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augmenter leur puiffance. Ce n'est donc pas l'efprit qui eft l'efclave des fens, ce font les fens qui font des miniftres de l'efprit, toujours foumis à fon empire.

Mais qu'importe, difent encore les mêmes Philofophes, qu'importe que notte ame ne foit, pas dans la dépendance de nos fens, fi, née avec eux, avec eux elle doit périr encore? Qu'importe pour la morale qu'il existe un Dieu, fi fes jugemens ne font pas prononcés fur la terre, & fi la mort, qui nous détruit tout entiers, nous met hors d'atteinte de tous les autres jugemens & de tout autre Juge? Mais c'eft la Nature elle-même qui, au milieu de tant de deftructions dont elle nous rend les témoins, nous a donné cette idée de l'immortalité de notre ame. C'eft elle qui, parmi tous les phénomènes de l'Univers, nous a fait remarquer le phénomène de la penfe comme le feul qui fera à jamais inexplicable, & par toutes les qualités, & par tous les mouvemens de la matière. Y a-t-il plus loin de l'exiftence à l'immortalité, que du néant à l'existence? & cependant nous exiftons, & vivre eft un auffi grand prodige que vivre éternellement. Dans toute la nature phyfique règne une harmonie admirable; parmi tous les autresêtres animés, leurs défirs font en proportion avec le terme où ils tendent, & leurs facultés ne font pas au deffus de leur destinée. Dans le monde moral règnent la confufion & le défordre, No. 28. 12 Juillet 1788.

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& tout annonce une autre vie, où l'ordre & l'harmonie du monde. moral égalera la beauté du monde phyfique. L'homine feul, parmi toutes les efpèces vivantes, a plus de lumières qu'il ne lui en faudroit pour parcourir l'efpace étroit de cette courte vie; feul il afpire à une exiftence qui n'ait point de limites, & il a le gage de cette vie immortelle dans ces facultés fublimes, qui feroient fuperflues ou même funeftes, s'il n'étoit pas né pour pour l'éternité. Sans celle penchés fur le bord de cet abîme de l'in fini, tout nous déclare, notre instinct & notre raison, que l'infini doit être notre partage, & que, plongés par la mort dans cer abime, nous irons reparoître dans une autre vie, qui ne doit avoir de bornes ni dans l'efpace ni dans la durée.

Il y a donc un Dieu : c'eft l'Univers qui la proclamé dans tous les fiècles, & kr merveilles qui l'annoncent fe manifeftent par des bienfaits aux hommes les plus fimples, comme par l'admiration aux regards du Philofophe qui en contemple les beautés & qui en cherche les fecrets. Il y a quelque chofe d'éternel; cette vérité, qui eft incompréhenfible, eft pourtant inconteftable; c'est donc l'Univers qui eft éternel, ou il a un auteur à qui feul appartient éternité. Mais quoique l'ouvrage foit fous nos yeux & non pas l'Ouvrier, quoique L'Ourrier foit beaucoup plus difficile à consevoir que l'ouvrage, tel eft pourtant le

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penchant irréfiftible de notre efprit, que nous fommes forcés à penfer que l'Univers a été fait & qu'il n'existe pas de lui-même. Aucun des caractères que nous voyons ou que nous découvrons dans l'Univers, ne nous annonce une exiftence néceffaire mais des êtres qui ont reçu l'existence; & fi dans tout ce que nous appercevons, nous cherchons quelque chofe qui nous donne l'idée de ce qui a pu faire un tel ouvrage, la penféc feule de l'homme, qui conçoit un plan & qui l'exécute, nous donne l'idée de l'Architecte éternel qui a conftruit les Mondes. Ils font donc l'ouvrage

'une intelligence, mais infinie dans fa puiffance, dans fa fagelle & dans fa bonté. En vain ceux qui veulent mettre la Nature à la place de Dieu, ont tenté d'expliquer la formation de l'Univers, ou par des atomes doués de propriétés & de mouvemens, ou par de grandes muaffes de matiè res, auxquelles leur forme & leur organifation font auffi néceflaires que leur exiftence; les propriétés qu'ils attribuent à la matière font aufli invifibles que le Dieu qu'ils rejettent, & elles répugnent à l'imagination de l'homme, autant que l'idée d'un Dieu lui convient & la fatisfait. Il eft de l'effence d'une bonne philofophie d'expliquer les phénomènes par les puiffances avec lefquelles ils ont le plus de rapport & d'identité, & cependant les Matérialistes expliquent l'Univers par des chocs, par des

adhésions, par des mouvemens aveugles; & parmi les inftrumens qui ont pu concourir à ce fuperbe ouvrage, ils ne veulent pas admettre la penfée, qui feule eft capable d'en concevoir le plan & l'ordonnance. On croit voir des hommes fe difputer fur les moyens dont on s'eft fervi pour élever une pyramide, & nommer tous les genres. d'inftrumens, excepté ceux qu'on trouve encore aux pieds de l'édifice.

Parvenus, par le fentiment des befoins de la Société & des nôtres, par l'instinct& par la raifon, à ces vérités fuprêmes, que l'homme eft libre, que fon ame eft immortelle, qu'un éternel bonheur lui est réservé s'il s'en rend digne; de ces trois vérités, qui ne font que la même vérité, tant elles font étroitement unies entre elles, naiffent avec un caractère frappant d'évidence toutes celles qui font néceffaires au genre humain & aux Sociétés dans lefquelles elle eft partagée.

Le glaive tombe des mains du perfécuteur; car il doit voir que la perfuafion & la conviction, ou l'action de la pensée fur la penfée, peuvent feules élever les efprits à ces hautes conceptions, & que quiconque emploie la force pour convertir les ames, traite les ames comme fi elles étoient matérielles.

Le Philofophe aura plus d'indulgence pour les erreurs qui, dans les diverfes conirées de la terre, auront pu fe mêler à ces

dogmes qui doivent être ceux du genre hu main..En voulant détruire des préjugés, il craindra de porter des coups mortels aux vérités qui y font unies. Il ceffera de fubftituer au raisonnement, dans ces profondes matières, ces légères plaifanteries par lef quelles il flatte un monde frivole, & tụe la raifon fous prétexte de l'égayer; il n'aura que des fentimens de refpect & d'amour pour le Législateur de la morale Chrétienne, qui a mis au même rang l'amour de Dieu & l'amour du prochain, qui a renversé les barrières qui féparoient le Samaritain & l'enfant d'Ifraël, qui a déclaré que le temps étoit venu d'adorer l'Éternel, non feulement fur la montagne & dans le temple, mais en efprit & en vérité; qui, parmi les maux affreux que produit l'inégalité des richelles a fait du riche le protecteur & le tuteur des pauvres, en faifant de la charité la vertu lá plus agréable à celui qui a créé l'Univers.

Telle est la fuite des principales idées de ce Livre, mais dépouillées de la multitude infinie des idées acceffoires qui les enrichiffent, des images éclatantes qui les embelliffent, des fentimens pleins d'énergie ou d'onction qui les font pénétrer jufques au fond des ames. C'est l'enceinte dans laquelle l'édifice a été élevé, plutôt que l'édifice même. Vingt fois, en failant cette analyse, j'ai été tenté de m'arrêter & de la fupprimer. Je fentois qu'en abrégeant un Livre où tout

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