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dans le compromis, soit par le décès ou l'empêchement de l'arbitre ou d'un des arbitres, quand il y en a plusieurs, soit par la conclusion entre les parties en cause d'un arrangement direct, soit enfin par le prononcé de la sentence.

§ 1771. Le jugement doit être rendu à la majorité des voix; s'il n'y avait pas de majorité, il n'y aurait pas de décision valable, et l'arbitrage demeurerait sans résultat; c'est ce à quoi l'on obvie, lorsque les voix sont également divisées, par la nomination d'un sur-arbitre ayant vote prépondérant et faisant pencher la balance du côté où il se range.

Maintenant, pour rendre la sentence définitive, une majorité relative suffit-elle, ou faut-il la majorité absolue, y compris ou non le vote prépondérant d'un sur-arbitre? C'est un point, selon nous, qui peut être prévu et réglé d'avance par le compromis, ou, s'il ne l'a été ainsi, résolu par les arbitres eux-mêmes; la majorité, quelle qu'elle soit, du moment qu'elle est formée, lie le tribunal tout entier et revêt la sentence qu'il prononce de son caractère obligatoire pour les parties, dont l'acte même de la soumission à l'arbitrage a créé la juridiction sur elles-mêmes.

Toutefois, quoique la sentence soit sans appel, les arbitres ne peuvent disposer d'aucun moyen pour contraindre les parties à s'y conformer; car il ne leur appartient pas d'ajouter à la sentence une clause pénale en cas de non-exécution.

§ 1772. On sait aussi que, comme dans le droit national de la plupart des pays, chaque fois que l'Etat, dans un procès avec un particulier, est condamné à certaines prestations, il faut une loi et un acte du pouvoir exécutif pour donner en fait efficacité au jugement; de même une sentence arbitrale ne peut devenir exécutoire que moyennant le concours formel du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif de l'Etat contre lequel la sentence a décidé. Alors le cas peut se présenter où ces deux pouvoirs refusent d'exécuter la sentence; dans ce cas, quel sera le devoir de l'Etat intéressé? Il n'y a pas lieu d'hésiter à répondre que ce non-accomplissement d'une formalité, qui lui est toute personnelle après tout, ne saurait le dégager à l'égard de l'autre partie envers laquelle il a contracté des obligations par le fait même de la soumission à l'arbitrage, et encore moins se soustraire aux conséquences de ce mode de règlement, c'est-à-dire aux prescriptions de la sentence rendue contre lui. La décision des arbitres a pour les parties les effets d'une transaction régulière; elle les oblige par les mêmes raisons et aux mêmes conditions que les traités; elles sont tenues de l'exécuter

Majorité néle jugement.

cessaire pour

Exécution du jugement.

Opinion de Bancroft Da

vis.

RolinJaequemyns.

comme elles feraient d'un traité par lequel elles régleraient leurs droits respectifs comme l'ont fait les arbitres.

§ 1773. Bien plus, la décision d'un tribunal international, dans la sphère de son autorité, ainsi que M. Bancroft Davis, dans ses Notes sur les Traités des États-Unis, le fait ressortir de la pratique constante des Etats, est concluante et définitive sans être susceptible d'un nouvel examen. Ce n'est donc pas, à proprement parler, une approbation, une ratification du jugement arbitral que le gouvernement de l'Etat condamné a à demander à son pouvoir législatif, mais plutôt, voire même uniquement, le vote des moyens d'accomplir les engagements que ce jugement lui impose; quant au pouvoir exécutif, sa tâche se borne à l'emploi de ces moyens dans le sens prescrit par le jugement.

Ce qui s'est passé au Parlement anglais à l'occasion de la sentence arbitrale rendue contre l'Angleterre dans son différend avec les Etats-Unis au sujet des « réclamations de l'Alabama » nous édifie suffisamment sur ce point. On sait que le membre du tribunal arbitral de Genève choisi par la reine d'Angleterre, sir Alexander Cockburn, refusa de signer la décision rendue par ses collègues le 14 septembre 1872, pour des raisons de dissentiment qu'il a exposées dans un document déposé sur le bureau du tribunal au moment du prononcé du jugement. Or, comme le fait observer M. Rolin-Jaequemyns, « pour quiconque est au courant de l'opinion publique anglaise, il ne saurait être douteux que l'opinion négative de Sir Alexander Cockburn n'exprimât le sentiment de la majorité du Parlement et du peuple anglais ». Cependant, dans les débats parlementaires dont la sentence de Genève fut l'objet, il ne fut pas fait la moindre allusion au droit qu'aurait eu l'Angleterre d'en refuser l'exécution. Plusieurs orateurs, il est vrai, critiquerent la conduite du gouvernement et les termes du compromis par lequel une pareille responsabilité avait pu être encourue; mais personne n'émit la pensée qu'on eût le droit de se soustraire à cette responsabilité. Les discussions portèrent exclusivement sur la diplomatie gouvernementale, mais nullement sur la valeur en droit ou en fait du jugement arbitral. En présence des critiques sur l'arrêt du tribunal de Genève, Sir Alexander Cockburn avait néanmoins exprimé l'espoir « que le peuple anglais l'accepterait avec la soumission et le respect qu'il devait à la décision d'un tribunal dont il avait consenti librement à accepter l'arrêt ». C'est ce qui eut lieu en effet le paiement de l'indemnité fut voté sans division par la chambre des Communes, et deux mois après, la reine, en pronon

:

çant la clôture de la session, remercia la chambre de la libéralité avec laquelle elle l'avait mise à même de satisfaire aux obligations qui lui avaient été imposées par la sentence arbitrale de Genève. § 1774. De ce que la sentence arbitrale est obligatoire sans appel, il ne faudrait pas tirer la conséquence absolue que les parties ne peuvent la combattre ; il est, au contraire, certains cas dans lesquels elles sont pleinement autorisées à refuser de l'accepter et de l'exécuter. Ces cas peuvent se résumer ainsi ;

1° Si la sentence a été prononcée sans que les arbitres y aient été suffisamment autorisés, ou lorsqu'elle a statué en dehors ou au delà des termes du compromis. Comme exemple d'arbitrage de ce genre et dont les effets furent avec raison déclinés par les deux États qui l'avaient provoqué, nous citerons celui qui fut déféré au roi des Pays-Bas par le traité de 1827 pour qu'il prononçât en dernier ressort sur la question de limites qui divisait à cette époque l'Angleterre et les États-Unis. Au lieu de trancher dans sa sentence le véritable point en litige, ce souverain laissa la question de droit en suspens et se borna à suggérer une base d'arrangement entièrement nouvelle et hypothétique. Cette solution n'étant point entrée dans leurs prévisions et maintenant les choses dans le statu quo, les puissances intéressées la considérèrent comme non avenue et vidèrent entre elles leur différend par un accord amiable (traité du 9 août 1842) et l'adoption d'une ligne intermédiaire différente de celle que le roi des Pays-Bas avait tracée en 1831;

2o Lorsqu'il est prouvé que ceux qui ont rendu la sentenc se trouvaient dans une situation d'incapacité légale ou morale, ab: ле ou relative, par exemple s'ils étaient liés par des engagements antérieurs ou avaient dans les conclusions formulées un intérêt direct ignoré des parties qui les avaient choisis;

3o Lorsque les arbitres ou l'une des parties adverses n'ont pas agi de bonne foi: si l'on peut prouver, par exemple, que les arbitres se sont laissé corrompre ou acheter par l'une des parties. Heureusement il serait difficile de mentionner un cas d'arbitrage ayant ce caractère dans nos temps modernes: depuis le commencement du siècle quarante différends internationaux au moins ont été réglés par des arbitres, et nous ne sachions pas qu'il se soit élevé le plus léger soupçon que leurs jugements n'aient pas été entièrement impartiaux. Il faut remonter jusqu'au moyen-âge pour rencontrer des exemples de fraude et de corruption ainsi Pufendorf cite celui de l'empereur Maximilien et du doge de Venise soumettant leurs différends à l'arbitrage du pape Léon X, tandis que chacun

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Opinion des publicistes:

Grolius.

Vattel.

d'eux intriguait en particulier auprès du pontife romain pour qu'il se déclarât en sa faveur;

4° Lorsque l'un ou l'autre des États intéressés dans la question n'a pas été entendu ou mis à même de justifier de ses droits;

5° Lorsque la sentence porte sur des questions non pertinentes, c'est-à-dire n'ayant pas trait au litige, ou sur des choses qui n'ont pas été demandées ;

6o Lorsque la teneur de la sentence est absolument contraire aux règles de la justice et ne peut dès lors faire l'objet d'une transaction, comme dans le cas où l'arbitre, appelé à prononcer sur la satisfaction qu'un Etat doit à un autre pour une offense, condamnerait l'offenscur à une réparation qui porterait atteinte à son honneur ou à son indépendance; ou bien encore dans le cas où l'arbitre aurait en vue quelque avantage qu'il pourrait tirer d'une décision injuste, et serait assez puissant pour ne craindre pas le ressentiment des parties qui ont déféré à son jugement le règlement de leurs réclamations en litige: ainsi fut la décision du peuple romain, lorsque les villes italiennes d'Ardée et d'Aricie ayant remis à son arbitrage leur contestation au sujet de la souveraineté sur un certain territoire, l'assemblée des tribus romaines adjugea à l'État romain la propriété du territoire contesté.

Il convient de faire observer que la décision des arbitres ne saurait être attaquée pour un simple vice de forme, sous le prétexte qu'elle est erronée, ou contraire à l'équité, ou préjudiciable aux intérêts de l'une des parties. Néanmoins les erreurs de calcul et du reste toutes les erreurs de fait constatées peuvent toujours être rectifiées. § 1775. Tous les publicistes et les jurisconsultes se sont préoccupés de l'arbitrage international, tous l'ont défini, en ont développé plus ou moins longuement les principes, les formalités et les conséquences; tous sont tombés d'accord pour approuver le principe même de l'institution, et si quelques-uns constatent que l'application n'en est encore qu'un accident, un fait exceptionnel, ils sont unanimes à exprimer le vœu qu'il devienne la règle générale dans les usages des nations. Grotius, après avoir énuméré un grand nombre de cas d'arbitrage chez les peuples anciens, fait observer que les rois et les États chrétiens sont tenus, plus que tous autres, d'entrer dans cette voie pour éviter le recours aux armes.

« L'arbitrage, dit Vattel, est un moyen très raisonnable et très conforme à la loi naturelle pour terminer tout différend qui n'intéresse pas directement le salut de la nation. » Allant jusqu'à supposer que le bon droit puisse être méconnu des arbitres, il

craint encore davantage qu'il «< ne succombe par le sort des armes ». Selon M. Montague Bernard, professeur de droit international et de diplomatie à l'université d'Oxford, « l'arbitrage est un expédient utile lorsque tout ce que les parties demandent est un jugement impartial sur leurs droits respectifs et que ce jugement peut être rendu sans poser un principe général; ou lorsque le principe qu'il est nécessaire de poser n'a aucune importance d'avenir pour les parties contendantes; ou lorsque l'autorité de l'arbitre est telle que les parties sont satisfaites de recevoir de lui un principe qui aura pour eux une importance ultérieure.

Le professeur italien Pasquale Fiore considère l'arbitrage comme <«<le moyen le plus efficace de régler un différend et le plus conforme à la dignité civile des deux nations contendantes ».

Aux yeux de M. Auguste Picrantoni, « il n'y a pas de chose plus naturelle et plus conforme à la sociabilité humaine que le fait de déférer nos différends au jugement de ceux qui ont notre estime et inspirent notre confiance »; aussi comme «<les nations. sont des agrégations d'hommes dont elles ont les instincts et les passions »>, il n'est pas étonnant que l'arbitrage soit bientôt sorti du terrain de la société civile pour exercer une action bienfaisante sur les relations internationales.

Un autre professeur italien, M. Carnazza Amari, justifie son opinion que l'arbitrage est le moyen le plus juste de trancher les questions entre les États, en insistant sur ce que « la contestation internationale, au lieu d'être livrée au sort des armes, est étudiée, discutée et décidée conformément aux principes du droit ». Et à l'objection qu'on pourrait faire que les États dérogent à leur dignité en recourant à un tel expédient, il répond que « on ue s'humilie pas à vouloir la justice et le droit ».

Nous lisons dans l'important ouvrage du professeur Sheldon Amos sur la Science du droit : « Le recours à l'arbitrage ne peut être assez recommandé, et l'on ne saurait assez insister pour qu'il soit adopté. » D'autres publicistes, sans nier les services que peut rendre et qu'a du reste rendus l'arbitrage, en regrettent le caractère incertain et imparfait. « C'est une ressource précieuse, dit M. Frédéric Passy, mais en même temps, il ne faut pas se le dissimuler, une ressource incertaine et précaire, puisqu'elle suppose avant tout chez les puissances qui y ont recours assez de sagesse pour y recourir, c'est-à-dire plus de désir d'éviter la lutte que de passion à s'y jeter, et chez les arbitres, dont la mission émane de ceux-là seuls qu'ils ont à juger, assez d'habileté, d'esprit de conci

Montague
Bernard.

Fiore.

Pierantoni.

Amari.

Sheldon

Amos.

Frédéric

Passy.

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