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Les uns et les autres sont sous la protection du droit des gens et participent dans une certaine mesure aux prérogatives accordées au ministre lui-même; car on comprend que l'indépendance de celui-ci ne serait pas complète, s'il pouvait être troublé, inquiété dans l'exercice de ses fonctions par rapport aux personnes employées par lui et si ces personnes ne dépendaient pas exclusivement de lui. C'est ici que commence à se faire sentir la différence entre le personnel officiel et le personnel non officiel.

A l'égard des gens qui composent ce dernier, il est incontestable qu'en matière criminelle la juridiction étrangère pourrait être invoquée pour des personnes qui n'ont aucun droit personnel aux privilèges diplomatiques, sauf le cas où le crime ou le délit aurait été commis dans l'hôtel de l'ambassade ou de la légation, cas dans lequel le gouvernement auprès de qui le ministre est accrédité ne pourrait demander l'extradition du coupable, l'hôtel de la légation étant regardé comme un territoire étranger; mais si le crime ou le délit est commis hors de l'hôtel, la répression appartient aux autorités locales. § 1542. Il y a cependant des exemples de décisions contraires. Ainsi, en 1812, le chasseur du ministre de Bavière à Berlin ayant assassiné le laquais du même ministre, mais hors de l'hôtel de la légation, le ministre fit arrêter l'assassin dans son hôtel; le gouvernement prussien, se fondant sur ce que le criminel n'était pas sujet prussien, abandonna le jugement à l'autorité bavaroise.

Mais rien ne saurait justifier l'application de la règle de l'exterritorialité aux délits ou aux crimes commis par des domestiques nés dans le pays même de la résidence du chef de légation qui les emploie. Celui-ci, n'ayant aucune juridiction sur eux et ne pouvant pas davantage les faire juger par les lois de son propre pays, est moralement tenu de les renvoyer de son service et de les abandonner à l'action des tribunaux locaux.

Les mêmes principes doivent être appliqués en matière civile. Un domestique du ministre peut être arrêté pour dettes; ses effets peuvent être saisis, mais seulement hors de l'hôtel de la légation. En général, les autorités locales le traitent comme un simple particulier pour tout ce qui ne concerne pas les affaires de son maître ; mais quand il agit comme mandataire du ministre, il doit être exempt de toute poursuite personnelle c'est au chef de la mission que doit remonter la responsabilité des ordres exécutés par le serviteur *.

Grotius, Le droit, liv. II, ch. xvIII, § 8; Vattel, Le droit, liv. IV, § 120; Bynkershoek, De foro, cap. xv et seq.; Wheaton, Elém., pte. 3, ch. 1,

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§ 1543. De même que l'inviolabilité personnelle, l'exemption de la juridiction local comprend toutes les personnes qui dépendent plus ou moins directement d'une légation. Ce privilège ne découle pas seulement de la fiction légale de l'exterritorialité; il a encore son fondement rationnel dans le caractère spécial des fonctions diplomatiques, lequel échappe moralement à l'action des lois territoriales et exige impérieusement que, pour ne pas compromettre les intérêts d'un service public étranger, les personnes qui dépendent d'une légation ou concourent à ses travaux ne soient jamais soustraites au contrôle et à la législation de leur propre pays.

En droit rigoureux, on pourrait donc soutenir qu'un ministre public a le pouvoir de juger et de punir les crimes commis par ses employés et ses serviteurs. C'est une opinion qui a longtemps prévalu, et les annales diplomatiques mentionnent plusieurs ministres publics qui se sont arrogé le droit de prononcer des peines, même la peine capitale, contre des personnes attachées à leur suite.

§ 1544. En 1603, un nommé Combaut, attaché au service du duc de Sully, ambassadeur de France à Londres, assassinat un sujet anglais. L'ambassadeur jugea le coupable avec l'assistance d'un jury français, qui le condamna à la peine de mort; puis il le remit entre les mains des autorités anglaises pour être exécuté; mais le jugement resta sans effet, attendu que le roi Jacques I gracia le coupable.

Sans apprécier jusqu'à quel point, aux termes des lois françaises, le duc de Sully avait compétence pour juger au criminel en pays de chrétienté un de ses nationaux, il nous est difficile d'admettre que, dans l'espèce, le gouvernement anglais fùt fondé en droit à remettre la peine prononcée; à notre avis, il eut mieux agi en refusant simplement son concours pour l'exécution de la sen

tence.

§ 1545. Dans l'ancienne république de Venise, un ambassadeur d'Espagne condamna à mort un de ses domestiques, qu'il fit pendre à une fenêtre de son palais.

Un autre ambassadeur français à Londres en agit de même à l'égard d'un des siens qui s'était rendu coupable du crime de viol.

§ 16; Martens, Guide, § 25; Martens, Précis, §§ 235, 237; Klüber, Droit, §§ 188, 189; Heffter, § 216; Garden, Traité, t. II, pp. 22, 23; Bello, pte. 3, cap. 1, §3; Horne, sect. 4, §§ 36, 37; Dudley-Field, Projet de Code, p. 56, § 144.

§ 1546. Vers la fin du dix-huitième siècle, un des domestiques de M. de Thou, ambassadeur français en Hollande, fut arrêté par une patrouille du pays pour attentat aux mœurs, puis enfermé dans un corps de garde. L'ambassadeur français réclama aussitôt la remise du coupable, celui-ci lui ayant été livré, il le jugea et prononça contre lui les peines édictées par les lois de son pays.

§ 1547. Ce droit de juridiction criminelle revendiqué et exercé dans les temps anciens par certains agents diplomatiques a été longuement et savamment débattu par les publicistes. La majorité des auteurs a contesté l'existence de ce prétendu droit, et blâmé comme un excès abusif ces sentences de mort prononcées et exécutées dans l'intérieur des légations étrangères. Quant à nous, nous considérons comme une nécessité découlant de la situation même des agents revêtus d'un caractère représentatif que leur personnel jouisse de la même immunité qu'eux-mêmes, ne puisse, sous aucun prétexte, être troublé dans le libre exercice de ses fonctions et ne soit par conséquent justiciable que des lois et des tribunaux de son pays; mais nous ne saurions admettre qu'un ministre public s'érige en haut justicier sur le territoire même où il remplit son mandat, prononce des sentences criminelles et porte ainsi la plus flagrante atteinte à l'indépendance souveraine du gouvernement près lequel il est accrédité.

Dans les sociétés modernes, le droit de juridiction tant au civil qu'au criminel ne fait pas intrinsèquement partie des attributions diplomatiques (1); l'usage consacré veut qu'en cas de crime ou de délit imputable à une des personnes placées sous sa dépendance le chef d'une légation renvoie aussitôt le coupable dans son pays pour y être jugé. C'est même pour prévenir tout doute, toute difficulté à cet égard que chez la plupart des nations des lois civiles ou la coutume exigent que tout chef de mission remette une liste exacte de son personnel au ministre des relations extérieures du gouvernement près lequel il est accrédité. Cette formalité a entre autres effets celui de soumettre les personnes de la suite du ministre à son contrôle et à sa surveillance, de sorte qu'elles ne puissent vivre dans un état d'indépendance absolue et avoir la liberté de se livrer sans crainte à toute espèce de désordres *.

(1) On peut faire une exception pour la Turquie et les Etats barbaresques, ou les représentants des puissances européennes jouissent d'une juridiction très étendue, notamment en matière pénale et particulièrement sur les gens de leur suite.

* Vattel, Le droit, liv. IV, § 124; Bynkershoek, De foro, cap. xv et seq.; Martens, Guide, § 33; Martens, Précis, § 219; Villefort, Privilèges, pp. 25

Affaire du domestique de l'ambassade française en

Hollande,conambassadeur.

damné par son

Opinion des publicistes

sur le droit criminelle des

de juridiction

agents diplo

matiques."

Juridiction gracieuse.

§ 1548. La juridiction accordée au ministre public à l'égard de sa suite est celle qu'on désigne sous le nom de volontaire ou gracieuse. Ainsi il peut recevoir des testaments, légaliser les contrats et les actes de l'état civil, faire apposer les scellés, etc. Le ministre public peut également exercer cette juridiction gracieuse par rapport aux sujets de son gouvernement dans le pays où il réside; mais alors il faut qu'il ait reçu un mandat spécial.

Toutefois, le gouvernement près lequel le ministre est accrédité n'est pas plus obligé de reconnaître ces actes comme valables qu'il ne l'est de reconnaître tous autres actes émanant des autorités de l'Etat que représente le ministre; ces actes de juridiction gracieuse ne peuvent avoir de valeur auprès des tribunaux locaux que dans les limites prévues par des traités ou consacrées par les règles générales sur les contrats faits en pays étranger; le gouvernement territorial peut n'en pas admettre la validité toutes les fois que le litige est regardé par lui comme étant du ressort de ses tribunaux.

Dans aucun cas, les ministres étrangers n'ont le droit de statuer sur des contestations entre leurs nationaux ni même entre les personnes de leur suite.

Faculté de § 1549. Une autre faculté encore laissée au ministre public est délivrer des celle de délivrer des passeports à ses nationaux ou aux étrangers

passeports.

qui veulent se rendre dans le pays qu'il représente; mais, dans ce dernier cas, le ministre doit se mettre d'accord avec les autorités du pays auquel le sujet appartient *.

et seq.; Wheaton, Elém., pte. 3, ch. 1, § 16; Phillimore, Com., v. II, §§ 186 et seq.; Heffter, § 216; Klüber, Droit, §§ 212 et seq.; Rutherforth, Inst., b. 2, ch. IX, § 20; Halleck, ch. Ix, § 20; Westlake, § 133; Wildman, v. I, ch. III; Twiss, Peace, § 202; Fiore, t. II, pp. 593 et seq.; Garden, Traité, t. II, p. 171; Rayneval, Inst., liv. II, ch. xiv; Burlamaqui, Droit de la nat., t. V, pte. 4, ch. xv; Bello, pte. 3, cap. 1, § 3; Horne, sect. 3, § 26; Moser, Versuch, t. IV, p. 424; Vergé, Précis de Martens, t. II, pp. 124 et seq., 156; Pinheiro Ferreira, Précis de Martens, § 219.

* Martens, Guide, § 51; Martens, Précis, § 219; Wheaton, Elém., pte. 3, ch. 1, § 16; Heffter, § 216; Garden, Trailé, t. II, p. 169; Fiore, t. II, p. 579; Bello, pte. 3, cap. 1, § 3; Horne, sect., 3, § 25; Pinheiro Ferreira, Précis de Martens, § 219; Pradier-Fodéré, Vattel, t. III, p. 326; Hall, Int. law, p. 152; Dudley-Field, Projet de Code, p. 49, § 123.

SECTION III.

BATIMENTS DE GUERRE

ET ARMÉES ÉTRANGÈRES

Base du privilège d'exterritorialité des bâtiments

§ 1550. Les bâtiments de guerre sont regardés comme une partie du territoire de la nation dont ils portent le pavillon; par conséquent, lors même qu'ils sont mouillés dans un port étranger, de guerre." l'équipage et en général toutes les personnes qui se trouvent à leur bord sont censés fouler le sol de leur patrie. D'un autre côté, ces bâtiments étant armés par le gouvernement d'un Etat indépendant, leurs commandants, leurs officiers et leurs équipages sont de véritables fonctionnaires de ce même Etat, des délégués ou des agents d'une force publique étrangère; il s'ensuit naturellement que les navires de guerre, comme propriété d'un gouvernement, ont droit à l'indépendance et au respect dù au pouvoir souverain dont ils sont les représentants armés.

Nous ferons observer ici, avec le commentateur de Wheaton, M. Dana, que les immunités dont jouissent les navires de guerre dépendent plutôt de leur caractère public que de leur caractère militaire. Elles sont accordées non au navire de guerre, mais au navire national, revêtu comme tel d'un certain caractère de souveraineté.

A ce point de vue, on peut donc assimiler en quelque sorte le commandant d'un bâtiment de guerre à un agent diplomatique accrédité auprès d'une cour étrangère, l'état-major et l'équipage placés sous ses ordres au personnel officiel et non officiel d'une mission, enfin le navire lui-même à l'hôtel d'une ambassade ou d'une légation.

De cette assimilation, qu'un usage universel a d'ailleurs consacrée en fait, il résulte, comme première conséquence, que tout bâtiment de la marine militaire, et l'ensemble du personnel qu'il renferme, sont couverts par la fiction de l'exterritorialité avec toutes les prérogatives et les immunités qui s'y rattachent.

La seconde conséquence à en déduire, c'est qu'aucune autorité autre que celle du gouvernement auquel il appartient n'a le droit de s'immiscer dans ce qui se passe à bord d'un navire de guerre *.

* Ortolan, Règles, t. I, pp. 186 et seq.; Phillimore, Com., v. I, § 341 ; Vattel, Le droit, liv. I, ch. XIX, § 216; Klüber, Droit, § 55; Lampredi, Du

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