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diplomatiques

La même inviolabilité personnelle couvre également les simples agents officieux que certains gouvernements consentent à recevoir, bien que l'autorité qui les envoie ne soit pas reconnue diplomatiquement et que, pour cette raison, ses envoyés n'aient pas de titre absolu aux immunités des ministres publics.

Agents § 1488. Les immunités diplomatiques peuvent aussi être invode nationalité quées par les ministres plénipotentiaires des puissances étrangères étrangère. accrédités en France, encore bien qu'ils appartiennent à la nationalité

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Respect et protection de

française. En conséquence, toute assignation qui leur est donnée devant les tribunaux français est nulle et de nul effet. C'est ce qui résulte d'un jugement rendu le 21 janvier 1875 par le tribunal civil de la Seine et confirmé par la Cour de Paris le 30 juin 1876 (1).

§ 1489. Dans ses effets le privilège, dont nous nous occupons ici, s'étend à tous les actes de l'agent étranger, principalement à ceux qui dérivent de ses fonctions et sont nécessaires à leur accomplissement. Ainsi l'agent a la liberté absolue de correspondre avec son gouvernement, d'envoyer et de recevoir des lettres et des dépêches, soit par des courriers particuliers pourvus de papiers justifiant de leur qualité, soit par l'intermédiaire des postes et des télégraphes du pays; il faut seulement dans ce cas que les lettres ou les dépêches remises par lui à l'administration des postes ou des télégraphes portent un cachet diplomatique notoirement connu. Il s'ensuit qu'en temps de paix l'ouverture des dépêches originaires ou à destination des missions diplomatiques est une violation manifeste du droit des gens, surtout quand elle est pratiquée par ordre du gouver

nement.

§ 1490. S'il est vrai que le ministre public est pour ainsi dire l'inl'inviolabilité. carnation du pays qu'il représente, il faut bien admettre aussi que tout ce qui est de nature à le blesser, à gêner sa liberté et son indépendance, constitue une offense faite à la nation dont il est l'organe. C'est pourquoi les peuples anciens eux-mêmes avaient reconnu l'inviolabilité des ambassadeurs et des envoyés: sancti habentur legati, disait la loi romaine; les codes modernes ont tous, sans exception rangé au nombre des crimes ou des délits contre l'Etat ceux que l'on commet contre les agents diplomatiques.

Dès qu'un souverain a reconnu un envoyé étranger comme mandataire d'un autre souverain, il a le devoir non seulement de s'abstenir lui-même de tout acte contraire à l'inviolabilité de cet envoyé,

(1) Journal du Droit int, priv., 1875, p. 91 et 1876, p. 272,

mais encore de réprimer toute atteinte matérielle ou morale qui lui serait portée par un de ses sujets.

Le gouvernement, qui commet une offense envers un agent étranger accrédité auprès de lui, est tenu, selon la nature de l'offense, d'accorder, conformément aux règles tracées par le droit des gens, une juste réparation. Des représailles même ne peuvent servir de prétexte à des actes de violence, à moins que le gouvernement de l'agent ne se soit rendu lui-même coupable d'une pareille violation du droit international.

Si c'est un particulier qui a commis l'offense, il doit être poursuivi à la requête du ministre offensé. Mais, dans aucun cas, celuici n'a le droit de se faire justice lui-même ; il doit demander satisfaction de l'injure reçue au gouvernement territorial. L'histoire offre de nombreux exemples de réparations demandées par des États, pour offenses commises envers leurs représentants, et de déclarations de guerre, lorsque ces réparations ont été refusées. Ainsi, la guerre faite en 1830 par la France à la régence d'Alger avait eu pour cause première une insulte faite par le dey lui-même. au consul général chargé d'affaires que le roi Charles X entretenait auprès de lui.

servatoires.

Cas du comte de Bruc

1880.

§ 1491. L'inviolabilité s'oppose même aux mesures conserva- Mesures contoires; c'est ce qu'a admis M. le Président des Référés du tribunal de la Seine, en date du 29 septembre 1880, au profit de M. le comte de Bruc, créé duc de Busignano par le gouvernement de la République de Saint-Martin et accrédité comme ministre plénipotentiaire de cet État auprès de la République Française.

M. le comte de Bruc avait à répondre à une instance en séparation de corps engagée contre lui par M de Bruc. Celle-ci, après avoir obtenu l'ordonnance permettant de citer son mari pour le préliminaire de conciliation, demandait, à la date du 31 août 1880, une seconde ordonnance l'autorisant à former, pour conservation de ses droits, évalués à 300,000 francs, diverses saisies-arrêts sur M. de Bruc, aux mains de diverses maisons de banque. Mme de Bruc, qui avait accusé son mari d'avoir pris la fuite à l'étranger et avait dissimulé sa qualité diplomatique, avait obtenu cette ordonnance. M. de Bruc n'eut qu'à rétablir les faits pour en faire prononcer le rapport, aux termes du décret de la convention du 13 ventôse an II (1). § 1492. Le représentant étranger n'a pas le droit d'invoquer le Exceptions. bénéfice de l'inviolabilité dans les circonstances tout à fait étran

(1) Clunet, Journal de Droit int. privé, 1881, p. 514.

Circonstan

ces qui com

font perdre

gères à son caractère public; du moins, en pareil cas, les atteintes portées à son inviolabilité ne sauraient donner lieu à des réclamations diplomatiques.

Par exemple, un ministre public, qui se produit comme auteur, n'est pas protégé par son caractère officiel contre les attaques de la critique. Pourvu qu'elle respecte ce caractère, la critique n'est responsable que des injures personnelles ou des faits de diffamation.

La plainte de l'agent étranger n'aurait pas non plus de fondement s'il était établi que la personne qui l'a offensé ignorait qu'il fût revêtu d'un caractère représentatif.

§ 1493. L'inviolabilité n'entraîne pas l'impunité. Lors donc qu'un promettent ou ministre public oublie sa dignité, se permet des empiètements ou l'inviolabilité. des actes arbitraires, trouble l'ordre public, manque au souverain, aux habitants ou aux fonctionnaires du pays de sa résidence, conspire, se rend odieux, suspect ou coupable, sa conduite tombe sous l'action des lois pénales; mais cette répression n'incombe qu'au gouvernement qui l'a nommé. Quant au souverain près lequel l'agent réside, il peut seulement prendre, à son égard, les mesures conseillées par la sûreté publique, interrompre ses rapports avec lui, le renvoyer de ses États et, en cas de résistance, recourir à la force pour le contraindre à en sortir, car alors l'agent devient luimême l'auteur de la violence qui lui est faite.

Atteintes à l'inviolabilité.

France

Russie. 1743.

en

Nous citerons ici quelques-uns des exemples que fournit l'histoire du droit des gens :

§ 1494. L'ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg, le marCas de l'am quis de la Chétardie, avait joué un des principaux rôles dans la bassadeur de révolution qui donna la couronne de Russie à l'impératrice Élisabeth, dont il paraissait posséder toute la confiance. Associé aux intrigues de cour qui assurèrent la nomination de Bestucheff à la direction des affaires, M. de la Chétardie ne tarda pas à se repentir de s'être immiscé dans ces menées; car, s'étant absenté de son poste pendant une année, il retourna à Saint-Pétersbourg, en 1743, dans l'intention de renverser Bestucheff, qui s'était montré hostile à la France. Averti en temps utile, le ministre russe prit des mesures de précaution et parvint à s'emparer d'une lettre dans laquelle l'ambassadeur français s'exprimait en termes injurieux à l'égard de l'impératrice. Celle-ci, justement indignée, ordonna son expulsion immédiate de l'empire, après l'avoir dépouillé des ordres qu'elle lui avait conférés. Comme la remise des lettres de créance de l'ambassadeur avait été ajournée à la chute de Bestucheff, le

droit des gens ne fut donc point violé dans cette circonstance. Aussi, l'impératrice eut-elle soin de faire savoir aux Cours étrangères que cette affaire était particulière au marquis de la Chétardie, dont l'expulsion ne paraît, d'ailleurs, avoir en rien altéré les rapports de la France avec la Russie. Dans l'espèce, on ne pouvait, en effet, se dissimuler que le marquis de la Chétardie, n'ayant pas encore délivré ses lettres de créance, n'avait pas, pour le gouvernement russc, le caractère d'ambassadeur et, par conséquent, n'était pas revêtu de l'inviolabilité qui y est attachée.

§ 1495. Ou n'en saurait dire autant de l'arrestation de M. d'Alo- Antres cas. pous, ministre de Russie à Stockholm, lors de l'invasion de la Finlande en 1808, ni de celle du prince de Cellamare, ambassadeur d'Espagne en France, en 1718. Accusé d'avoir trempé dans une conspiration ourdie par le cardinal Alberoni contre le régent de France, le prince fut arrêté à Paris et conduit sous escorte militaire jusqu'à la frontière, après que le gouvernement français se fut emparé de ses papiers.

:

Dans ces deux cas, l'atteinte à l'inviolabilité des agents étrangers est manifeste ceux-ci pouvaient bien s'être rendus suspects ou coupables; mais le droit des gens n'autorisait pas à pousser les mesures de sûreté jusqu'à leur arrestation personnelle.

§ 1496. En résumé, on peut dire que, aujourd'hui, l'inviolabilité des ministres publics est reconnue à titre général, sans exception. d'aucune sorte; le privilège en est même tellement absolu qu'il est respecté par les gouvernements entre lesquels sont survenues des mésintelligences, et qu'il subsiste même le plus souvent, en cas de rupture, après le commencement des hostilités *.

Aussi faut-il considérer, comme tout à fait exceptionnelle et contraire au droit des gens, la réponse faite par Napoléon I, après l'exécution du duc d'Enghien. On croyait alors que le duc de Berry s'était réfugié à l'ambassade d'Autriche, l'Empereur répondit : « Il

* Vattel, Le droit, liv. IV, ch. vII, § 81; Bynkershoek, De foro, cap. 1, §1; Wicquefort, L'ambassadeur, liv. I, ch. xxvII; Réal, t. V, ch. 1, sect. 7, §§ 4 et seq.; Burlamaqui, Droit de la nat., ch. III, §5; Heffter, §§ 204, 212; Martens, Précis, § 214; Martens, Guide, § 27; Fiore, t. II, pp. 564 et seq.; Phillimore, Com., vol. II, §§ 140 et seq.; Twiss, Peace, §§ 199, 200; Klüber, Droit, § 203; Riquelme, lib. II, cap. ad. II; Bello, pte. 3, cap. 1, § 3; Garden, Traité, t. II, pp. 141, 142; Pradier-Fodéré, Principes, p. 540; Schleusing, De legatorum inviolabilitate; Horne, §20; Vergé, Précis de Martens, t. II, pp. 104, 105; Dalloz, Répertoire, v. Agent dipl., nos 88 et seq.; Merlin, Répertoire, v. Ministre public, sect. 5, § 3, no 1; Hall, Int. law, p. 255; Diaz Covarrubias, Bluntschli, § 149; Dudley-Field, Projet de Code, p. 55, § 141.

Généralité du principe.

De l'indépendance.

Cas du ministre pléni

est faux de croire que je n'aurais pas osé aller l'y chercher, j'ai fait saisir le duc d'Enghien sur le territoire étranger, j'aurais fait fusiller et le duc de Berry et l'ambassadeur d'Autriche, nous ne sommes plus au temps des asiles (1). »

§ 1497. Le principe de l'inviolabilité entraîne comme conséquence, si même il ne la présuppose, l'indépendance absolue, c'està-dire que l'agent diplomatique ne doit relever que de son souverain; il ne peut, à aucun prix accepter, encore moins solliciter aucun emploi ni aucune pension publique ou secrète de la Cour où il réside, car toute faveur de ce genre le placerait moralement dans une sujétion incompatible avec les devoirs de sa charge. Il ne doit pas non plus, sans l'autorisation expresse de son propre gouvernement, accepter aucune dignité, aucun titre, aucune décoration, aucune grâce quelconque du souverain auprès duquel il est accrédité, ni de tout autre prince. Lorsque, par exception, un ministre est sujet du pays où il représente une nation étrangère, il reste soumis, tant qu'il conserve sa nationalité d'origine, aux lois territoriales pour tous les actes qui ne se rattachent pas à son emploi, et ne jouit des prérogatives et des immunités qui y sont attachées que dans la mesure indispensable au libre exercice de ses fonctions *.

§ 1498. Cette distinction a été reconnue et nettement établie par potentiaire de un jugement du tribunal civil de la Seine, en date du 21 jan1875. vier 1875.

Honduras,

Un certain nombre de porteurs d'obligations de l'État de Honduras avaient assigné, devant ce tribunal, M. Herran, ministre plénipotentiaire, M. Pelletier, consul général de cette république, et plusieurs autres personnes, comme ayant fait partie de la Commission de l'emprunt de Honduras. Les demandeurs soutenaient que M. Herran et autres, chargés de surveiller l'emploi des fonds provenant de l'émission, n'avaient aucunement rempli leur mission, et que, par leurs manœuvres personnelles, ils avaient induit le public en erreur, afin d'obtenir des souscriptions pour l'achèvement d'un chemin de fer qui n'a jamais été exécuté. Ils concluaient à ce que le montant de leur souscription leur fùt remboursé.

MM. Herran et Pelletier ont tout d'abord excipé de la nullité de l'assignation lancée contre eux. M. Herran, tout en reconnaissant qu'il était resté Français, invoquait sa qualité de ministre plénipotentiaire de la république de Honduras, soutenant que, par l'effet

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