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reçu une sorte de sanction ou d'approbation publique ? D'accord en cela avec les publicistes qui ont traité la question, il nous semble incontestable que la nation ou le gouvernement qui approuve et ratifie les actes de ses ressortissants les accepte comme siens, devient l'auteur réel de l'injure commise, et autorise pleinement la partie offensée à en faire remonter la responsabilité directe à celui qui se les est volontairement et sciemment appropriés. L'État qui dans ce cas refuse de réparer le dommage causé par un de ses sujets, de chàtier lui-même le coupable ou de le livrer pour être puni se rend en quelque sorte complice de l'offense et aggrave des torts dont les autres nations sont en droit de lui demander compte *.

Conditions de la respon

§ 1274. On peut résumer ainsi les circonstances et les conditions. dans lesquelles la responsabilité internationale s'impose aux gou- sabilité intervernements à raison d'actes accomplis par des personnes dont ils doivent répondre.

Lorsqu'il s'agit de ses fonctionnaires ou agents, un gouvernement peut être tenu pour responsable des conséquences de leurs actes, dans les circonstances suivantes: si, ayant été en temps opportun pour l'empêcher prévenu du fait illicite que son agent avait l'intention de commettre, il ne l'a pas empêché ;

Si, ayant eu le temps d'annuler l'acte de son agent, il ne l'a pas fait immédiatement;

Si, informé du fait accompli, il ne s'est pas empressé de blâmer la conduite de son agent et de prendre les précautions nécessaires pour en empêcher le renouvellement. En tout cas, un gouvernement qui refuse ou s'abstient de désavouer ses fonctionnaires ou agents dans leurs actes, qui portent préjudice à des intérêts étrangers, est censé s'approprier ces actes, les ratifier tacitement; il ne peut donc se soustraire à en subir toutes les conséquences.

Quand le gouvernement a eu connaissance du fait duquel le dommage a résulté et n'a pas déployé la diligence suffisante pour le prévenir ou en arrêter les conséquences, soit à l'aide des moyens à sa disposition, soit avec ceux qu'il pouvait demander au pouvoir législatif, l'Etat sera responsable, pour négligence volontaire de diligence. Dans ce cas, le degré de responsabilité de l'État devra avoir pour base le plus ou le moins de facilités qu'il avait de pré

Vattel, Le droit, liv. II, §§ 74-76; Pinheiro Ferreira, Notes sur Vattel, § 74, p. 294: Phillimore, Com., v. I, § 218; Rutherforth, Inst., b. 2, ch. IX, § 12; Halleck, ch. xI, §7; Burlamaqui, Droit de la nat., t. II, lect. 15; Clunet, Offenses el actes hostiles, pp. 9 et seq.

nationale des gouvernements.

Résumé.

voir le fait, le plus ou le moins de précautions qu'il était à même de prendre pour l'empêcher.

Il appartient aux pouvoirs constitués d'organiser un système de mesures légales propres à mettre le gouvernement en état de remplir les devoirs internationaux, de réprimer et de punir les particuliers qui offensent les États amis ou leur portent préjudice. Mais il ne suffit pas qu'un État se soit fait un système de lois et l'ait observé, pour en conclure qu'il doive être exonéré de toute responsabilité. Il peut se faire que ce système soit incomplet et inefficace. Or, quand les défauts ou les lacunes existant dans les lois, ou la procédure pénale d'un État sont tels, qu'il était aisé de prévoir que ces lois ou cette procédure seraient insuffisantes pour réprimer et punir les offenses envers un État ami, on peut exiger que l'État prenne un surcroît de mesures de précaution correspondantes au risque du dommage à prévoir; et s'il a négligé de le faire, l'État est tenu responsable du fait des particuliers qui ont causé un dommage à des étrangers.

Par contre, si un gouvernement a, avec une entière bonne foi, pris toutes les mesures dont il pouvait user pour obvier au dommage, s'il a eu recours à tous les procédés légaux pour l'empêcher et pour punir celui qui l'a causé, il ne serait pas équitable de le déclarer responsable; car, en pareil cas, on ne saurait aller jusqu'à exiger de lui qu'il prît des mesures incompatibles avec les institutions politiques de son pays, ou lui faire un crime de n'avoir pu, malgré tous ses soins, modifier le système des lois trouvé et reconnu incomplet.

Il n'est pas facile d'établir des règles abstraites pour déterminer quand le manque de diligence de la part d'un gouvernement, à calculer les conséquences possibles et présumables de son propre système de lois et de procédure peut constituer une négligence. volontaire et de nature à rendre l'État responsable. Tout dépend du rapport entre le devoir abstrait de l'Etat et les circonstances du fait, entre le risque du dommage à éprouver et les facilités qu'il y avait de le prévoir.

L'application des lois faite loyalement et de bonne foi est une forte présomption en faveur de l'État; mais elle peut être détruite par la preuve contraire.

Un gouvernement peut être tenu responsable envers les gouvernements étrangers pour le fait de particuliers, toutes les fois que ceux-ci accomplissent des actes de nature à compromettre l'ordre et la sûreté des États voisins, ou quand ils ont de leur fait propr

causé un tort à un État étranger ou aux citoyens de cet État et que le gouvernement du pays où les actes ont eu lieu n'a pas fait ce qui était en son pouvoir pour les empêcher.

En pareil cas, on ne pourrait pas faire dépendre la responsabilité de l'État de ce que les lois n'ont pas été appliquées comme elles eussent dû l'être; car, dans cette hypothèse, le dommage aurait été causé par la faute des fonctionnaires de l'État, et il faudrait appliquer les règles que nous avons déjà exposées.

Le cas est plus compliqué lorsque les lois ont été parfaitement appliquées, mais qu'on n'a pu néanmoins empêcher le dommage, parce que les fonctionnaires publics n'avaient pas des moyens légaux suffisants pour empêcher les particuliers de causer un dommage de leur fait propre à un État étranger. Dans cette seconde hypothèse, la responsabilité du gouvernement pourrait dépendre de son manque volontaire de diligence à calculer les conséquences possibles et présumables de son système de lois et des prescriptions légales ordonnées pour faire respecter les devoirs internationaux.

Cas on la responsabilité

peut être in

voquée.

§ 1275. Toutefois, il ne suffit pas qu'un État fournisse la preuve qu'il a éprouvé un dommage du fait de particuliers résidant dans de l'Etat ne un autre État, pour déclarer celui-ci responsable: il faut que, de plus, il donne la preuve que le fait qui lui a causé le dommage est moralement imputable à l'État, ou que cet État devait ou pouvait l'empêcher et a volontairement négligé de le faire.

Un gouvernement ne peut se soustraire à la responsabilité et à l'obligation de réparer le dommage, s'il a autorisé ou même accompli lui-même l'acte qui a occasionné ce dommage; mais il y échappe, si en agissant ainsi il est demeuré dans les bornes légales de l'exercice du pouvoir public ou s'il y a été contraint par des circonstances de force majeure.

En général, les actes du pouvoir public, les faits de gouvernement proprement dit ou d'administration ne donnent pas lieu à la responsabilité de l'Etat; tels sont les faits de guerre, les mesures prises dans un intérêt d'ordre public, de salubrité, ou au point de vue économique, comme la prohibition d'exporter certaines marchandises, l'établissement et la modification des tarifs de douanes, etc.

Ainsi, par exemple, dans un cas d'incendie, l'autorité a le droit indiscutable de prendre toutes les mesures qu'elle juge opportunes pour arrêter les ravages du feu. Les particuliers seraient malvenus à prétendre rendre l'administration responsable des mesures de

Étendue de la responsabi

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Responsabilité à rai

son

et d'angarie

aux

navires mar

gors.

précaution prises alors par ses agents, sous prétexte qu'elles sont prématurécs ou inutiles; tout au plus pourrait-on faire valoir qu'elles ont excédé les proportions nécessaires.

L'Etat ne saurait non plus être responsable d'un accident qui n'aurait pas de cause reconnue, ou dont la cause ne serait pas attribuée d'une manière certaine à la négligence de ses employés.

Toutes les fois qu'il s'agit de réparer des dommages causés par le fait d'un gouvernement, que cette réparation doive être réglée selon les principes de l'équité ou par l'application des lois intérieures spéciales, aucune différence ne doit être faite entre les étrangers et les nationaux.

§ 1276. La responsabilité des gouvernements envers les étrangers ne peut être plus grande que celle que ces gouvernements ont à l'égard de leurs propres citoyens. On ne saurait prétendre, en effet, que les droits d'hospitalité puissent restreindre le droit qui appartient à un gouvernement d'user de tous les moyens légaux pour pourvoir à la conservation de l'Etat, ou que les étrangers puissent obtenir une position privilégiée; l'exemption des conséquences des malheurs publics est la garantie des dommages qui pourraient être causés par force majeure ou par l'impérieuse nécessité de pourvoir au salut public *.

§ 1277. En cas de troubles civils ou de guerre extérieure, l'ind'arrêts térêt de sa défense ou de sa sûreté peut mettre un Etat dans de prince (embargo) l'obligation morale de porter momentanément atteinte à la liberté imposés des transactions commerciales, de paralyser les mouvements des chands étran- navires marchands, et même de requérir ceux-ci pour les employer à des transports de troupes et de munitions ou à d'autres opérations militaires. La raison d'Etat prime ici l'intérêt privé, national ou étranger, et légitime l'emploi de ces moyens extrêmes désignés sous le nom d'arrêt de prince et d'angarie. Le premier de ces mots, dans son acception toute pacifique, est l'équivalent d'une interdiction de commerce, par exemple, avec un port bloqué ou en état de révolte; il s'emploie encore, pour caractériser la défense de communiquer avec l'ennemi ou de quitter un mouillage avant l'expiration de certains délais, pour mieux assurer le secret d'une expédition navale. L'angarie s'applique à la mise en réquisition d'un navire marchand pour un service public quelconque. Le droit d'arrêt de prince ou d'embargo et celui d'angarie font partie des

* Fiore, Trattato, 2a édizione, cap. IV, §§ 644-664; Clunet, Journal du Droit int. privé, 1876, p. 498; Sourdat, Traité général de la responsabilité, t. II, pte. 2, liv. I, ch. x, art. 1, pp. 404 et seq.

prérogatives de la souveraineté; mais ils diffèrent dans leur nature comme dans leurs effets. Le premier, pour être légitime, doit être général, restreint dans les plus étroites limites et fondé sur des raisons majeures: il n'implique, le plus communément, que la responsabilité morale du gouvernement qui l'exerce. Le second, au contraire, est essentiellement spécial, ct, en raison des risques et des charges onéreuses qu'il impose au navire qui le subit, il engage la responsabilité matérielle et financière de l'Etat qu'une nécessité d'ordre supérieur condamne à y recourir.

L'exercice de ces deux droits, du dernier surtout, est extrêmement délicat et exige de grands ménagements pour les intérêts privés étrangers qu'il affecte. D'autre part, en effet, il jette le trouble dans des opérations commerciales librement engagées, qu'il est du devoir de tous les Etats de respecter et de favoriser; en détournant le navire de la route que les armateurs lui ont tracée, il prolonge son voyage, compromet son chargement d'aller ou de retour, accroît les salaires de son équipage, entraîne pour lui des dépenses imprévues et forcées, ou modifie les assurances destinées à le couvrir contre les chances de la navigation. D'autre part, en le faisant servir à un usage public, en l'employant à des opérations militaires ayant forcément un caractère hostile, il détruit sa neutralité, l'expose à des risques et des dangers de capture ou de détention, dont l'équité veut qu'il soit couvert, puisqu'il n'a pas été libre de s'y soustraire. La règle universellement consacrée en cette matière est donc que tout gouvernement, que les circonstances contraignent à recourir à l'angarie, ne soit pas seulement responsable de ses conséquences matérielles pour le navire qui en est l'objet, mais encore qu'il soit tenu, avant d'imposer sa réquisition, de débattre avec les ayants droit et de solder l'indemnité due pour le service réclamé. Du reste, le droit d'angarie appartient, par sa nature, aux droits imparfaits, et un grand nombre de traités en ont formellement interdit l'exercice ou subordonné l'emploi au paiement préalable d'une juste compensation pécuniaire (1).

Responsabilité des gou

§ 1278. A cette question se rattachent les graves et nombreux conflits que la protection des étrangers a fait surgir entre les grandes vernements à

raison de préjudices éprouvés ou de délits commis

(1) Voir les traités conclus entre la France et le Chili en 1851 (De par des étranClercq, t. VI, p. 89), le Guatémala en 1854 (De Clercq, t. VI, p. 446), le gers. Vénézuéla en 1854 (De Clercq, t. VI, p. 446), la Nouvelle-Grenade en 1856 (De Clercq, t. VII, p. 205), le San Salvador en 1858 (De Clercq,

t. VII, p. 362), le Nicaragua en 1859 (De Clercq, t. VII, p. 586), et le Pérou en 1861 (De Clercq, t. VIII, p. 193).

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