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DE FRANCE.

SAMEDI 26 JUILLET 1788.

PIECES FUGITIVES

EN VERS ET EN PROSE.

É GLOGUE

Traduite de GESSNER.

ÉG LÉ, IR I S.

ÉG LÉ.

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IL eft tard; le foleil fuit derrière ces monts
Et déjà pâlit l'or de fes derniers rayons;
Mais l'air que preffura fon haleine brûlantè,
Semble affaiflé du poids de fa chaleur absente :
Veux-tu m'en croire, Iris? fuyons vers ce ruiffeau;
L'entends-tu foupirer fous l'antique berceau,
Et de flots amoureux career ce rivage ?
La fraîcheur nous invite au folitaire ombrage:
Viens, marche fur mes pas; allons, Iris, allons.

No. 30. 26 Juillet 1788.

G

IRIS.

Je te fuis; mais attends, ouvre un peu ces buiffons,
Ecarte ces rameaux ; ces branches verdoyantes
S'enlacent au tiflu de tes boutles flottantes.
ÉG LÍ.

Vois-tu ces petits flots rouler parmi les fleurs,
Eclatans du reflet de leurs vives couleurs ?

O qu'un bain feroit doux! Dieux,qui voyez cette onde
Sortir en bouillonnant de votre urne féconde,
Je jure ici par vous, que, prompte à n'élancer
Je vais...

IRIS,

Arrête, ici quelqu'un peut s'avancer.

É

GLÉ.

Aucun fentier n'y mène, & la flèche homicidę
N'y fuit pas dans les airs la colombe timide :
Cet antique pommier, recourbé fur les caux,
Abaiffe un front chargé d'innombrables rameaux,
Et fous leur fombre voûte on voit briller à peine
D'un rayon affoibli la lumière incertaine.
Un éternel filence habite ces réduits.

Şuis mon exemple, Iris, raffure tes efprits.

Églé quitte, à ces mots, fa champêtre parure,
Et le gliffe en riant au fein de l'onde

pure; L'autre, incertaine encor, la fuit en rougiffant, Avance un pied craintif, le retire à l'inftant,

S'enhardit ; & bientôt par le frais invitée,
Preffant d'un pied léger fa furface argentée,
Voit les flots agités d'un doux frémiffement,
Prêter à les attraits un voile transparent.
Quel charme, dit Églé ! la rose ici naissante,
Ici du doux Zéphir l'haleine bienfaisante,
Tout excite à la fois les innocens défirs:
Cédons, & varions les innocens plaifirs

Chantons.

IRIS.

Quoi! voudrois-tu, de ces grottes ombreuses, Réveiller, par ta voix, les Nymphes paresseules? É a ti.

Eh bien, n'en parlons plus; contons un fait nouveau, Un de ces faits qu'on veut cacher dans le hameau, Qui font tant de plaifir & tant de peine à dire,

IRIS.

Pen'fais un, Églé ; mais...

ÉG LI.

Crains-tu de m'en inftruire?

Ce feuillage muet eft moins difcret que moi;
Et puis ne vais-je pas raconter après toi?

IR IS,

Allons, foit, tu le veux: Au bord de ce rivage,
Je regardois bondir, dans un gras pâturage,
Mes chèvres, mes beliers, & mes jeunes agneaux 3
Il est un cerifier dont les fouples rameaux,

Mollement inclinés fur la mouffe ép. ffie,
Semblent céder au plan de la pente adoucie;
Tandis que je paffois; dois-je le dire ainfi ?
C'est mon plus grand fecret.

ÉG LÉ.

Pour toi je vais auffi

Arracher de mon cœur fon plus tendre mystère.

IRIS.

Eh bien donc, en fuivant le fentier folitaire,
J'entendis une voix dont le timide accent

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Sembloit d'un cœur touché s'échapper lentement,
Je fufpendis mes pas, attentive, incertaine ;
Mon regard inquiet, abaiffé sur la plaine,
Ne put rien découvrir parmi tous ces objets;
Je laifle à l'aventure errer mes pieds diftraits;
J'avance encore un pas, & mon oreille heureufe
Semble déjà toucher la voix mélodieuse :
Dire ce qu'on chantoit, je ne l'oferai point;
Je le fais bien pourtant.

ÉG LÉ.

Oh! finis fur ce point;

Doit-on diffimuler fous cette ombre difcrète ?

Au bain on fe dit tout.

IRIS.

Tu feras fatisfaite ;

Mais par où commencer, & dois-je répéter

Des chants que les Bergers inventent pour flatter?

Dieux quelle Nymphe enchantereffe
Accourt de ces rians côteaux?

Eft-elle Bergère ou Déeffe,

Le charme de l'Olympe ou l'honneur des hameaux?
Zéphir, qui volez sur les traces,

Que l'on voit tour à tour foulever fes cheveux,
Et de les vêtemens les replis onduleux,
Dites, n'eft-elle pas la plus jeune des Graces?

pas ?

Voyez-vous ces œillets éclore fur fes
La rofe croît près d'elle, & ne l'efface pas.
Oui, je les veux cueillir ces plantes amoureufes,
Qui baifoient de fes pieds les empreintes douteufes;
Nymphe, je veux les partager.

D'abord au Dieu d'Amour j'en treffe une couronne.
Au plus fidele Amant, fi ta bonté la donne
L'autre fera pour ton Berger,

Demain, quand l'aurore vermeille
Rougira l'Orient de fes douces couleurs,
Je veux à ta fenêtre offrir une corbeille,
Où les fruits s'uniront par des treffes de ficurs.

Ah! fi fans dépit tu fens naître

Dans ton ame attendrie un fentiment nouveau, Les brebis que je mène paître,

Déformais auront pour leur Maître

Le plus heureux Berger qui foit dans le hameau.

Ainfi finit la voix & le tendre langage,

Mon regard, du Berger, cherche en vain le vifage;

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