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Discussion entre le gou

puissances européennes et les gouvernements du Nouveau-Monde. Toutes ces réclamations reposent sur des offenses personnelles, tantôt réelles et sérieuses, tantôt imaginées ou exagérées par les agents diplomatiques ou consulaires, et invariablement dépeintes par ceux-ci sous les couleurs les plus vives. La règle que, dans plus d'une circonstance, on a tenté d'imposer aux Etats américains, c'est que les étrangers méritent plus de considération, des égards et des privilèges plus marqués et plus étendus que ceux accordés aux nationaux mêmes du pays où ils résident.

Ce principe est intrinsèquement contraire à la loi d'égalité des nations et très funeste par ses conséquences pratiques. Dans sa revendication absolue contre les Etats américains, il ne nuit pas seulement au maintien des relations de bonne harmonie; il est avant tout souverainement injuste, puisque les gouvernements européens n'en font pas pour eux-mêmes une règle invariable de conduite entre eux. Toute loi, pour être acceptée et pour imposer le respect, doit reposer sur la base de l'égalité, protéger le faible aussi bien que le puissant, sauvegarder les droits et les intérêts de chacun, sans exception de personne, en un mot, peser équitablement sur tous. Les liens moraux qui unissent les peuples sont du même ordre et impliquent un caractère absolu de solidarité; un Etat ne saurait donc légitimement ni revendiquer, chez les autres, une situation privilégiée dont il ne serait pas réciproquement disposé à faire jouir les étrangers, ni réclamer pour ses sujets des avantages supérieurs à ce qui constitue le droit commun des habitants du pays.

§ 1279. Parmi les nombreux cas que nous pourrions citer du vernement principe d'égalité sous lequel les étrangers restent placés en Eula Prusse. rope, se trouve celui de M. Mac Donald, capitaine des gardes du capitaine Mac corps de la reine d'Angleterre. Cet officier avait tenu une conduite

britannique et

Affaire du

Donald,

coupable et s'était livré à certains excès envers ses compagnons de voyage dans l'intérieur d'une voiture du chemin de fer rhénan. La police de Bonn (Prusse) l'arrêta et commença contre lui des poursuites correctionnelles. Pendant qu'il était entre les mains des agents de la force publique, M. Mac Donald opposa une résistance tellement vive qu'on dut recourir à des mesures violentes et le retenir en prison jusqu'au jour de sa comparution devant les juges. Lord Russell réclama énergiquement à Berlin et alla même jusqu'à qualifier d'inconvenante la conduite du tribunal prussien, qui refusait de mettre en liberté M. Mac Donald, dont il connaissait le rang et la position à la cour de S. M. B. La réponse du gouver

nement prussien ne fut pas moins vive; elle repoussait toute pensée de satisfaction, de réparation ou d'excuse, et démontrait avec la dernière évidence que la procédure entamée par les magistrats de Bonn était inattaquable en droit, puisqu'elle était strictement conforme à la législation du royaume.

L'arrestation à l'étranger d'un officier de la reine produisit, en Angleterre, une irritation d'autant plus grande que les faits particuliers qui s'y rattachaient avaient été ou exagérés ou inexactement rapportés par les journaux. Le cabinet de Londres dut poursuivre l'affaire par la voie diplomatique.

D'après les pièces qui furent plus tard communiquées au parlement, voici sur quel terrain le gouvernement anglais se plaça dans ses discussions avec le cabinet de Berlin :

« Il semble au gouvernement de S. M. B., disait lord John Russell dans une dépêche au ministre d'Angleterre à Berlin, que la conduite du gouvernement prussien, en cette occasion, offre un caractère peu amical. La loi prussienne a été appliquée avec une rigueur extrême, sans qu'il existât aucune de ces nécessités commandées par les intérêts de la justice. Le refus peu courtois du tribunal prussien, après qu'il eut été informé de la position occupée par le capitaine Mac Donald, qui fait partie des gardes du corps de sa souveraine, est en opposition avec la courtoisie qu'on a coutume d'observer envers les étrangers, et doit être d'autant plus remarqué qu'il n'a pas été blâmé par le gouvernement du roi de Prusse. Ce dernier n'a tenté en rien d'adoucir ni de justifier les actes consommés, et le gouvernement de S. M. B. ne peut faire moins que de considérer cette conduite comme une preuve évidente du peu de prix que la Prusse attache au maintien de la bonne intelligence entre les deux États. >>

Le sous-secrétaire d'Etat des affaires étrangères de Berlin, M. de Gruner, répondit à ces étranges récriminations en termes assez peu mesurés, rétablit les faits si singulièrement défigurés, et, se plaçant au point de vue du droit strict, nia que le capitaine Mac Donald, dont la conduite était à tous égards injustifiable, eût été victime d'aucun abus de justice.

L'affaire en resta là; l'action des tribunaux prussiens ne fut pas autrement entravée; le capitaine Mac Donald dut subir le châtiment qu'il avait encouru, et le cabinet de Londres, en se désistant de ses plaintes, de ses demandes de réparation, justifia une fois de plus le principe général qui veut que pour les délits l'étranger reste soumis au régime de droit commun qui pèse sur les nationaux eux-mêmes.

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Malgré la force de ce précédent et du grand nombre d'exemples concordants qu'il serait facile de citer, et en dépit de la pratique invariablement suivie par toutes les nations européennes dans leurs relations mutuelles, certains Etats n'ont pas craint de s'inspirer, dans leur conduite à l'égard des républiques de l'Amérique, de règles diamétralement contraires, comme si les principes généraux du droit international pouvaient varier suivant les lieux où ils doivent recevoir leur application, être justes, vrais, absolus sur un point et cesser de l'être sur un autre*!

§ 1280. Les gouvernements sont-ils ou non responsables des pertes et des préjudices éprouvés par des étrangers en temps de troubles intérieurs ou de guerres civiles? Cette question a été longuement discutée et finalement résolue par la négative.

Avant de fournir les preuves pratiques de notre assertion, nous développerons ici, sur cet important sujet, quelques considérations générales.

Admettre dans l'espèce la responsabilité des gouvernements, c'est-à-dire le principe d'une indemnité, ce serait créer un privilège exorbitant et funeste, essentiellement favorable aux États puissants et nuisible aux nations plus faibles, établir une inégalité injustifiable entre les nationaux et les étrangers. D'un autre côté, en sanctionnant la doctrine que nous combattons, on porterait, quoique indirectement, une profonde atteinte à un des éléments constitutifs de l'indépendance des nations, celui de la juridiction territoriale ; c'est bien là, en effet, la portée réelle, la signification véritable de ce recours si fréquent à la voie diplomatique pour résoudre des questions que leur nature et les circonstances au milieu desquelles elles se produisent font rentrer dans le domaine exclusif des tribunaux ordinaires.

§ 1281. A l'appui de cette doctrine, nous citerons tout d'abord l'opinion exprimée, en 1849, par M. le baron Gros, lors de sa mission spéciale en Grèce pour le règlement des célèbres réclamations pécuniaires de Don Pacifico. « En général, disait ce diplomate, dans une de ses dépêches au gouvernement français, qui a été plus tard communiquée au parlement anglais, il est admis en principe, et ce principe est conforme à l'équité, qu'il ne peut exister d'intervention

Vattel, Le Droit, liv. II, §§ 71, 72; Phillimore, Com., v. I, § 218; Rutherforth, Inst., b. 2, ch. Ix, §12; Thiers, Discours prononcé au Corps législatif les 26 et 27 janvier 1864; Ch. Calvo, Annales, t. I, int., pp. LXXII-CI; Ch. Calvo, Una página, p. 223; Burlamaqui, Droit de la nat., t. IV, pte. 3, ch. 1; Felice, Droit de la nat., t. II, lect. 15.

diplomatique dans les différends où l'autorité locale ne se trouve pas en cause; c'est aux tribunaux, et conformément aux lois du pays, que la partie lésée, quelle que soit sa nationalité, doit recourir et demander justice. »

Lord Stanicy.

Lord Stanley, traitant la même affaire au sein du parlement bri- Opinion de tannique, s'exprima ainsi : « Je ne crois pas que les gouvernements soient tenus, dans toute la rigueur de ce mot, d'indemniser les étrangers qui ont éprouvé des pertes ou des préjudices par suite de circonstances de force majeure. Tout ce qu'ils peuvent faire, dans des cas semblables, c'est de protéger, par tous les moyens en leur pouvoir, les nationaux et les étrangers résidant sur leur territoire contre des actes de spoliation ou de violence. »>

Rutherforth.

Rutherforth dit de son côté : « Une nation qui n'empêcherait pas Opinion de ses sujets de nuire aux étrangers engagerait sa responsabilité, parce que les nationaux étant placés sous son autorité, elle est tenue de veiller à ce qu'ils ne portent pas préjudice à autrui. Mais une semblable négligence ne rend pas une nation responsable des actes de ceux de ses sujets qui se sont mis en état d'insurrection et ont rompu leurs liens de fidélité, ou qui ne se trouvent pas dans les limites de son territoire. En pareilles circonstances, et quel que soit, en droit, le caractère qu'on veuille attribuer à leurs actes et à leur conduite, ces citoyens cessent en fait d'être sous la juridiction de leur gouvernement. »

la presse an

glase sur l'inropéenne au

tervention eu

Mexique.

Deux organes très autorisés de la presse anglaise, le Morning, Opinion ue Post et le London News, ont soutenu la même opinion à propos de l'intervention européenne au Mexique. Le premier de ces journaux, dans son numéro du 7 novembre 1862, écrivait : « Lorsqu'un gouvernement, dont l'autorité n'est pas complètement assise à l'intérieur, se montre néanmoins disposé à faire tout ce qu'il peut pour protéger la vie et les biens des sujets anglais, ce scrait de notre part faire preuve d'une rigueur excessive que d'exiger de lui une sécurité qu'il est en réalité difficile d'obtenir. »

De son côté, le London News publiait, le 15 février de la même année, la déclaration suivante: « Les hommes que l'esprit mercantile attire dans d'autres pays doivent, en y allant, être préparés à affronter, comme les nationaux, les périls auxquels tous sont exposés par les désordres et les dissensions intestines. >>

Discussions entre diffe

nements.

§ 1282. L'opinion des publicistes que nous venons de rapporter est pleinement d'accord avec le droit et avec la pratique observée rents gouverpar les diverses nations de l'Europe. Toutes, en effet, et, à leur exemple, le gouvernement des États-Unis d'Amérique, ont énergi

Réclamations de l'An

gleterre

con

tre la Toscane

et le royaume de Naples.

Nolo du cabinet de

Vienne.

proposé à

quement et invariablement, dans les cas analogues, repoussé le principe d'indemnité et d'intervention diplomatique. Nous allons le démontrer par des faits.

§ 1283. A la suite des troubles politiques qui eurent lieu sur divers points de l'Italie en 1849, plusieurs sujets anglais, fixés en Toscane et dans le royaume de Naples, s'adressèrent à leur gouvernement pour se faire indemniser des pertes et des préjudices que ces troubles leur avaient occasionnés. Le cabinet de Londres entama des réclamations par la voie diplomatique et voulut même, dans celles qu'il éleva contre la Toscane, impliquer la responsabilité de l'Autriche, en raison des secours que le gouvernement de ce pays avait fournis au grand-duc.

§ 1284. Ainsi mis en cause, le cabinet de Vienne s'empressa d'adresser à l'ambassadeur d'Autriche à Londres une note, que celuici avait ordre de communiquer au chef du Foreign office, pour protester en termes énergiques contre la conduite de l'Angleterre. Dans cette note, datée du 14 avril 1850, le prince de Schwartzemberg s'étonne qu'il puisse y avoir un Etat qui réclame, pour ses sujets établis dans un autre pays, des avantages et des droits dont les nationaux eux-mêmes ne jouissent pas. Partant de là, il exprime ensuite l'opinion que lorsqu'un étranger se fixe dans une contrée autre que la sienne et qui vient à être en proie aux horreurs de la guerre civile, cet étranger est tenu d'en subir les conséquences. Le prince ajoutait que, quelque disposées que pussent être les nations civilisées d'Europe à étendre les limites du droit de protection, jamais cependant elles ne le seraient au point d'accorder aux étrangers des privilèges que les lois territoriales ne garantissent pas aux nationaux. Il terminait en invoquant le droit qui appartient à tout Etat souverain et indépendant d'assurer et de maintenir sa propre conservation, même par l'emploi des armes.

Arbitrage § 1285. La question n'en resta pas là. Le gouvernement toscan, l'empereur de voulant régler ce différend à l'amiable, eut l'idée de le soumettre motifs du re- à l'arbitrage d'une tierce puissance et s'adressa dans ce but au ca

Russie, et

fus de ce sou

verain.

binet de Saint-Pétersbourg.

Dès qu'il eut pris connaissance de l'affaire, le gouvernement russe, dans une note adressée, le 2 mai 1850, à son ambassadeur en Angleterre, déclara que dans son opinion les raisons de droit sur lesquelles reposait le débat entre l'Angleterre, la Toscane et Naples, militaient si évidemment en faveur de ces dernières puissances qu'il ne pouvait y avoir lieu à arbitrage; que, dans cet état de choses, le simple fait d'accepter le rôle d'arbitre équivaudrait à

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