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à Berlin y aurait formellement renoncé que les dispositions du Code prussien pouvaient lui devenir applicables.

Du reste, comme on le comprend à première vue, si dans un cas analogue les lois autorisaient, par exemple, la vente des meubles d'un agent étranger, il s'ensuivrait inévitablement que de concession en concession on arriverait bientôt à détruire l'ensemble des privilèges et des immunités des agents diplomatiques; car si les meubles ou les effets d'un ambassadeur doivent rester affectés au paiement des loyers et des réparations, locatives, servir de gages à des dommages et intérêts quelconques, devenir passibles de saisie et de vente, nous ne concevons pas pourquoi il n'en serait pas de même pour assurer l'accomplissement d'obligations tout aussi respectables et aussi sacrées que peut l'être une dette de loyer.

A nos yeux, il est plus conforme aux convenances internationales et aux vrais principes du droit que tous les créanciers d'un agent diplomatique soient placés sur la même ligne, et que, connaissant les immunités de la personne privilégiée avec laquelle ils ont traité, ils subissent la responsabilité d'engagements dont ils ont mal calculé les conséquences extrêmes *.

Exemption de la juridic

le.

§ 1511. Si l'agent diplomatique est dans le pays où il réside exempt de la juridiction civile, dont les effets ne peuvent que bien tion criminelrarement et dans des circonstances tout à fait exceptionnelles gêner l'exercice de ses fonctions ou porter atteinte à l'inviolabilité de sa personne, à plus forte raison est-il exempté de la juridiction criminelle, qui pourrait avoir des conséquences beaucoup plus graves.

Cette immunité, comme celle que nous venons de traiter, comporte cependant certaines réserves, certaines restrictions. Nous en signalerons surtout deux il y a d'abord le cas où le ministre public, étant directement mis en cause comme accusé, accepte volontairement la compétence; en second lieu, celui où il se présente soit comme dénonciateur d'un délit dont il aurait été victime, soit comme accusateur privé et partie léséc ou civile. Il faut reconnaître

Wheaton, Élém., pte. 3, ch. 1, §§ 14, 15; Vattel, Le droit, liv. IV, ch. VIII, §§ 110 et seq.; Réal, Science, t. V, ch. 1, sect. 9, p. 183; Martens, Précis, §§ 216, 217; Martens, Guide, § 31; Heffter, § 215; Phillimore, Com., vol. II, §§ 176 et seq.; Twiss, Peace, § 200; Villefort, Priv. dipl., pp. 4-18; Bello, pte. 3, cap. 1, § 3; Riquelme, lib. II, cap. ad. 11; Klüber, Droit, §§ 209-211; Garden, Traité, t. II, pp. 143 et seq.; Fœlix, t. I, §§ 209 et seq.; Fiore, t. II, pp. 579 et seq.; Pradier-Fodéré, Principes gén., p. 540; Halleck, ch. IX, §§ 13-17; Wildman, vol. I, pp. 93 et seq.; Horne, sect. 3, § 24; Polson, sect. 5, p. 32; Dalloz, Répertoire, v. Agent dip.; Merlin, Rẻpertoire, v. Ministre public, sect. 5; Vergé, Précis de Martens, t. II, pp. 110115; Pinheiro Ferreira, Précis de Martens, § 216.

pourtant que cette acceptation explicite de la juridiction territoriale est forcément incomplète et ne laisse pas en général de soulever des conflits regrettables. En effet, si le ministre se laisse mettre en cause, l'instruction ne rencontrera sans doute pas de difficultés; mais l'exécution de la sentence à intervenir ne pourra être assurée ni poursuivie par les autorités locales. D'un autre côté, s'il comparaît comme dénonciateur ou s'il poursuit lui-même criminellement un individu, il lui faudra subir les conséquences de l'action. et éventuellement s'exposer à des amendes ou à d'autres pénalités, que les autorités territoriales seront impuissantes à rendre effectives.

Au surplus, l'exemption de la juridiction territoriale tant au civil qu'au criminel étant un privilège inhérent à la charge de ministre public, celui-ci ne peut renoncer à son privilège directement ou indirectement sans l'autorisation formelle et préalable de son gouvernement.

Le seul cas qui mette immédiatement un terme pour les ministres publics au bénéfice de l'immunité juridictionnelle est celui d'une conspiration contre la sécurité de l'État près lequel ils sont accrédités, et même alors, pour peu que les circonstances et le caractère de la personne le comportent, les convenances internationales veulent qu'avant de sévir, l'Etat offensé ait recours au gouvernement représenté, pour obtenir de lui le retrait du mandat confié à l'agent coupable. Il va sans dire que si l'affaire offrait une gravité et une urgence extrêmes, le gouvernement dont l'existence est en jeu aurait le droit de recourir à l'expulsion ou à l'emprisonnement et même de procéder à la visite des papiers.

En résumé, sur cette délicate question on ne saurait déduire une règle générale des exemples que nous offre l'histoire. Tout dépend des circonstances, de la situation générale du pays, du caractère et de l'étendue du délit commis, de plus ou moins d'imminence du péril. Evidemment, s'il s'agit de faits de peu d'importance, le gouvernement offensé peut se contenter de mesures de surveillance, d'avertissements ou d'une plainte au gouvernement dont l'agent a compromis la dignité; tandis que si les faits sont très graves, il est pleinement fondé à demander le rappel de l'offenseur et dans l'intervalle à assujettir celui-ci au contrôle de la police; s'il n'est point rappelé, à lui remettre ses passeports et à lui faire franchir les frontières dans un délai déterminé. Comme on le voit, le privilège d'exemption ne va pas jusqu'à se convertir en principe absolu d'impunité pour les crimes ou les délits commis contre l'indépendance et la sécurité de l'Etat ou contre le respect des intérêts privés,

Nous nous croyons fondé à dire que le droit suprême de défense et de conservation des États est supérieur à tous les privilèges, à toutes les immunités dont jouissent les agents diplomatiques, et que si un d'eux vient à offenser quelque citoyen du pays où il réside, ce dernier peut se plaindre à son propre gouvernement, pour qu'il adresse à son tour ses réclamations à qui de droit.

§ 1512. Sous le règne de la reinc Élisabeth, l'évêque de Ross, ambassadeur d'Écosse à Londres, fut exilé d'Angleterre pour délit de conspiration contre l'État. Ses co-accusés, au nombre desquels se trouvait le duc de Norfolk, ayant été condamnés et exécutés, les avocats de la couronne décidèrent que l'évêque avait également mérité la peine de mort. Toutefois, le gouvernement anglais, après l'avoir retenu quelque temps en prison, se borna à le faire reconduire sous escorte à la frontière.

La plupart des publicistes, notamment Albéric Gentilis et Blackstone, qui ont cité cet exemple dans leurs ouvrages, ont combattu et repoussé l'opinion des jurisconsultes anglais.

§ 1513. En 1584, l'ambassadeur d'Espagne en Angleterre reçut l'ordre de sortir du territoire pour avoir conspiré contre la reine. Non content de cette mesure, le gouvernement chargea un commissaire spécial de se rendre à Madrid pour se plaindre de ce qui était arrivé. La cour de Saint-James agit de même en 1654 à l'égard du représentant de la France, qui fut expulsé d'Angleterre à la suite d'une accusation de complot contre la vie de Cromwell, et en 1717 à l'égard du ministre de Suède, dont les papiers furent saisis et qui fut arrêté comme suspect de conspirer contre le roi Georges I".

§ 1514. Le roi d'Angleterre Jacques I° se plaignit au roi d'Espagne des ambassadeurs Inojosa et Colonna, qu'il soupçonnait d'avoir participé à la publication d'un libelle contre le prince de Galles et le duc de Buckingham. Le gouvernement anglais leur permit de quitter le royaume sans autre forme de procès.

Un fait qui mérite d'être observé, c'est que, dans les divers cas que nous venons de mentionner, le corps diplomatique, ordinairement si jaloux de ses droits et de ses prérogatives, s'abstint de toute protestation contre la conduite tenue par les gouvernements intéressés envers les agents inculpés.

§ 1515. L'histoire contemporaine nous offre un autre exemple très remarquable d'expulsion prononcée contre un ministre étranger. Les événements de 1848 avaient, comme on sait, suscité en Espagne des émeutes isolées, que le gouvernement parvint à réprimer sans trop de difficultés. Des informations recueillies par la

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Expulsion du délégué apostolique au Chili.

1883.

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police, il résultait d'une manière évidente que le ministre anglais à Madrid, sir Henry Bulwer, loin d'être resté étranger à ces désordres, les avait immédiatement secondés. Les ministros de la reine Isabelle, considérant avec raison que M. Bulwer avait ainsi manqué à tous ses devoirs, lui remirent ses passeports en lui intimant l'ordre de quitter à bref délai le territoire espagnol.

Cet événement eut pour suite une interruption des relations diplomatiques entre l'Angleterre et l'Espagne, laquelle se prolongea pendant deux années et ne cessa qu'au commencement de 1850, grâce à la médiation du roi des Belges.

§ 1516. A mentionner enfin, dans le même ordre d'idées, l'expulsion du délégué du Saint-Siège par les autorités de la République du Chili. Celles-ci ayant eu à se plaindre de l'attitude du représentant du pape, lui envoyèrent scs passeports en lui notifiant la fin de sa mission. Le président du Chili s'appuyait en ceci, sur plusieurs précédents, entre autres l'expulsion du cardinal Acciajuóli, nonce de Sa Sainteté près la cour de Portugal, expulsion qui eut lieu en 1761 pour un motif de simple courtoisie, et malgré les vives protestations de la victime de cette mesure. Le gouvernement du Chili procéda du reste d'une façon beaucoup moins sommaire. Il ne se décida à envoyer ses passeports au délégué apostolique qu'après avoir en vain sollicité de Rome le rappel de cet agent diplomatique. Le principal grief qu'on imputait au délégué du pape, c'était de s'être arrogé, contrairement à la constitution chilienne, le gouvernement des quatre diocèses de la république (1).

Expulsion du § 1517. Un incident tout semblable s'est produit à Buenos-Ayres, délégué apostolique auprès en octobre 1884. Le gouvernement argentin s'est vu contraint de la République Argen- d'expulser le délégué apostolique et envoyé extraordinaire du Saint1884. Siège, monseigneur Louis Mattera. Les motifs de cette mesure

tine.

sont exposés dans une circulaire du ministre des affaires étrangères, M. Francisco G. Ortiz. Voici la substance de ce document. Le délégué apostolique s'était vivement opposé à une loi votée par le congrès argentin, loi qui, tout en consacrant le principe de l'enseignement laïque, permet aux ministres des différents cultes l'enseignement de leurs doctrines, à certains jours déterminés, dans le local même des écoles.

Là-dessus, le gouvernement ayant engagé, aux Etats-Unis, des

(1) Documentos relativos á la presentacion hecha, á la Santa Sede en 1878 por el Goberno de Chile, del Señor prebendado Du. Francisco de Paula Paforó para ocupar la Sede vacante de la arquidiocesis de Santiago. Valparaiso, 1883.

institutrices protestantes pour la direction des écoles, le délégué apostolique se rendit à Cordoba, y mit en interdit l'une de cest écoles, et déclara ne consentir à la levée de l'excommunication que si le ministre de l'instruction publique annonçait publiquement que son intention n'était pas de favoriser la religion protestante, s'il autorisait l'enseignement catholique dans l'école en cause et permettait à l'évêque diocésain de visiter cette dernière quand il le jugerait convenable.

Ces prétentions constituant une immixtion dans les affaires intérieures du pays, le gouvernement demanda des explications au délégué apostolique. Celui-ci répliqua par une lettre où il « exigeait du ministre des affaires étrangères, les explications les plus claires et les plus catégoriques dans le plus court espace de temps » au sujet d'un article publié dans un journal du pays, article qui lui paraissait inspiré en haut lieu. Le ministre ayant retourné sa lettre à monseigneur Mattera, celui-ci la fit paraître dans la presse à sa dévotion, en compagnie d'une autre lettre, également très offensante, qu'il avait adressée au président de la République' M. le général Julio A. Roca. Dans ces circonstances, le gouvernement ne pouvait répondre qu'en envoyant des passeports au délégué apostolique, et c'est ce qu'il fit (1).

Affaire du

frère de l'am

Portugal.

§ 1518. L'affaire du frère de l'ambassadeur de Portugal en Angleterre en 1653 ne prouve rien contre la doctrinc établie, attendu bassadeur de qu'il n'avait ni ne pouvait avoir les droits et les privilèges des mi. nistres publics: c'est en effet ce qui ressort des circonstances dans lesquelles les choses se sont passées. Dam Pantaleon da Sa, frère du comte de Penaguias, ambassadeur du roi de Portugal en Angleterre, se prit de querelle avec un colonel anglais à la Bourse de Londres, où il retourna le lendemain et tua une personne qu'il prit pour cet officier; scs gens blessèrent plusieurs des assistants. Dom Pantaleon s'étant réfugié chez son frère, la foule investit la maison, menaçant d'enlever le coupable. Cromwell envoya un officier, qui, à la tête de quelques soldats, demanda qu'on livrât le meurtrier. L'ambassadeur se plaignit de la violation du droit des gens et sollicita du Protecteur une audience, qui lui fut refuséc. Cromwell lui fit dire qu'il fallait que justice fùt faite, et que si les coupables. n'étaient pas livrés, il ne répondait pas de ce qui pourrait arriver. L'ambassadeur, se flattant sans doute de l'espoir d'obtenir leur

(1) Memoria del ministerio de relaciones exteriores de la República Argentina. Buenos-Ayres, 1885.

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