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Discussion

entre l'Angle

§ 1270. Vers le milieu de l'année 1858, le gouvernement anglais terre et la Ré- envoya à l'Assomption un agent diplomatique pour renouveler le traité conclu en 1853 entre le Paraguay et la Grande-Bretagne,

publique du
Paraguay.
Affaire
Canstatt.

de la marine

tannique con

lequel devait expirer en 1860. En s'adressant au ministre des reAgression lations extérieures de la République pour s'acquitter de sa mission, de S. M. Bri- l'agent du cabinet de Londres déclara que son séjour dans la catre un envoyé pitale ne pourrait dépasser le terme de vingt jours; et une fois les re du Para- négociations entamées, il annonça qu'il était chargé de conclure un de la traité perpétuel.

extraordinai

guay dans les

eaux

République Argentine.

Le gouvernement du Paraguay ayant refusé de souscrire à cette demande, les conférences ministérielles cessèrent, et l'envoyé anglais chercha alors à s'aboucher directement avec le président de la République. Comme on devait s'y attendre, cette dernière tentative resta sans effet, et M. Christie dut quitter le pays en emportant de son échec un profond ressentiment, qui ne devait pas tarder à produire des fruits bien amers.

Plusieurs incidents particuliers vinrent d'ailleurs compliquer ce désaccord entre le gouvernement paraguayen et le gouvernement anglais; le premier fut l'abordage et la perte du bateau à vapeur de commerce anglais Little Polly. Dans un de ses voyages sur le Parana l'aviso de guerre paraguayen le Tacuari aperçut devant lui, en remontant le courant et aux abords de la petite rivière Sangita, le Little Polly, qui marchait à contre-bord; bientôt ses fausses manœuvres rendirent un abordage inévitable. Dans le choc qui s'ensuivit le vapeur anglais coula à pic; mais tout son monde, équipage et passagers, fut sauvé par les chaloupes du Tacuari et heureusement amené à terre. Malgré l'évidence des faits tels qu'ils résultaient du procès-verbal dressé au moment même de l'accident, la perte du Little Polly fit surgir tout une série de réclamations aussi injustes au fond que blessantes dans la forme qui leur fut donnée.

Un second incident, dans lequel le Paraguay n'avait pas plus de torts à se reprocher, mit le comble aux prétentions étranges de l'Angleterre. Voici les faits une conspiration tramée contre la vie du président Lopez ayant été découverte, on trouva parmi les complices un certain Canstatt, muni à cette époque d'un passeport anglais, mais qui, en réalité, était né à Montévidéo et qui, dans ses excursions précédentes, avait toujours voyagé avec un passeport délivré par les autorités de la République Orientale. Canstatt ayant été emprisonné comme conspirateur, le consul anglais à l'Assomption, M. Henderson, exigea sa relaxation immédiate en raison de sa

qualité de sujet britannique. En agissant ainsi, ce consul s'arrogeait évidemment des droits qu'il n'avait pas, émettait même des prétentions contraires à la saine raison, et le gouvernement du Paraguay, en consentant à discuter avec lui sur un semblable terrain, faisait certainement preuve d'un vif désir de conciliation et d'une grande condescendance. Mais c'eût été manquer de dignité, encourir le reproche d'une coupable faiblesse et porter atteinte à l'indépendance souveraine de l'action judiciaire, que de prêter l'oreille à des réclamations aussi injustifiables que celles faites au nom de Canstatt. Cependant M. Henderson, fort de l'approbation de son gouvernement, refusa de se désister, quitta le territoire du Paraguay et laissa ainsi interrompues les relations entre les deux pays.

Sur ces entrefaites, le gouvernement du Paraguay avait envoyé en mission spéciale auprès de la Confédération Argentine, à bord du Tacuari, le fils même de son président, le général Don Francisco Solano Lopez. Celui-ci était chargé d'offrir la médiation de son pays pour mettre fin à la guerre engagée entre la République Argentine et la province de Buenos-Aires. Cette mission ayant été menée à bonne fin, le général Lopez se disposait en novembre 1859 à retourner à l'Assomption à bord du Tacuari. Quelle ne dut pas être sa surprise, lorsque, au moment de sortir de la rade de BuenosAires, il vit deux bâtiments de la station anglaise, la corvette Buzzard et la canonnière Grappler, lever l'ancre et manœuvrer de manière à lui couper la route, en même temps qu'ils tiraient un coup de canon dont le boulet passa très près de la prouc du Tacuari. Lutter contre des forces si supérieurcs eût été un acte de témérité injustifiable; le Tacuari revint donc au mouillage. Le général Lopez protesta énergiquement contre l'attaque dont il avait été victime, en réclamant du gouvernement argentin une protection, sinon matérielle, tout au moins morale, et finalement il se rendit par terre à Parana.

Interpellé sur les motifs d'une conduite si contraire au droit des gens, l'amiral Sir Stephen Lushington, commandant supérieur des forces navales britanniques dans la Plata, allégua le refus des autorités du Paraguay de mettre Canstatt en liberté, et ajouta qu'il était prêt à ne plus s'opposer au voyage du Tacuari, si le prisonnier était envoyé à bord du navire anglais le Léopard ou mis entre les mains de la légation de son pays. Cette condition ayant été remplie, le vapeur paraguayen fut autorisé à quitter paisiblement les eaux de Buenos-Aires. Toutefois de pareils faits réclamaient une

éclatante réparation, et le président du Paraguay accrédita un ministre en mission spéciale près les cours de Paris et de Londres, pour tâcher de l'obtenir par les voies amiables. Cet envoyé ne réussit point à se faire recevoir par lord John Russell, premier ministre de la reine Victoria, et dut se contenter d'une entrevue personnelle avec le sous-secrétaire du Foreign office, qui déclara que l'Angleterre se refuserait à toute espèce de négociations tant que le Paraguay n'aurait pas donné la satisfaction exigée par M. Henderson.

Toutes les notes de lord John Russell en réponse à celles de l'envoyé de la République étaient d'accord avec cette manière de voir, et l'intervention officieuse de M. Thouvenel, ministre des affaires étrangères de France, ne put parvenir à faire sortir le cabinet de Londres de la voie erronée dans laquelle il s'était engagé.

Dans cet état de choses, comprenant qu'il ne pourrait faire triompher la juste cause qu'il était chargé de défendre en se maintenant plus longtemps dans la ligne de réserve strictement tracée par les pratiques diplomatiques, l'agent du Paraguay crut devoir proposer de soumettre le différend à l'examen des avocats de la Couronne, dont il consentait d'avance à accepter la décision. Cette proposition si raisonnable et si modérée n'ayant pas été agréée, il dut recourir à la presse périodique pour élucider la question, et faire appel aux lumières du jurisconsulte anglais Sir Robert Phillimore, et de l'éminent homme d'État français M. Drouyn de Lhuys, qui l'une et l'autre formulèrent un avis de tout point favorable au Paraguay.

Devant l'unanimité des témoignages qui condamnaient ses exigences et l'exposé véridique des faits accomplis au Paraguay, l’Angleterre ne put résister plus longtemps, et au mois d'avril 1862 les deux pays signèrent à l'Assomption un traité qui mettait fin à leur regrettable différend.

Dans ce traité, M. Thornton, l'agent anglais, dut déclarer qu'en ce qui concernait l'affaire Canstatt, « le gouvernement de S. M. Britannique n'avait jamais prétendu s'arroger le droit d'intervenir dans la juridiction du Paraguay; que son intention n'avait jamais été ni pu être d'empêcher le gouvernement paraguayen de veiller à l'application de ses lois », ajoutant que « la démonstration dirigée contre le Tacuari avait été un acte étranger au gouvernement de S. M. Britannique, un fait individuel de l'amiral Lushington, agissant sous sa propre responsabilité ».

Comme on le voit, les justes réparations demandées par le représentant du Paraguay furent amplement accordées, et la GrandeBretagne fut amenée à traiter, dans la capitale même du pays que ses délégués avaient prétendu humilier, de la satisfaction due pour l'injure faite à un pavillon ami *.

Responsabilité pour les

des nationaux,

§ 1271. Tout individu qui trouble la tranquillité publique, qui lèse les droits souverains de la nation ou viole les lois, offense l'État, etes privés se déclare son ennemi et encourt de justes châtiments. La responsabilité n'est pas moindre, lorsque, au lieu d'attaquer l'État, les crimes ou les délits dont il s'est rendu coupable portent atteinte à la sécurité personnelle, aux droits et à la propriété des particuliers. Dans les deux cas, le gouvernement manquerait à ses devoirs, s'il ne poursuivait pas la répression de l'injure commise et ne faisait pas sentir à l'offenseur le poids de sa législation pénale. L'État n'est pas seulement obligé d'assurer l'empire de la paix et de la justice entre les divers membres de la société dont il est l'organe; il doit encore et tout particulièrement veiller à ce que tous ceux qui sont placés sous son autorité n'offensent ni les gouvernements ni les citoyens des autres pays. Les nations sont en effet tenues de se respecter mutuellement, de s'abstenir les unes à l'égard des autres de toute lésion, de toute injure, en un mot de tout ce qui peut nuire à leurs intérêts et troubler la bonne harmonie qui doit présider à leurs relations. L'État qui tolère que ses ressortissants immédiats manquent à une nation étrangère se rend moralement complice de leurs écarts et engage sa responsabilité personnelle.

Dans son application, ce principe n'a cependant rien d'absolu et comporte des réserves inhérentes à la nature même des choses; car il est des faits, des actes privés que l'autorité la plus vigilante ne peut prévenir, que la législation la plus sage et la plus complète ne saurait toujours empêcher ou réprimer. Tout ce que les autres nations peuvent demander à un gouvernement, c'est qu'il se montre

* Vattel, Le droit, liv. II, ch. vi; Phillimore, Com., v. I, § 218; Lieber, Political ethics, b. 7, § 26; Gradner, Inst., p. 546; Rutherforth, Inst., b. 2, ch. Ix, §§ 12, 13; Halleck, ch. XI, §§ 4, 5; Burlamaqui, Droit de la nat., t. IV, pte. 3, ch. 1, 11; Felice, Droit de la nat., t. II, lects. 9, 15; Ch. Calvo, Una página, pp. 1-67, 73-304; Commission under the convention between the United States and Paraguay; Statements and arguments for claimants and for the republic, and opinion and award of commissioners; Archives dip., 1862, t. II, pp. 398-477; Cuestion Canstatt, Documentos oficiales; A statement of the controversy between the governments of Great Britain and Paraguay, and opinion of M. Phillimore; Opinion de M. Drouyn de Lhuys; Torres Caicedo, Mis ideas, mis principios, t. III, pp. 13-44; Hall, Int. law, p. 182.

Cas du roi d'Espagne, de

pénétré d'un profond sentiment de justice et d'impartialité, rappelle ses sujets par tous les moyens en son pouvoir au respect de leurs obligations internationales, ne laisse pas impunis les écarts dans lesquels ils ont pu être entraînés, qu'enfin, il agisse en tout avec bonne foi et conformément aux préceptes du droit naturel; aller au delà, ce serait élever une injure privée à la hauteur d'une offense publique, imputer à une nation tout entière le tort d'un seul de ses membres *.

§ 1272. Durant les dernières années, on a eu à signaler trois cas lord Lyon, et forts regrettables de violences contre des souverains étrangers ou

du ministre

Madrid.

d'Allemagne à leurs représentants. En 1883, Alphonse XII, traversait Paris à son retour d'Allemagne. Des sifflets et des huées se firent entendre sur son passage, dans les rues de la capitale, sifflets qui avaient pour prétexte le fait que, selon l'usage, le roi avait été nommé chef honoraire d'un régiment allemand. Les auteurs de cette grossière manifestation méritaient une pénalité pour offense au chef d'un État étranger; mais il fallait, pour les poursuivre, la plainte de l'offensé, et celui-ci s'abstint. Il se contenta des excuses du Président de la République.

Responsabilité d'un Etat

En 1885, à l'occasion d'un correspondant français disparu dans la Haute-Égypte, un journal parisien ouvrit une violente campagne contre la reine d'Angleterre et son ambassadeur. De plus, il organisa un meeting hostile et une manifestation qui se porta contre l'hôtel de l'ambassade d'Angleterre. Ici encore il n'y a pas eu de plainte portée par les offensés, et par conséquent pas application de l'article 84 du Code pénal français (1).

Tout récemment enfin, à propos de l'affaire des Carolines, la populace de Madrid s'est portée aux excès les plus répréhensibles contre l'hôtel du ministre d'Allemagne auprès de la cour d'Espagne. La puissance lésée ne réclama pas non plus la punition des coupables. Elle se contenta des excuses du gouvernement espagnol et de la réparation des dégâts matériels aux frais de l'Espagne.

§ 1273. Nous avons déjà expliqué qu'en thèse générale les actes à raison de privés des nationaux n'engagent pas la responsabilité de l'État auquel ils appartiennent; mais ces actes ne changent-ils pas de caractère quant à leurs conséquences extérieures, lorsqu'ils ont

l'approbation donnée aux actes de ses nationaux.

* Vattel, Le droit, liv. II, §§ 71-73; Phillimore, Com., vol. I, § 218; Rutherforth, Inst., b. 2, ch. ix, § 12; Halleck, ch. XI, § 6; Felice, Droit de la nat., t. II, lect. 15; Burlamaqui, Droit de la nat., t. IV, pte. 3, ch. 11; Clunet, Offenses et actes hostiles, pp. 4 et seq.

(1) Clunet, Offenses et actes hostiles, p. 29.

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