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encore à la raifon humaine toute fa certitude, & au génie toute fa grandeur. : S'il n'y a que la Religion qui puiffe répondre & à la Société du maintien de fon ordre, & aux hommes de leurs vertus & de leur bonheur, on conçoit combien elle eft plus néceffaire encore pour les Souve rains, foir qu'on regarde à fes commande mens, foit qu'on regarde à fes promeffes, Tout ce qui agit fur les autres hommes ne peut pas agir fur les Rois: ils ne font pas foumis aux Loix, parce qu'ils les font, ils ne font pas foumis à l'opinion publique, parce qu'ils ne l'entendent pas. Le cours entier de la plus longue existence peut être embelli pour les autres hommes par cette fucceffion variée de befoins, de désirs, d'efpé<rances & de travaux femés fur toute la route de leur vie. Tous ces balancemens, qui font le charme de notre exiftence, font perdus pour l'existence des Rois. En les comblant de tous les biens, on les a privés du plus grand de tous, de l'efpérance; dès le berceau, on leur a préparé leur ennui. Si l'on -veut que les Rois aient quelque chofe à craindre, il faut donc qu'ils aient une Religion. Si l'on veut qu'ils aient quelque chofe à efpérer, il faut donc qu'ils aient une Religion. Sur un trône on ne peut porter fes regards qu'au Ciel. La Religion élève les autres hommes au deffus de leur nature: elle eft néceffaire aux Rois, pour les faire defcendre encore à la nature des hommes.

Ce n'est pas feulement la Religion qui eft bienfaifante, fes folennités même Te font fes folennités réuniffent les cœurs

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des hommes, en les raffemblant dans des cérémonies touchantes; elles donnent des jours de repos à ces travaux par lesquels le riche écrafe le pauvre.

La feule idée d'un Dieu fuffiroit pour fervir d'appui à la morale. C'est à cette fublime idée que s'attachent & tous les sentimens & toutes les réflexions qui compofent la légiflation d'un être moral.

Foibles & environnés de dangers, l'inftinct à chaque inftant nous fait tendre les bras au Ciel pour implorer des fecours; mais comment, avec une ame fouillée de crimes ou de vices, oferions-nous adreffer des prières à un Etre parfait ? Pour ofer demander, il faut avoir quelques droits à obtenir. Nos penfées ne peuvent s'élever à la notion d'un Dieu, fans le confidérer comme l'auteur de l'ordre admirable qui éclate de toutes parts dans l'univers phyfique; & c'eft une conféquence bien naturelle, que, pour lui plaire, il nous faut entrer dans le deffein de cette fuperbe ordonnance des chofes, & limiter, autant qu'il eft en nous, dans la compofition de l'architecture fociale, cette œuvre qui nous a été confiée. Si, comme Ordonnateur des êtres, l'idée d'un Dieu eft une fi haute leçon de morale, elle en eft une bien plus touchante encore en le confidérant comune leur Bien

faiteur en vain les maux de la vie ont été exagérés par une fenfibilité trop délicate ou par une philofophie chagrine; les maux font des accidens fur une longue route femée de biens; tous nos befoins font des fources de plaifirs; toutes nos facultés font dans leur exercice des moyens de jouiffance. La vie du plus grand nombre des hommes eft bornée à l'enfance & à la jeuneffe, ces deux âges où le bonheur eft fi facile, & où toutes les fenfations font des enchantemens; & pour ceux qui paffent cet âge, fi les plaifirs font moins vifs, ils font plus purs, parce qu'ils font choifis par l'expérience; ils font mieux goûtés, parce qu'ils font approuvés par la raifon. C'eft un fophifme de dire que tout le monde est si mécontent de fa vie, que perfonne ne voudroit la recommencer aux mêmes conditions. Lorfque nous regardons la vie en arrière, nous la voyons dépouillée de fes deux principaux ornemens, la curiofité & l'efpérance; & ce n'eft point dans cet état qu'elle nous a été donnée & que nous en avons joui. Dès que nous penfons à Dieu, l'œuvre entière de la création nous paroît donc une œuvre de bienfaifance; & de quelque côté que nous portions nos regards, nous voyons une main éternelle, toujours ouverte pour laiffer tomber des biens & des plaifirs fur les êtres qu'il a formés. C'eft avec ces attributs, les modèles les plus parfaits & les plus touchans de la

morale, que l'idée d'un Etre Suprême s'est toujours présentée au genre humain ; & un des moyens les plus sûrs pour arriver à la vérité, c'eft de fuivre le cours de ces fentimens fimples & de ces penfées primitives, qui ont guidé l'efprit & le cœur de l'homme, dans quelque pays & fous quelque climat que le Ciel l'ait fait naître.

Mais on eft forcé de combattre enfuite une philofophie armée d'objections & de difficultés qui a épuifé la fagacité, pour voir ou pour imaginer des contradictions, foit entre les attributs mêmes de cet Erre Suprême, foit entre fes attributs & ceux de l'homme. La plus infoluble de ces difficultés, en apparence, eft celle qui présente la liberté de l'homme & la prescience divine comme inconciliables: & cependant fi Dieu ne fait pas tout ce qui doit arriver, il eft borné; & fi l'homme n'est pas libre, il n'y a plus de morale; c'est-à-dire qu'il n'y auroit plus ni de morale ni de Dieu. Mais l'homme eft libre, le sentiment nous l'affure; & fi l'on étoit réduit à croire qu'il y a une contradiction abfolue entre la liberté de l'homme & la prefcience divine, c'eft fur celle-ci, peut-être, que nos doutes porteroient un moment: mais il n'y a point de contrariété entre elles, & toutes les deux enfemble on peut & l'on doit les adopter. Ce n'eft pas la prefcience qui détermine les évènemens futurs; car la fimple connoiffance de l'avenir ne fait pas l'avenir: tous les évène

mens futurs font fixés, foit qu'ils foient prévus, foit qu'ils ne le foient pas ; car la contrainte & la liberté conduifent également à un terme pofitif: il eft donc sûr qu'un évènement prévu ou imprévu aura lien dans tel temps; mais fi la liberté n'eft point contrariée par cette certitude inévitable comment le feroit-elle, parce qu'il exifte-. roit un Etre inftruit à l'avance de la nature précife de cet évènement? Sans doute l'homme eft déterminé à agir par des défirs, par des motifs : mais ces motifs le déterminent & ne l'entraînent pas, puifqu'il s'arrête à chaque inftant pour balancer leurs avantages & leurs inconvéniens, pour faire un choix que prononce fa penfée, qui ne dépend que d'elle-même; or la liberté de notre pensée, c'eft la nôtre. La pensée se fert des témoignages des fens ; mais elle ne leur obéit pas plus que le Juge n'obéit aux témoins, dont les dépofitions lui fer- vent à rendre fes Arrêts. Nos fens font tellement fubordonnés à cette partie fu blime de nous-mêmes, qu'ils n'agiffent pour elle que fuivant la volonté; elle leur commande, tantôt de lui préfenter le tableau des richeffes de la Nature, tantôt de parcourir affidument les regiftres de l'efprit humain, tantôt de prendre l'équerre & le compas pour lui rendre un compte exact de ce qu'elle défire connoître avec précifion; quelquefois elle leur indique les moyens dont ils doivent fe fervir pour

augmenter

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