aventures de Jacques Sadeur.

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