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des immunités diplomatiques, il n'était pas, en matière personnelle, justiciable des tribunaux français. M. Pelletier, qui est aussi Français, a décliné également la compétence des tribunaux de la Seine, en se fondant, non, comme M. Herran, sur les immunités diplomatiques, qui ne s'étendent pas aux consuls, mais sur ce qu'il avait agi uniquement comme mandataire du gouvernement de Honduras.

Les demandeurs ont répondu, en ce qui concernait M. Herran, que, s'il est vrai que l'immunité diplomatique conserve au ministre plénipotentiaire accrédité près le gouvernement français la prérogative de ne pouvoir être poursuivi que devant les tribunaux de son pays, ce principe n'a plus sa raison d'être, lorsqu'il se trouve que ce ministre est Français.

Quant à M. Pelletier, la question était de savoir si la Commission dont il faisait partie était une représentation officielle du gouvernement de Honduras, ou simplement une Commission de surveillance et de contrôle, ayant un caractère essentiellement privé; or, c'était là tout le fond de l'affaire, et le tribunal n'en était pas saisi.

Le tribunal, en ce qui touchait Pelletier, se basant sur ce quc, s'il avait le droit d'exercer librement les fonctions de consul, il était justiciable des tribunaux français pour tous ses faits personnels, et que la demande formée contre lui se fondait uniquement sur une faute personnelle, l'a déclaré mal fondé dans son exception de nullité d'assignation; mais l'exception a été admise à l'égard de Herran, attendu qu'il était accrédité en qualité de ministre plénipotentiaire; que, représentant un gouvernement étranger, il n'était pas justiciable des tribunaux français, même relativement aux actions qu'il pouvait avoir accomplies comme personne privée; que, s'il était vrai qu'il avait conservé sa qualité de Français, il n'en jouissait pas moins des immunités diplomatiques inhérentes à la fonction dont il était investi, et qu'il serait contraire au droit des gens et à l'indépendance réciproque des nations que le représentant de l'une d'elles fût justiciable des tribunaux du pays où il représente un Etat souverain; qu'on ne s'expliquait même pas qu'un exploit eût pu être porté à son hôtel et délivré ainsi en territoire étranger » (1).

Ce jugement a été confirmé par la Cour d'appel de Paris en ses audiences des 23, 24, 25 et 26 mars, 8 avril et 20 mai 1881.

(1) Clunet, Journal du Droit international privé, 1875, p. 90; Le Droit, 9 juin 1881.

lité.

Exterritoria- § 1499. L'exterritorialité, comme nous l'avons déjà expliqué, cst l'ensemble des immunités, dont jouissent au dehors les représentants d'une souveraineté nationale étrangère, au nombre desquels doivent naturellement être classés les agents diplomatiques. Par suite de cette fiction qui suppose que, quoique résidant dans un autre pays, il demeure sur le territoire de son propre souverain, l'agent ou le ministre public reste toujours soumis aux lois de sa patrie, lesquelles continuent de régir l'état de sa personne et ses droits de propriété; conséquemment, il est exempt de la juridiction locale du pays où il est envoyé ; aucune action ne peut être formée contre lui devant les tribunaux du lieu de sa résidence; aucune contrainte par corps, aucune saisie de ses biens ne peut y être exercée contre lui; sa maison, considérée comme étant hors du territoire aussi bien que sa personne, n'est pas accessible aux officiers de justice du pays. Le personnel de la mission, l'épouse et la famille de l'agent participent à ces prérogatives, et ses enfants, bien que nés à l'étranger, sont regardés comme originaires du pays de leur père.

Cas on l'exterritoria

étendue à de

tionnaires ci

taires.

§ 1500. Le privilège de l'exterritorialité peut, en certains cas, ité peut être s'étendre à de simples fonctionnaires civils ou militaires. Ce sont simples fone notamment ceux qui, comme les employés de police et des douanes, vils ou mili- etc., exercent leur activité sur la frontière et dans l'intérêt commun des deux pays. Il importe, en effet, que ces agents puissent, pour le règlement d'affaires qui exigent une entente commune, se concerter et se ménager réciproquement des entrevues sur l'un et l'autre territoire sans avoir à redouter d'être arrêtés par ordre des tribunaux de l'Etat voisin.

Le cas exposé plus haut (voir vol. II, § 935, p. 437) du commissaire de police Schnaebelé fournit, si l'on s'en rapporte à la version allemande au sujet du lieu de l'arrestation, un exemple de cette extension du principe de l'exterritorialité.

Le 21 avril 1887, Schnaebelé fut arrêté sur territoire allemand en vertu des articles 92 § 1 ct 47 du Code pénal, sous l'inculpation de haute trahison : On avait trouvé trois lettres de sa main au domicile du sieur Klein, agent commercial à Strasbourg, prévenu d'avoir communiqué au gouvernement français des renseignements et des plans de fortification; lettres qui établissent la complicité des deux accusés.

Après un échange de notes diplomatiques entre les gouvernements français et allemand relativement à la validité de cette prise de corps, le Cabinet de Berlin reconnut qu'elle devait être considérée

comme irrégulière vu que « au moment de son arrestation, Schnaebclé se trouvait à l'endroit où il avait été arrêté, pour répondre à l'invitation du fonctionnaire allemand avec lequel il devait régler en commun des affaires de service ».

En conséquence, Schnaebelé fut remis en liberté, le 30 avril 1887, après dix jours de détention.

§ 1501. Cette immunité résulte plutôt de la nature des choses que de conventions publiques. Le principe qui en forme la base était déjà sous plusieurs rapports reconnu dans l'antiquité. Chez les Romains, la loi accordait aux députés de certaines provinces et de certaines villes le droit connu sous le nom de « jus domum ́rèvocandi », c'est-à-dire le droit de récuser pendant leur séjour à Rome la compétence des tribunaux tant en matière civile qu'en matière pénale, pour dettes ou pour délits antérieurs.

Le mot d'exterritorialité est une expression toute moderne, qui ne se trouve pas dans les anciens auteurs; mais ceux-ci n'en avaient pas moins discuté et admis le principe. Aujourd'hui la doctrine a fini par prévaloir et faire partie des usages de toutes les nations civilisées.

Ancienneté du principe.

Législation romaine.

Opinions des dernes.

auteurs mo

Grotius.

§ 1502. Grotius est un des premiers qui aient avancé que l'ambassadeur, représentant son souverain, conservait son domicile dans son pays. Développant ce principe dans ses applications, Bynkershoek Bynkershoek. en déduit les conséquences pratiques suivantes : « En règle générale et ordinaire, quand il s'agit d'appeler en justice un ambassadeur, il faut le considérer comme s'il n'était pas dans le lieu où il réside, s'il n'y avait pas contracté, si en qualité d'ambassadeur il n'y avait aucuns cffets; car son ambassade ne lui a point fait changer de domicile, et il n'est pas censé non plus avoir changé de juridiction. Ainsi il faut l'attaquer dans l'endroit d'où il est venu dans notre pays pour y remplir ses fonctions d'ambassadeur, si, avant qu'il en partît, le juge du lieu était son juge compétent; sinon, par-devant tout autre tribunal de la juridiction duquel l'ambassadeur dépendait dans les Etats du prince qui l'a envoyé.

<< Les ambassadeurs, pendant qu'ils sont en mission, ne changent point de juridiction; mais ils demeurent toujours dépendants de celle qu'ils doivent reconnaître avant leur ambassade dans les terres de leur prince... >>

Cette théorie a été presque généralement adoptée par les auteurs modernes. Voici en quels termes Fœlix s'exprime à cet égard:

Fœlix:

Merlin. Phillimore.

Klüber.

Heffter.

Wheaton.

<< Le souverain, bien qu'il soit temporairement sur le territoire d'une autre puissance, est censé néanmoins, par une fiction du droit des gens moderne de l'Europe, se trouver toujours sur son propre territoire, et il jouit de toutes les prérogatives inhérentes à la souveraineté ; et comme l'ambassadeur ou le ministre représente jusqu'à un certain point la personne du souverain dont il est fondé de pouvoirs, il est, lui aussi, pendant toute la durée de sa mission, considéré comme s'il n'avait point quitté l'État dont il est l'envoyé et comme s'il remplissait son mandat hors du territoire de la puissance auprès de laquelle il est accrédité...

<< Pendant l'exercice de ses fonctions à l'étranger l'ambassadeur ou le ministre ne cesse pas d'appartenir à sa patrie; il y conserve son domicile...

>>

Avant Fœlix, Merlin avait soutenu la même thèse.

Le jurisconsulte anglais Phillimore dit : « Depuis que c'est une coutume universellement admise par les nations de considérer les ambassadeurs comme représentant le prince qui les envoie, on s'est trouvé naturellement amené à les considérer aussi comme demeurant hors du territoire où ils résident... L'ambassadeur reste le sujet de la puissance de laquelle il tient sa commission; son domicile n'est pas changé. »

Les publicistes allemands partagent la même opinion. Nous lisons dans Klüber: « Pendant son absence, un ministre ne cesse pas d'appartenir à son pays. Il y conserve son domicile légal, et il reste soumis à la juridiction de son pays, quelle qu'ait été la durée de son absence. >>

Heffter est également d'avis que « les personnes exemptes de la juridiction territoriale conservent en général leur domicile d'origine, et par suite, tous leurs rapports civils continuent à être régis par la loi du domicile ».

Enfin Wheaton dit : « Dès qu'un ministre public entre sur le territoire de l'Etat où il est envoyé, il jouit, pendant le temps de sa résidence et jusqu'à ce qu'il quitte le pays, d'une exemption entière de la juridiction locale civile et criminelle. Comme il représente les droits, les intérêts et la dignité du souverain ou de l'Etat qui l'envoie, sa personne est inviolable et sacrée.

Pour donner une idée plus frappante de cette complète exemption de la juridiction locale, on a inventé la fiction de l'exterritorialité, par laquelle on suppose que le ministre, quoique résidant actuellement en pays étranger, demeure encore sur le territoire

de son propre souverain. Il reste toujours soumis aux lois de sa patrie, lesquelles gouvernent l'état de sa personne et ses droits de propriété, qu'ils viennent de contrats, d'héritage ou de testament. »

Ferreira.

En revanche, Pinheiro-Ferreira rejette la fiction de l'exterritorialité. PinheiroSuivant lui, elle ne peut qu'induire en erreur. Dans tous les cas, dit Bluntschli,« elle n'est point la cause des immunités dont Bluntschli. jouissent les agents diplomatiques. La vraie cause, c'est le respect de l'indépendance de ceux qui sont chargés de représenter les Etats. Cette fiction n'a donc que des effets relatifs; sa partie est réglée par les causes réelles de cette immunité *.»

Si les auteurs semblent être à peu près d'accord sur le principe, sur la théorie de l'exterritorialité, il n'en est pas de même au point de vue de l'application.

§ 1503. Dans la pratique, le droit d'exterritorialité n'est pas ca- Application. ractérisé d'une façon bien nette par la jurisprudence internationale, qui laisse subsister plus d'un point douteux, que les usages diplomatiques peuvent seuls expliquer et résoudre. En voici un entre autres si par le mot d'exterritorialité on doit entendre que la maison ou la résidence d'un ministre public est considérée comme une portion du territoire de son pays, il en résulte comme conséquence immédiate que l'action de l'autorité locale se trouve complètement paralysée et absorbéc : ce qui n'est admissible ni sur le terrain juridique ni sur celui de la saine politique. Un seul exemple suffira pour le prouver. Supposons que, dans l'intérieur d'une des ambassades établies à Paris, il se commette un crime ou qu'il surgisse un différend entraînant des conséquences délictueuses à l'égard de deux personnes étrangères à l'ambassade : si l'exterritorialité était réellement ce que quelques auteurs supposent, il adviendrait dans l'espèce que les coupables seraient justiciables des autorités et des lois en vigueur dans le pays auquel l'ambassade appartient, et non pas des autorités et des lois du pays où le crime a été commis.

Cas de la légation de

Pétersbourg. 1752.

§ 1504. Vattel, qui soutient que « l'indépendance de l'ambassadeur scrait fort imparfaite et sa sûreté mal établic, si la maison où Suède à Saintil loge ne jouissait d'une entière franchise et n'était inaccessible aux ministres ordinaires de la justice », cite à l'appui de son opinion un fait passé à Saint-Pétersbourg en 1752:

Pinheiro-Ferreira, note sur le § 215 de Martens, Précis ; Bluntschli, Le droit international codifié, trad. française, 1881, p. 124.

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