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admettre des doutes qui, dans l'espèce, n'existaient pas, ou à reconnaître un certain fondement aux réclamations pendantes, tandis qu'elles n'en avaient aucun.

En effet, s'appuyant sur les mêmes considérations que le prince de Schwartzemberg, et envisageant la question au même point de vue, le comte de Nesselrode adhéra entièrement, au nom du gouvernement russe, à l'opinion du cabinet de Vienne et conclut en ces termes : « D'après les principes du droit international tels que les entend le gouvernement russe, on ne peut pas admettre qu'un souverain, forcé par la rébellion de ses sujets de reconquérir une ville occupée par les insurgés, soit obligé d'indemniser les étrangers qui› au milieu de pareilles circonstances, ont pu être victimes de pertes ou de préjudices quelconques. » Finalement, le ministre des affaires étrangères de Russie n'hésita pas à penser que le cabinet de Londres reconnaîtrait qu'il s'agissait dans l'espèce d'une des questions les plus graves pour l'indépendance des États du continent, et que, par suite, le gouvernement de la reine se désisterait de ses prétentions; car, s'il n'en était pas ainsi, la présence des sujets anglais chez les autres nations deviendrait un véritable fléau et un instrument aux mains des révolutionnaires de tous les pays pour créer des embarras aux gouvernements.

La note autrichienne et la note russe que nous venons de citer mirent fin aux plaintes de l'Angleterre, qui renonça à ses réclamations (1).

§ 1286. Les États-Unis d'Amérique ont appliqué le même principe aux réclamations élevées par l'Espagne à l'occasion de scènes de désordre survenues à la Nouvelle-Orléans en 1851.

Réclamation et intérêts

do dommages

faite en 1851 par l'Espagne

aux Etats

On sait qu'à cette époque l'île de Cuba fut envahie par Lopez Unis. et ses partisans, qui y arborèrent pour la seconde fois le drapeau de la rébellion. Après que l'insurrection eut été vaincue par les troupes royales, les autorités espagnoles firent fusiller cinquante

(1) Dans son livre Union Latino-Americana (Paris, 1865), M. Torres Caicedo a soutenu la même thèse que nous, et reproduit (p. 306) intégralement la traduction espagnole des documents que nous venons d'analyser. Nous nous plaisons, du reste, à rappeler que ce publiciste américain a été un des premiers et des plus énergiques défenseurs des droits des nations sud-américaines. Non seulement dans l'ouvrage auquel nous faisons allusion, mais encore dans une série d'articles reproduits depuis 1858 dans El Correo de Ultramar et dans d'autres journaux, M. Torres Caicedo a démontré jusqu'à la dernière évidence le ́ caractère arbitraire et injuste des réclamations diplomatiques soulevées par plusieurs gouvernements européens à raison de dommages essuyés par l'effet de guerres civiles ou de dissensions intestines.

Différend

entre

l'Es

Vénézuela.

des flibustiers nord-américains qui étaient tombés entre leurs mains. La nouvelle de cette exécution produisit une telle surexcitation à la Nouvelle-Orléans qu'une partie de la population soulevée blessa plusieurs Espagnols, commit des dégâts dans quelques établissements publics exploités par des Espagnols, insulta le pavillon espagnol et outragea le consul de S. M. C., dont elle envahit le domicile et la chancellerie.

Le gouvernement espagnol s'empressa de réclamer des dommages et intérêts; mais le secrétaire d'État de l'Union, M. Webster, repoussa cette demande, parce que, suivant lui, les étrangers qui s'établissent sur le territoire de la république pour s'occuper de leurs affaires se soumettent ipso facto aux mêmes lois et aux mêmes tribunaux que les citoyens du pays, et que le gouvernement fédéral ne peut pas être responsable des conséquences d'une émeute. M. Webster consentit toutefois à indemniser le consul espagnol, admettant que cet agent était en raison de son caractère officiel plus particulièrement placé sous la protection des États-Unis. Le cabinet de Madrid se montra pleinement satisfait de cette réparation restreinte (1).

§ 1287. L'Espagne elle-même n'a jamais suivi d'autres principes; pagne et la elle s'y est conformée dans ses réclamations contre le gouvernement de Caracas pour les dommages dont divers sujets de S. M. C. avaient eu à souffrir par suite de la révolution qui avait éclaté au Vénézuéla en 1859 (2).

suivie lors de

Conduite § 1288. C'est encore ce même principe ou cette même jurispru1'insurrection dence que l'on a vu observer lors du dernier soulèvement de la de la guerre Pologne, et durant le cours de la formidable lutte intestine qui a Etats déchiré la République des États-Unis d'Amérique de 1860 à 1865.

polonaise, et

de sécession

aux

Unis.

Dans ces deux circonstances, un grand nombre d'étrangers ont éprouvé de cruelles pertes, et pourtant aucune nation européenne

(1) Le marquis de Miraflores, qui se trouvait alors placé à la tête du ministère d'État de S. M. C., n'a pas hésité à proclamer sa satisfaction du résultat obtenu en cette circonstance. A la page 315 de la vie politique de cet homme d'État (Madrid, 1865), on trouve en effet une déclaration de M. le marquis de Miraflores conçue en ces termes : « Le gouvernement de la reine devait exiger et a exigé une réparation complète du pays qui avait été témoin de l'insulte faite à notre pavillon dans la ville de la Nouvelle-Orléans; cette réparation, il l'a obtenue telle qu'elle n'a jamais été accordée à aucune autre nation. » (Voir aussi à la page 28 de l'appendice du même livre, no 6 des pièces justificatives, la réponse de M. Webster, secrétaire d'État du gouvernement des États-Unis, au ministre de Sa Majesté Catholique à Washington.)

(2) Voir Torres Caicedo, Mis ideas y mis principios, t. II, pp. 259 et seq.

n'a songé à en faire peser la responsabilité sur les gouvernements respectivement intéressés.

§ 1289. En 1868, le cabinet de Washington a formé une commission pour examiner les réclamations pécuniaires élevées par des citoyens américains ou étrangers en raison de pertes ou d'actes de spoliation soufferts durant la guerre civile par le fait d'autorités fédérales. Cette commission est souveraine, c'est-à-dire que ses décisions ne sont pas sujettes à appel; non seulement elle ne doit admettre aucune intervention diplomatique en faveur des réclamants. étrangers; mais encore, sur le seul fait d'une semblable intervention, elle est tenue de repousser ipso facto et sans autre examen la réclamation qui en aurait été l'objet.

§ 1290. Par malheur, ces principes de saine politique et de nonintervention diplomatique n'ont pas toujours été rigoureusement observés par certaines grandes puissances maritimes de l'Ancien Monde dans les circonstances analogues qui se sont produites sur tel ou tel point de l'Amérique.

M. Sanojo explique ainsi dans le Foro de Caracas les réclamations d'indemnités adressées si fréquemment par les puissances européennes aux républiques sud-américaines :

Un étranger commet un crime; on le poursuit; la justice suit son cours et, le crime étant prouvé, il est condamné. Aussitôt il en appelle au représentant de son pays. Celui-ci, dans la plupart des cas (cependant, il faut le dire, on rencontre d'honnêtes exceptions, des agents diplomatiques qui n'appuient aucune prétention mal fondée), trouve la sentence injuste, adresse au gouvernement des réclamations en faveur du condamné. Quand même il est dans l'indigence, il demande des centaines de milliers de piastres pour les jours de prison qu'il a soufferts, pour le déshonneur que lui inflige la sentence, pour la cessation de ses affaires, etc. On comprend qu'en pareilles circonstances le gouvernement refuse de payer l'indemnité demandée. Le ministre étranger, au lieu de rabattre de ses prétentions, donne l'ordre à une escadre de venir bloquer les ports de la nation. Le gouvernement de la république menacée proteste contre ces abus de la force, et paie. La protestation tombe dans l'oubli; mais les milliers de piastres n'en sont pas moins sorties du Trésor public, où l'argent n'abonde jamais.

<«< Autre mode: l'étranger poursuivi est absous, soit faute de preuves, soit par crainte d'une réclamation diplomatique. Alors, par l'entremise du ministre de son pays, il demande une forte somme comme indemnité pour les préjudices que lui ont fait éprouver des

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Législation en France.

Loi française du 16 vendé

poursuites que rien ne motivait. On a recours au même procédé que dans le cas précédent, et l'on obtient le même résultat.

« Des étrangers éprouvent des dommages par suite d'une de ces révolutions si fréquentes dans l'Amérique latine; naturellement ils demandent qu'on les indemnise s'ils ont perdu la valeur d'une piastre, ils en réclament cent. Leur ministre appuie leur réclamation; suit l'histoire des escadres protestation du gouvernement injustement menacé, mais paiement immédiat ou promesse de paiement de la part de ce gouvernement, auquel on ferme la bouche en lui montrant la gueule des canons (1). »

Que de fois, en effet, n'a-t-on pas vu les représentants de ces puissances, tantôt obéissant aux instructions officielles de leurs gouvernements, tantôt entraînés par l'excès d'un zèle irréfléchi, recourir aux canons de leurs escadres pour appuyer leurs réclamations diplomatiques! Loin de nous la pensée de méconnaître les titres des réclamants qui fondent leurs demandes sur cette règle de droit commun que toute personne est tenue de réparer le dommage qu'elle cause; mais ce principe applicable en temps normal et dans des circonstances ordinaires, peut-on logiquement songer à l'étendre à des cas si graves et de force majeure qui, renversant tout un ordre de choses établi, conduisent souvent un pays au bord de l'abîme? Les situations nous semblent essentiellement différentes, et cette différence justifie de tout point les règles consacrées par la pratique.

§ 1291. La législation intérieure de plusieurs pays d'Europe a toutefois consacré, dans la mesure des ressources propres à chacun d'eux, le système de secours pécuniaires en faveur des victimes de semblables désastres. Mais partout on remarque qu'en entrant dans cette voie les gouvernements, pour aller au-devant de toute fausse interprétation, ont eu soin de déclarer explicitement qu'ils entendaient faire acte de libéralité spontanée et non point s'acquitter d'une obligation que la loi aurait mise à leur charge.

Telle nous paraît être notamment l'origine de la loi française du maire an IV. 10 vendémiaire an IV sur la police intérieure des communes (2).

(1) J. M. Torres Caicedo, Mis ideas y mis principios, t. II, pp. 259 et seq. (2) Nous ne croyons pas inutile de reproduire ici le texte de cette loi de vendémiaire, que les défenseurs du principe de l'indemnité ont trop souvent interprétée dans un sens contraire à l'esprit qui l'a inspirée : Loi du 10 vendémiaire an IV sur la police intérieure des communes de la République. (Extrait.)

TITRE PREMIER

Tous les citoyens habitant la même commune sont garantis civile

Après les journées de juillet 1830, on dut reconnaître que cette Loi de 1830, loi de vendémiaire avait un caractère trop exclusivement local pour s'appliquer de plano et d'une manière absolue à une ville comme Paris, surtout dans des circonstances aussi exceptionnelles que celles qui amenèrent la chute de la branche aînée des Bourbons; aussi,

ment des attentats commis sur le territoire de la commune, soit envers les personnes, soit contre les propriétés.

TITRE 4

Des espèces de délits dont les communes sont civilement responsables

-

Article premier. Chaque commune est responsable des délits commis à force ouverte ou par violence sur son territoire par des attroupements ou des rassemblements armés ou non armés, soit envers les personnes, soit contre les propriétés nationales ou privées, ainsi que des dommages et intérêts auxquels ils donneront lieu.

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Art. 2. Dans le cas où les habitants de la commune auraient pris part aux délits commis sur son territoire par des attroupements ou des rassemblements, cette commune sera tenue de payer à la République une amende égale au montant de la réparation principale.

Art. 3. Si les attroupements ou les rassemblements ont été formés d'habitants de plusieurs communes, toutes seront responsables des délits qu'ils auront commis, et contribuables tant à la réparation et aux dommages et intérêts qu'au paiement de l'amende.

Art. 4. Les habitants de la commune ou des communes contribuables qui prétendraient n'avoir pris aucune part aux délits, et contre lesquels il ne s'élèverait aucune preuve de complicité ou de participation aux attroupements, pourront exercer leur recours contre les auteurs et les complices des délits.

Art. 5. Dans les cas où les rassemblements auraient été formés d'individus étrangers à la commune sur le territoire de laquelle les délits ont été commis, et où la commune aurait pris toutes les mesures qui étaient en son pouvoir à l'effet de les prévenir et d'en faire connaître les auteurs, elle demeurera déchargée de toute responsabilité.

Art. 6. Lorsque, par suite de rassemblements ou d'attroupements, un individu, domicilié ou non sur une commune, y aura été pillé, maltraité ou homicidé, tous les habitants seront tenus de lui payer, ou en cas de mort à sa veuve et à ses enfants, des dommages et intérêts.

Art. 7. Lorsque des ponts auront été rompus, des routes coupées ou interceptées par des abatis d'arbres ou autrement dans une commune, la municipalité ou l'administration municipale du canton les fera réparer sans délai aux frais de la commune, sauf son recours contre les auteurs du délit.

Art. 8. - Cette responsabilité de la commune n'aura pas lieu dans le cas où elle justifierait avoir résisté à la destruction des ponts et des routes, ou bien avoir pris toutes les mesures qui étaient en son pouvoir pour prévenir l'événement, et encore dans le cas où elle désignerait les auteurs, les provocateurs et les complices du délit, tous étrangers à la

commune.

Art. 9. Lorsque dans une commune des cultivateurs tiendront leurs voitures démontées, ou n'exécuteront pas les réquisitions qui en seront faites également pour transport et charroi, les habitants de la commune sont responsables des dommages et intérêts en résultant.

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