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Opinion de l'auteur.

1860. Différend

guay et l'Angleterre.

Affaire Canstatt.

du commerce extérieur, du budget et de la population. Les représentants des petits États, vu leur nombre, établiraient un contrepoids aux grandes puissances dans la majorité du tribunal.

§ 1762. Les objections de M. Bluntschli nous semblent porter moins sur des réalités que sur de simples et rares éventualités; en effet, la sagacité naturelle des nations qui invoquent l'arbitrage et la prudence la plus élémentaire ne suffisent-elles pas pour les garantir de choix tels que ceux qu'il appréhende? Quant aux personnes que le souverain choisi pour arbitre, charge de préparer la sentence, ce ne sont pas ordinairement des personnes inconnues, mais de hauts fonctionnaires ou des hommes distingués par leur caractère, leur savoir ou leur compétence spéciale, et qui ont tout intérêt à ne pas compromettre leur position ou leur réputation par une négligence sans profit.

L'objection de M. Pierantoni nous paraît mieux fondée; car on ne saurait contester d'une façon absolue que, bien que telle n'ait pas été jusqu'ici la conséquence des sentences arbitrales rendues par des souverains ou chefs d'Etat, le fait seul de la perte de sa cause ne puisse engendrer chez la nation au désavantage de laquelle le verdict se prononce, un certain levain de ressentiment ou de mécontentement contre le souverain qui a rendu ce verdict et partant contre la nation elle-même.

La solution suggérée par M. Lieber, qui ne serait que le renouvellement d'un usage suivi, comme nous l'avons indiqué, longtemps au moyen-âge, obvierait à la fois aux dangers, aux craintes signalés par les deux autres publicistes.

§ 1763. C'était ce mode de procéder qu'avait suggéré l'agent du entre le Para- Paraguay chargé de régler le différend survenu entre cette république et l'Angleterre en 1860 au sujet de l'affaire Canstatt (voir t. II, liv. xv, § 1270), lorsqu'il proposa de soumettre le différend à l'examen des avocats de la couronne, dont il consentait d'avance à accepter la décision, proposition à laquelle il ne fut pas donné suite à cause du refus du gouvernement anglais.

1879. Arbitrage

§ 1764. Un nouvel exemple vient d'en être donné par la Répuentre le Nica- blique du Nicaragua dans les circonstances suivantes :

ragua et la France.

Dans le courant de novembre 1874, plusieurs caisses d'armes furent confisquées par les autorités du Nicaragua à bord du navire français le Phare dans le port de Corinto. Le capitaine, M. Alard, protesta contre cette saisie comme contraire au droit des gens et au traité de commerce d'amitié existant avec la France; et le gouvernement français crut devoir intervenir pour appuyer ses réclama

tions. Des pourparlers diplomatiques prolongés n'ayant pu amener une entente, le gouvernement du Nicaragua a proposé de soumettre le différend à l'arbitrage de la Cour de cassation à Paris, qui, après l'acquiescement du gouvernement français, a consenti à se charger de ce mandat.

Aux termes d'un compromis signé à Paris le 15 octobre 1879 par le ministre des affaires étrangères de la République Française et le général Fernando Guzman, ministre plénipotentiaire du Nicaragua, « la cour aura tout pouvoir pour apprécier l'ensemble des faits qui ont motivé la réclamation et qui, d'après le gouvernement français, cngagent la responsabilité de la République du Nicaragua; elle aura également tout pouvoir, dans le cas où le Nicaragua serait déclaré responsable, pour fixer l'indemnité qui devra être payée au capitaine Alard. Les deux gouvernements s'engagent à faire toutes les diligences nécessaires pour entamer aussitôt que possible la procédure et pour assurer ensuite l'exécution de la sentence arbitrale qui interviendra et constituera une décision souveraine et sans recours ».

Voici comment la Cour de cassation française a tranché ce litige: Tout d'abord elle a écarté l'exception de chose jugée; puis, se fondant sur ce que la saisie des armes, chargées sur le navire le Phare, ne pouvait s'expliquer que comme mesure de sécurité publique, elle a décidé que cette mesure laissait le gouvernement nicaraguais responsable du dommage matériel causé au capitaine Allard.

En conséquence, la cour, s'arrêtant uniquement à la valeur des engins de guerre confisqués, a fixé le total de l'indemnité due à 40,320 francs avec intérêts à 12 0/0 à dater de la saisie, pour tous dommages-intérêts.

d'arbitres.

§ 1765. Il peut se faire aussi que le souverain d'un Etat que l'on Autres choix choisit comme arbitre soit mineur ou du sexe féminin: le choix, en pareil cas, a pour but de rendre hommage à l'État plutôt qu'à la personne même du souverain; d'ailleurs il est fait en pleine connaissance de la situation de l'arbitre. Il est donc admis en droit international que les chefs d'État sont réputés capables de rendre une sentence arbitrale, quels que soient leur sexe ou leur âge leur mode de procéder à l'arbitrage, que nous avons indiqué plus haut, explique et justifie cette pratique.

Le choix d'arbitre ou d'arbitres peut encore tomber sur une autorité civile ou ccclésiastique, telle qu'une commune, un corps législatif, un tribunal, un chapitre religieux, etc., sur une corporation

Nomination d'un sur-arbitre.

telle qu'une société savante, une faculté de droit, etc. Dans ces cas, il n'y a pas autant d'arbitres que la corporation compte de membres; elle est considérée dans son ensemble comme formant un seul et même arbitre.

Le plus fréquemment, l'arbitrage est confié au chef ou à des particuliers d'une tierce nation; cela n'empêche pas qu'il puisse l'être à des sujets ou citoyens de l'un ou de l'autre des Etats contes

tants.

§ 1766. Si les parties ne peuvent s'accorder sur le choix des arbitres, chacune d'elles en choisira un nombre égal, et comme alors l'éventualité peut se présenter qu'il y ait partage égal de voix des arbitres sur la sentence à prononcer, il est opportun de nommer un sur-arbitre, ayant vote prépondérant, qu'elles désignent ellesmêmes ou dont elles remettent le choix à un tiers.

La nomination d'un sur-arbitre n'a pas toujours pour objet unique d'obtenir une majorité dans le cas où les arbitres viendraient à se diviser en deux camps égaux; elle peut avoir pour but de donner au tribunal arbitral un président chargé de diriger les discussions et d'imprimer plus d'unité à la procédure.

Souvent aussi le choix du tribunal arbitral tout entier, qu'il se compose d'une ou de plusieurs personnes, est, aussi bien que le choix d'un sur-arbitre, confié dès le principe à un tiers ou à plusieurs. La désignation de ce tiers, chargé de composer le tribunal arbitral indépendamment de la volonté des parties selon des règles convenues d'autre part, suffit pour la validité du compromis.

C'est la méthode qu'ont adoptée les Etats-Unis et l'Angleterre pour la formation du tribunal arbitral de Genève appelé à juger les << réclamations de l'Alabama »: sur cinq arbitres deux avaient été nommés directement par les parties, et les trois autres par les chefs d'Etats neutres.

Quant à la nomination du sur-arbitre, les Etats-Unis nous en fournissent un exemple dans leur traité conclu avec le Vénézuéla en 1866, aux termes duquel les différends réciproques devaient être soumis à l'arbitrage : les deux arbitres choisis par les parties devaient nommer le sur-arbitre, et s'ils ne s'accordaient pas, le choix devait être dévolu au représentant de la Suisse ou à celui de la Russie à Washington.

Nous trouvons une autre combinaison dans la convention intervenue le 4 juillet 1868 entre les Etats-Unis et le Mexique, préliminaire à un règlement par arbitrage de réclamations réciproques d'indemnités. Les deux arbitres choisis par les parties devaient

nommer le sur-arbitre; et s'ils ne tombaient pas d'accord, chacun devait en nommer un, et dans chaque cas litigieux le sort devait décider lequel de ces deux sur-arbitres fonctionnerait.

Siège du tribunal arbi

§ 1767. Reste encore un point à signaler pour l'organisation finale du tribunal arbitral, surtout lorsqu'il comprend un certain tral. nombre de membres : c'est le choix de l'endroit où il doit siéger, formalité subsidiaire, mais de quelque importance au point de vue de la possibilité d'une décision impartiale, à l'abri de toute influence. Ce choix est fixé ordinairement dans le compromis ou par convention ultérieure entre les parties.

Mode de

procéder des

§ 1768. Les arbitres, une fois nommés, forment, bien qu'ils ne tiennent leurs pouvoirs que des parties, un corps indépendant, un arbitres. véritable tribunal judiciaire. Ils ont le droit d'interpréter le compromis préalable intervenu entre les parties et par conséquent de prononcer sur leur propre compétence. Quand le compromis n'a rien prévu à ce sujet, le tribunal arbitral établit lui-même la procédure à suivre, les formes et les délais de la production des demandes des parties et des pièces à l'appui, de l'accomplissement des enquêtes nécessaires, en appliquant autant que possible les règles de la procédure ordinaire: tantôt il admet les agents des parties à comparaître pour fournir des explications de vive voix et défendre les intérêts de leurs gouvernements; tantôt il se contente de la présentation de mémoires et de témoignages.

A défaut d'obligations nettement tracées dans l'acte de compromis, les arbitres pour l'exécution de leur mandat se guident d'après les règles tracées par le droit civil. Ainsi ils ne peuvent procéder séparément; ils doivent discuter et délibérer en commun, décider à la majorité; en cas de partage égal des voix, le sur-arbitre, s'il y en a un de nommé, a le vote prépondérant; et s'il n'y en a point, il y a lieu d'en nommer un; le choix, quand un accord préalable n'existe pas dans le sens contraire, appartient de plein droit aux parties, le droit international moderne n'admettant pas, même tacitement, le principe du droit romain qui autorisait les arbitres élus à nommer un tiers arbitre. Si les parties ne peuvent se mettre d'accord sur le choix de ce sur-arbitre, il ne saurait, en raison de l'équipollence des votes opposés, y avoir de décision, et l'arbitrage demeure sans effet.

Les arbitres constitués ont seuls le droit de prononcer, sauf toutefois le cas où un souverain ou chef d'Etat a été choisi pour arbitre. La faculté que l'usage accorde dans ce cas aux chefs d'Etat de faire prononcer la sentence par un tribunal de leur pays ou par des commissaires, est un inconvénient inévitable; mais ce n'est

Propositions amiables.

Fin de l'arbitrage.

pas, au point de vue juridique, une exception à la règle, par la raison qu'en droit, la sentence du tribunal ou du commissaire est rendue comme sentence du chef d'Etat au nom duquel elle est prononcée.

Lorsque le tribunal arbitral se compose de plusieurs membres, certains publicistes sont d'avis que l'absence d'un seul empêche toute délibération et toute décision valables, lors même que les autres arbitres seraient d'accord et formeraient la majorité, par la raison que l'absent aurait pu, par l'exposé de son opinion, modifier celle des autres. Cependant sir Robert Phillimore prétend que, si l'absence de l'un d'eux est le fait d'un parti pris ou d'une intrigue, les autres arbitres ont la faculté de continuer les procédures. Pour nous, nous pensons qu'en pareil cas, la preuve étant faite du mauvais vouloir de l'absent, il y aurait lieu de pourvoir à son remplacement, sinon de dissoudre le tribunal arbitral, comme on le ferait, si l'un des arbitres venait à mourir, à moins de dispositions spéciales prises dans le compromis originel en vue de telles éventualités.

En règle générale, les arbitres, pour prononcer leur sentence, doivent se conformer aux principes du droit international existant, en appliquant aux points internationaux en litige le droit international tel qu'il est établi entre les parties par les traités ou la coutume, et en seconde ligne, le droit international général; et aux points en litige d'une autre nature, de droit public ou de droit privé, le droit national qui paraît applicable d'après les préceptes du droit international. Nous devons faire remarquer que dans les questions de limites et de territoire, comme au surplus dans toutes les matières qui sont du domaine du droit des gens, le jus in re domine absolument, entraîne toujours et dans tous les cas le jus ad rem; les arbitres n'ont donc aucun compte à tenir de la possession, de la détention matérielle, si ce n'est dans la mesure où, par l'appréciation des circonstances qui l'ont amenée, elle peut servir à dégager la question de droit et de propriété.

§ 1769. Le tribunal arbitral peut, avant de rendre sa sentence et lorsqu'il le croit utile, faire aux parties des propositions équitables dans le but d'arriver à une transaction. En ce faisant, il n'outrepasse pas sa compétence; mais il est bien entendu qu'il agit en dehors de ses fonctions proprement dites, les transactions rentrant dans le domaine des solutions libres, amiables, tandis que les arbitrages ont un caractère essentiellement judiciaire. Si les parties repoussent ces propositions, le tribunal doit se prononcer sur la contestation soumise à son jugement, en faisant application des principes de droit. § 1770. L'arbitrage prend fin soit à l'expiration du délai stipulé

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