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un sujet de contestation entre eux, s'accordent préalablement à en déférer la décision à un tribunal étranger, formé d'après le mode convenu par leur accord même et au jugement duquel ils s'engagent à se conformer. Il est nécessaire, en outre, que les personnes ou les Etats choisis pour former ce tribunal donnent leur consentement à en faire partie, à procéder à l'instruction du litige et à rendre jugement.

Aussi, avant de recourir à l'arbitrage, et pour mieux assurer le but définitif que l'on poursuit, est-il d'usage que les parties en présence signent ce que, en langage de droit, on appelle un compromis, c'est-à-dire une convention spéciale, précisant nettement la question à débattre, exposant l'ensemble des points de fait ou de droit qui s'y rattachent, traçant les limites du rôle dévolu à l'arbitre et, sauf les cas d'erreur matérielle ou d'injustice flagrante, impliquant l'engagement de se soumettre de bonne foi à la décision qui pourra intervenir.

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Quelquefois le compromis, qui prend la forme d'un traité, comme dans le litige relatif aux « réclamations de l'Alabama », entre les États-Unis et l'Angleterre, -contient des dispositions réglementaires pour les arbitres, pose certains principes déterminés comme devant servir de règles à leur décision: telles les trois règles prescrites dans le traité de Washington du 8 mai 1871. En vain objecterait-on qu'une pareille prescription porte atteinte à la liberté d'action de l'arbitre, auquel elle semble imposer d'avance la décision qu'il doit prendre; loin de là, elle ne comporte ni n'affecte en aucune façon la décision du litige, restée entière à la discrétion impartiale de l'arbitre qu'elle se borne à guider, à éclairer sur le point positif à régler. Que les limites prescrites par le compromis au rôle de l'arbitre ne lui enlèvent rien de sa liberté de décision, cela est si vrai que, par ce même acte, les parties s'engagent à se soumettre à sa sentence, à la reconnaître comme obligatoire absolument et sans recours; et le plus souvent, cet engagement fait le texte d'une clause expresse insérée dans le compromis ou la convention, clause d'ailleurs superflue et juridiquement de nul effet, car l'effet direct de la sentence arbitrale est généralement admis dans le droit actuel.

Quelquefois aussi le jugement des arbitres peut être limité à la définition des faits et à l'étendue de la responsabilité qui en découle. Par exemple, une puissance se reconnaît tenue d'en indemniser une autre; mais, dans son opinion, sa responsabilité a des bornes plus étroites que celles que lui assigne la nation récla

Arbitratio (arbitration) et arbitrium (arbitrage).

mante. Le cas inverse peut aussi se présenter, c'est-à-dire que, dans le compromis, les faits soient admis d'une façon uniforme par les parties, mais que le droit soit contesté, comme dans le cas où un État récuse l'obligation d'indemniser son adversaire, tout en admettant l'existence de faits qui servent de base à la réclamation d'une indemnité.

Dans tous les cas où le tribunal arbitral entretient des doutes sur l'étendue du compromis, il doit l'interpréter dans son sens le plus large.

Lorsqu'une des parties soutient que l'autre s'est désistée avant le compromis, d'une portion de ses prétentions primitives, le tribunal doit requérir la preuve de cette allégation.

Lorsque l'un des contestants prétend que tout ou partie des demandes de l'autre ne rentre pas dans les termes du compromis, cette prétention doit être produite devant les arbitres, au début de la cause, comme exception d'incompétence, et il appartient aux arbitres d'en connaître.

La partie qui soulève ainsi devant les arbitres une exception d'incompétence a le droit d'y ajouter des réserves formelles de nullité totale ou partielle de la sentence à intervenir pour le cas où l'exception serait rejetée par les arbitres. A défaut de présenter de pareilles réserves, la partie qui soulève l'exception est censée avoir accepté d'avance la décision arbitrale comme définitive et sans appel.

§ 1758. Ces exemples nous amènent à signaler ici une distinction que plusieurs publicistes établissent entre ce qu'ils appellent Définitions. arbitration (arbitratio) et l'arbitrage (arbitrium) proprement dit.

Opinion des publicistes: Heffter.

Bluntschli.

Selon Heffter, «<le compromis a tantôt pour objet l'exécution d'une mesure antérieurement arrêtée entre les parties, telle qu'une délimitation ou un partage d'après certaines règles proportionnelles » : c'est ce qu'il qualifie d'arbitratio; « tantôt le compromis a pour but la décision d'une affaire au fond suivant les principes de l'équité et de la justice» c'est là sans doute ce qui, à ses yeux, constitue l'arbitrium.

Bluntschli est plus clair, plus explicite :

« Si les deux parties, dit-il, sont d'accord sur la question de droit, mais que les faits soient contestés, on parle d'arbitratio. Exemple une des puissances reconnaît qu'elle est tenue de payer des dédommagements; mais la contestation porte sur l'étendue du dommage causé; les arbitres seront en ce cas de simples experts. » Telle a été à peu près la position des arbitres qui ont été nommés à

l'effet de régler la question d'indemnités pour dommages de guerre pendante entre les Etats-Unis et la France, que nous mentionnons plus haut.

« Si, par contre, le droit lui-même est litigieux et si, pour suivre notre exemple, on conteste jusqu'à l'obligation de payer, de dédommager, il y a arbitrium proprement dit. »

Le docteur Goldschmidt explique ainsi la différence entre la tâche Goldschmidt. de l'arbitre (arbiter) et celle de l'arbitrateur (arbitrator) :

« L'arbitre doit toujours décider une contestation entre les parties. Si, par exemple, on n'est pas d'accord sur la question de savoir quelle convention est intervenue entre les parties, ou quelles obligations découlent de la convention, les deux parties affirment qu'un certain contenu du traité a été voulu en commun; mais chacune d'elles affirme un contenu différent; en tant que la concordance des volontés n'est pas clairement établie, chaque partie se réfère à une règle juridique qui lui est favorable : par exemple, quant au temps ou au lieu de l'accomplissement de l'obligation, quant à la monnaie dans laquelle le paiement doit être fait, etc.

« L'arbitrateur doit, par son prononcé, fixer un point que les parties n'ont pas fixé, mais ont laissé ouvert, soit au moment de la conclusion, soit au moment de l'exécution de la convention, et cela à dessein et dans l'intention de le faire fixer plus tard par un tiers : ainsi le montant du prix d'achat, de parts sociales, d'un droit d'emmagasinage, la solvabilité d'une caution, l'étendue d'un dommage, la qualité et la quantité de marchandises livrées, etc. L'arbitrateur doit compléter la fixation que les contractants ont laissée incomplète, en leur lieu et place et en entrant, pour ainsi dire dans leur esprit. >>

Mais la différence capitale entre l'arbitration et l'arbitrage consiste en ce que « la sentence de l'arbitre est obligatoire absolument, tandis que la déclaration de l'arbitrateur est soumise au contrôle du juge et peut être modifiée par lui comme contraire à l'équité ».

Cette distinction est

sans portée dans les diffé

nationaux.

§ 1759. Qu'il nous soit permis de faire observer que cette distinction, qui nous paraît d'ailleurs plus spécieuse que profonde, pcut assurément avoir de la valeur dans les démêlés entre particu- rends interliers, tels que ceux que mentionne le docteur Goldschmidt; mais elle devient à peu près sans portée dans les différends internationaux, surtout après qu'un compromis ou une convention préliminaire a réglé le terrain, les limites et le mode de l'arbitrage, et lié les parties qui y ont recours,

Choix

des arbitres.

Opinion des publicistes:

§ 1760. Les parties ont le droit de choisir librement celui ou ceux auxquels elles veulent confier les fonctions d'arbitre, car on peut appeler un seul arbitre ou plusieurs.

Parfois le compromis désigne la personne de l'arbitre ou des arbitres, ou prescrit tout au moins le mode de leur élection.

Les exemples d'arbitrage que nous avons mentionnés nous montrent les usages qui ont le plus généralement prévalu pour le choix des arbitres. Aucune prescription de droit n'exige que les États souverains soient jugés par leurs pairs, c'est-à-dire par d'autres Etats souverains, agissant par leurs autorités exécutives suprêmes. Le règlement des différends internationaux peut être aussi bien déféré à des princes ou à des gouvernements souverains qu'à de simples particuliers, publicistes, jurisconsultes ou autres. Ces derniers, recevant une marque personnelle de la confiance qu'inspirent leurs lumières et leur intégrité, ne peuvent jamais déléguer leur mandat; les premiers, au contraire, ont coutume de procéder dans la forme administrative et de n'intervenir directement que pour sanctionner par leur signature la sentence définitive, dont ils ont confié à d'autres le soin d'élaborer les bases.

§ 1761. Le choix de souverains comme arbitres soulève quelques Pierantoni, objections de la part de plusieurs publicistes.

Lieber.

M. Pierantoni fait observer que dans les gouvernements représentatifs, le chef de l'État ne compte point parmi ses prérogatives la faculté de nommer le ou les arbitres, laquelle, suivant les principes constitutionnels de l'impersonnalité royale et de la responsabilité ministérielle, appartient au ministre de la justice ou à celui des affaires étrangères; de plus, le pouvoir exécutif ne saurait, sans une disposition expresse de la loi, étendre à ce genre d'office la prérogative de nommer des agents diplomatiques. « La controverse mérite d'être étudiée, dit le savant professeur italien; car si la confiance que les puissances parties à l'arbitrage mettent dans le représentant de l'État à l'étranger atteste l'estime dans laquelle est tenue la nation ainsi que son souverain, elle ne manque pas de créer une responsabilité morale, qui exerce quelque influence sur les relations internationales. >>

M. Francis Lieber voit également des inconvénients au choix de monarques comme arbitres. D'abord il peut arriver que les parties ne réussissent point à s'entendre sur le choix d'un souverain ou d'un gouvernement qui leur agrée à toutes les deux. Ensuite le choix d'un monarque comme arbitre présente cette bizarrerie que << le seul personnage publiquement connu comme juge est précisé

ment le seul qui, dans le cours ordinaire des choses, ne s'occupe pas lui-même de la question en litige, qui ne peut le faire et de qui personne n'attend qu'il le fasse ». En effet, «< lorsqu'une difficulté internationale est déférée à un monarque, ou même au suprême rc-présentant d'une république, c'est-à-dire aujourd'hui au chef du pouvoir exécutif, l'affaire est renvoyée au ministre de la justice ou à quelque haut fonctionnaire du même ordre; celui-ci charge un conseiller ou un autre employé, parfois une commission, de lui présenter un rapport, qu'il soumet à l'arbitre nominal. Ceux qui décident réellement demeurent inconnus, ou du moins ils n'assument ni nc sentent aucune responsabilité publique et finale. Dans bien des cas de cette espèce, il y a un grave danger comme sérieuse inconséquence à soumettre les plus hautes questions de droit et d'équité à un pouvoir exécutif et non à une autorité renommée pour sa science juridique et directement responsable ».

Au choix d'un souverain ou même d'un particulier, qui trop souvent serait porté à refuser de remplir l'office de juge international, M. Lieber préférerait celui de la faculté de droit de quelque université étrangère ou d'un « tribunal formé de jurisconsultes à qui leurs vastes connaissances et leur fidélité inébranlable à la justice et à la vérité juridique auraient valu une réputation universelle ».

M. Bluntschli prévoit d'abord le cas où le conflit serait de nature politique ou bien où les intérêts de l'État désigné comme arbitre seraient les mêmes que ceux de l'une des parties, et il objecte qu'on risquerait alors que le souverain ne se laissât influencer par certains intérêts personnels. Admettant ensuite qu'il n'y ait pas d'intérêts politiques en jeu, il reconnaît que dans ce cas on n'a pas à craindre de partialité chez l'arbitre; mais, à ses yeux, << les personnes inconnues que le souverain charge de préparer le jugement offrent peu de garanties, puisqu'elles ne sont pas responsables ».

Bluntschli.

Le comte Kamarowsky voudrait, comme Bluntschli, voir les sou- Kamiarowsky. verains et les personnes qu'ils chargent de préparer le jugement arbitral, remplacés par une liste de jurés ayant les connaissances nécessaires en droit international. Mais dans leur nomination, il faudrait se guider non sur l'étendue des États, mais sur le principe de l'égalité. Chacun des États reconnu membre de l'Union internationale, nommerait un membre égal de juges.

M. Pays partage en somme cet avis, mais, d'après lui, il faudrait que, pour le nombre des juges à élire il fût tenu compte

Pays.

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