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très-importants ceux qui étaient connus avant lui. Les variantes qu'il nous a fournies pour l'interprétation nouvelle du tit. 62, en particulier, ne nous ont pas été inutiles; et quant aux textes inédits publiés par M. Pertz, ils nous ont donné les indications les plus précieuses pour le même obje.t

HISTOIRE

DES INSTITUTIONS

CAROLINGIENNES.

LIVRE PREMIER.

DE LA FAMILLE ET DE LA PROPRIÉTÉ GERMANIQUES.

PENSÉE DU LIVRE.

Ce merveilleux ensemble d'institutions civiles et politiqués que l'on appelle la féodalité, et qui, sous cette forme, a régi l'Europe pendant plus de mille ans, a paru tellement étrange aux yeux les plus familiarisés avec les problêmes de l'histoire, et si peu en rapport avec ce qu'on avait connu jusqu'alors, qu'on a presque renoncé à l'expliquer, en se contentant de l'envisager comme un fait extraordinaire sans racines comme sans analogues dans le passé, sans portée et sans signification pour l'avenir. Nous croyons, nous, que rien n'est plus logique que l'histoire, malgré le désordre apparent qui la trouble à la surface, sous le souffle des passions humaines, et que chacune des phases de son développement a sa raison d'être, c'est-à-dire sa loi, loi souveraine et génératrice qui traverse les faits en les façonnant sur elle-même, et qui ramène à l'unité des conséquences les

accidents infinis qui se jouent librement dans les caprices et les fantaisies de la volonté humaine. C'est à la recherche de cette loi mathématique des faits et des institutions sociales, que les plus fermes et les plus nobles intelligences ont consacré leurs méditations et leurs pensées; et c'est de leurs recherches et de leurs découvertes que s'est formée la philosophie de l'histoire, c'est-à-dire l'histoire rationnelle des phases que l'humanité a parcourues depuis son berceau, et quelquefois, mais avec plus de chances d'erreurs, la prévision des phases nouvelles qu'elle doit parcourir encore dans ce lointain et laborieux pélerinage. Il y a en effet dans cette recherche curieuse et passionnée des traces que l'humanité a laissées derrière elle, et dans la perspective des destinées mystérieuses qui lui sont réservées dans l'avenir, un charme plein d'une séduction infinie, et comme une sorte de fascination d'autant plus entraînante que l'imagination et la raison, c'est-à-dire les deux plus grandes forces de l'intelligence humaine, y trouvent une égale satisfaction, et à côté de résultats positifs où l'esprit se repose, des émotions et des élans où les cieux semblent s'ouvrir pour laisser à découvert leurs plus impénétrables secrets. C'est là ce qui explique comment les génies les plus austères et les plus passionnés, les âmes les plus ardentes et les moins téméraires, les cœurs les plus brûlants et les plus froids, Platon et Aristote, Herder et Machiavel, Vico et Montesquieu, se sont rencontrés dans ces ténèbres, et en sont revenus diversement impressionnés, mais également riches de merveilles ; les uns avec les enseignements les plus rigoureux de la science, les autres avec les illusions les plus douces et les plus entraînantes de ce qui n'en sera jamais que l'ombre.

C'est assez dire que dans ces sortes d'investigations, alors même qu'on y apporte tous les scrupules de la raison et de la conscience, il y a presqu'autant de chances de rencontrer l'ombre que la réalité; et il est infiniment à craindre qu'en voulant trouver la véritable théorie de l'histoire des sociétés, on ne finisse par aboutir tout simplement à une nouvelle

histoire des erreurs de l'esprit humain. Aussi n'est-ce pas une théorie de l'esprit humain ou une politique des institutions sociales que nous allons entreprendre : ces sortes de problêmes, nous le croyons, sont placés dans une sphère à la fois trop élevée et trop vaste, pour qu'il soit donné à l'homme, quelque génie qu'il ait d'ailleurs, de les embrasser d'un seul coup-d'œil. Nous voulons seulement essayer d'éclairer d'un nouveau jour un coin encore obscur de cet immense tableau, en décrivant avec vérité les caractères et les rapports, c'est-à-dire la nature même de la famille et de la propriété chez les Germains; et en montrant que tout l'ordre féodal, choses et personnes, en est sorti comme la plus logique et la plus rigoureuse des conséquences.

En d'autres termes, nous allons prouver que ce qu'on a appelé féodalité au xe siècle et dans les siècles qui suivirent, n'était au fond que le jeu simple et naturel des principes et des coutumes d'après lesquels la famille germanique s'était gouvernée de temps immémorial de l'autre côté du Rhin; que les lois féodales n'étaient que la continuation ou le développement régulier d'un ordre de choses antérieur à la conquête, et que la conquête elle-même n'avait jamais interrompu; que ces institutions domestiques de la tribu germaine, lorsqu'elle campait encore au-delà du fleuve, se retrouvent au fond de toutes les institutions civiles et politiques qui gouvernèrent la Gaule sous les deux premières races, et que sous. cette enveloppe à demi-romaine de l'administration de Clovis et de Charlemagne, se cachent à fleur de peau, pour ainsi dire, des idées, des traditions, des formes et des institutions entièrement féodales. Il en résultera ce fait étrange et remarquable entre tous, que le gouvernement mérovingien, avec cet appareil emprunté de ducs, de comtes, de milice palatine, d'impositions romaines et d'imitations impériales que nous avons décrit ailleurs (1), se trouvait superposé à un autre gouvernement qui marchait d'après des principes et par

1 Histoire des Institutions mérovingiennes. Paris, Joubert, 1842. 1 v. in-8°.

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