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Voici en quels termes est rédigée l'ébauche du projet dont il s'agit :

1° Considérant le désir ardent senti et exprimé dans chacune des nations du monde d'échapper autant que possible aux maux qu'entraîne la guerre, par suite de l'énorme perte d'existences humaines et de richesses qu'elle cause et du fléau de nombreuses armées; considérant également l'obstacle que la guerre apporte à la civilisation et au développement de la morale publique, la désorganisation de l'industrie et du commerce, le désordre des finances nationales qui en sont les conséquences inévitables;

2o Considérant les nombreuses occasions dans lesquelles des Etats ont soumis leurs différends au jugement d'un Arbitre ou de plusieurs — tantôt d'un souverain, tantôt d'un tribunal, tantôt d'un congrès, tantôt, comme dans l'Arbitrage relatif à « l'Alabama », de publicistes et de juristes, qui dans presque tous les cas ont tranché le différend avec succès, au mieux des intérêts communs ;

3o Considérant le fait que des clauses relatives à l'Arbitrage ont été insérées dans des traités de commerce; considérant aussi la nécessité de pourvoir à quelque organisation permanente de nature à réaliser lesdites clauses dans le cas où une provision semblable n'existerait pas déjà dans les traités, de manière à éviter le danger et les difficultés de longues négociations qui deviennent nécessaires quand il s'agit de créer une nouvelle méthode pour chaque cas imprévu qui se présente ;

4o Pour ces motifs : Le Comité de la Société de la Paix et celui de l'Association Internationale d'Arbitrage et de Paix, invitent tous les amis de la Paix, des divers pays, à se joindre à eux dans le but de prier les Gouvernements des différents Etats du monde civilisé de se concerter en vue de la convocation d'une Commission Internationale spécialement chargée d'examiner s'il y a lieu de nommer un Conseil International Permanent d'Arbitrage avec une autorité initiale ou déléguée, dans le but ci-après indiqué ;

5o Chaque Etat nommera un certain nombre de membres, publicistes ou juristes, ou autres personnes de grande réputation et hautement considérées, afin de constituer un Conseil d'Arbitrage International;

6o Ce Conseil peut être tenu comme constitué aussitôt que deux Etats seront d'accord sur son organisation et qu'ils auront élu les membres devant le composer;

7° Dès qu'il sera dûment organisé par deux ou plusieurs Etats, le Conseil invitera les autres États à y envoyer leurs délégués.

8° Le Conseil devra à la première réunion procéder à l'élection de ses secrétaires ;

9 Dès qu'il surgira un différend entre deux Etats, que ceux-ci soient ou ne soient pas représentés dans le Conseil, les secrétaires, à la requête de deux membres du Conseil, convoqueront une réunion chargée d'examiner les mesures à prendre pour arrêter immédiatement les préparatifs de guerre déjà faits ou au moment d'être entrepris par les Etats en désaccord, et pour offrir au besoin l'aide du Conseil sous forme de Médiation ou d'Arbitrage;

10° Lorsque des Etats en conflit ou même en désaccord consentiront à soumettre leurs différends à l'Arbitrage, le Conseil chargera quelques-uns de ses membres et d'autres personnes spécialement déléguées par les parties de constituer un Tribunal Suprême d'Arbitrage

Conclusion.

International, dont la décision devra être obligatoire pour les mêmes
Etats;

11° En désignant les membres du Tribunal Suprême, le Conseil tiendra compte de la nature du différend et des pays dans lesquels il s'est produit. Le Tribunal se dissoudra lorsque le différend aura été réglé ou l'Arbitrage abandonné;

12° Nul ne pourrait avoir l'intention de recourir à une force militaire pour obliger les Etats à saisir le Conseil de leurs différends ou pour contraindre les parties à se soumettre à la sentence du Conseil ou du Tribunal. L'autorité du Conseil ou du Tribunal ne saurait avoir rien de matériel; elle est entièrement morale;

13° Cependant, lorsque, à l'occasion d'un différend quelconque, l'action du Conseil n'aura pas été invoquée par les Etats en conflit ou même en désaccord, ce sera le devoir du Conseil d'examiner les faits de la cause, de faire un rapport sur ces faits et de l'adresser à tous les Etats qu'il représente ; il en usera de même chaque fois que sa décision aura été méconnue; il devra alors communiquer auxdits Etats les faits et sa décision ;

14° Le Conseil formulera lui-même les règles de sa propre conduite et de la procédure à suivre par le Tribunal Suprême d'Arbitrage International. Les règles adoptées dans l'Arbitrage de « l'Alabama » et celles qui ont été proposées par l'Institut de Droit International fourniront des renseignements précieux pour la rédaction dudit règlement.

15° On devra de préférence choisir comme siège du Conseil une ville de pays neutres comme Bruxelles ou Berne;

16° Les membres du Conseil pourraient être nommés pour un nombre déterminé d'années; mais on devra pourvoir à l'élection de membres nouveaux du Conseil chaque fois qu'une vacance se produira par suite de démission ou de décès;

17o Les membres du Conseil, bien que désignés par les Gouvernements, n'auront aucun caractère représentatif;

18° Les frais d'entretien du Conseil seront également supportés par tous les Etats qui auront concouru à son organisation. Les frais nécessités par un Arbitrage seront à la charge des parties.

19° La préparation d'un Code de Droit International sera d'une grande utilité pour guider le Conseil et le Tribunal Suprême d'Arbitrage International; des travaux précieux ont été faits dans ce sens par Bluntschli et Field. Le Conseil devra pousser aussi loin que possible la préparation de ce Code. Pour que ledit Code puisse avoir son effet légal, il doit être officiellement publié et adopté par le Conseil, avec l'autorisation et au nom des Etats représentés, ainsi qu'il a été fait en 1856 pour la Déclaration faite touchant le Droit Maritime.

§ 1806. Il ne faut pas se faire illusion; cette édification est encore loin de se réaliser; elle ne saurait être la tâche d'un jour; elle est hérissée de difficultés qui nécessairement en retardent l'achèvement. Ne répugnera-t-il pas, par exemple, à certaines nations de prendre des engagements qui les lient non seulement pour le temps présent, mais encore pour l'avenir, et dans lesquels elles verraient une atteinte à leur liberté d'action, à leur indépendance?

Puis l'œuvre ne serait praticable et durable qu'à condition d'avoir pour base le consentement unanime de tous; or ce consentement, en présence des coutumes, des sentiments actuels des peuples, ne peut qu'être le fruit d'une transformation politique ou sociale. progressive, mais lente; il faut attendre en effet que tous les doutes soient résolus, qu'il se forme une opinion dominante, acceptée par les maîtres de la science, par les hommes les plus compétents et recommandée par leur autorité au sentiment public, lequel, à son tour, l'imposera, moralement au moins, aux parlements et aux gouvernements, qui finissent toujours par subir sa puissante influence; alors sera établie une véritable opinion juridique internationale en harmonie avec les progrès et les exigences de l'époque.

Enfin subsiste la grande objection soulevée contre l'efficacité des sentences arbitrales en général : quelle sanction en garantit le respect, l'exécution? Cette opinion publique, dont on invoque la puissance, suffira-t-elle, appuyée même sur la bonne foi et l'amourpropre des nations, pour empêcher les infractions aux engagements? Par contre, l'emploi des moyens de coercition n'impliquerait-il pas une violation de la souveraineté des Etats, et n'y aurait-il pas à craindre de ce côté un danger plus grave que celui qu'on chercherait à prévenir ? L'intervention de tous les gouvernements, ainsi érigée en règle, n'aurait-elle pas pour résultat de substituer les guerres générales aux guerres particulières ?

Sans sortir des limites des choses pratiques quant à présent, espérons donc, et notre espoir se fonde sur ce qui se passe depuis cinquante ans, où « l'arbitrage est la règle et la guerre l'exception (1) », que le jour où l'opinion par sa pression croissante sera parvenue à imposer aux nations le recours à l'arbitrage, ce jour-là l'opinion, par la même pression, sera en mesure d'imposer également aux parties contestantes le respect des décisions arbitrales, comme cela du reste a cu constamment lieu, car il n'est point de cas qu'on puisse citer où des Etats, ayant remis leur différend au jugement d'arbitres, aient tenté même de se soustraire aux effets de la sentence prononcée contre eux*.

(1) Discours de M. Fréd. Passy à la séance du congrès de l'Alliance universelle du 4 juin 1872.

Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, t. II, liv. II, ch. xxIII, §8; t. III, liv. III, ch xx,§48; Vattel, Le droit, liv. II, ch. XVIII, §329; Phillimore, Com., vol. III, §§ 3, 4, 5; Twiss, War, § 5; Klüber, Droit, § 318; Halleck, ch. XII,

Rétorsion.

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§ 1807. Lorsqu'on a fait en vain un sérieux appel aux moyens de conciliation, lorsque tous les efforts amiables sont demeurés in

p.152;

§§ 6, 7; Riquelme, lib. I, tit. 1, cap. viii; Bello, pte. 1, cap. xI, §§ 1, 2; Pufendorf, De jure, lib. V, cap. XIII, §§ 4, 6; Voet, Com. ad pand., lib. IV, t. VIII; Bynkershoek, De foro, cap. xxIII; Wildman, vol. I, p. 186; Martens, Précis, § 176; Bluntschli, §§ 488 et seq.; Bielfed, Ins. pol., t. II, Rayneval, Inst., t. II. liv. III, ch. XXII; Burlamaqui, Droit de lanat., t. V, pte. 4; Réal, Science, t. V, ch. III, sect. 8; A. Franck, Journal des Débats, du 5 décembre 1878; British and foreign State papers, 1826-1827, p. 1005; 1830-1831, p. 957; 1831-1832, p. 244; 1834-1835, p. 543; Mémorial diplomatique, 1863, pp. 53, 120; Carnazza Amari, Trattato sul diritto internazionale publico di pace, sezione 5, ch. 1, §§ 5, 6, 7; Augusto Pierantoni, Gli arbitrali internazionali, cap. II et III; Lawrence's Wheaton, pte. 2, ch. 1, p. 133, note; pte. 3, ch. 1, pp. 495 et seq., note; T. D. Woolsey, Introduction to the study of international law, conclusion, § 205; P. Fiore, Nouveau droit international public, t. II, 2o part., liv. I, ch. vII; S. Creasy, First platform of international law, ch. x, §§ 405 et seq.; Montague Bernard, A historical account of the neutrality of Great Britain during the american civil war, ch. xvII, p. 494; E. de Laveleye, Des causes nouvelles de guerre en Europe et de l'arbitrage, 3° part., ch. I, IV, VII, IX; Ch. Vergé, Note au Précis de Martens, tit. 2, § 176, p. 21; Scheldon Amos, Political and legal romedies for war, pp. 163-165; Ch. de Martens, Guide diplomatique, t. I, p. 177; Frederik Seebohm, De la réforme du droit des gens, ch. II et III, introduction par Fréd. Passy, p. 23; Funk Brentano et Albert Sorel, Précis du droit des gens, conclusion, ch. 11, § 4; Rouard de Card, L'arbitrage international, ch. III; Dudley Field, Draft, Outlines of an international code, part. IV, §§ 534, 535, 536; Pradier-Fodéré, Journal du Droit international privé, 1874, p. 119; Revue de droit international et de législation comparée, année 1870, p. 480; 1873, pp. 667 et seq.; 1874, pp. 117 et seq., 167 et seq., 343 et seq., 582 et seq.; 1875, pp. 57 et seq., 273 et seq., 307 et seq., 329 et seq.; Ch. Lucas, De la substitution de l'arbitrage à la voie des armes pour le règlement des conflits internationaux, Bulletin de la société des amis de la paix, mars et avril 1873, février 1876; H. Bellaire, Etude historique sur les arbitrages dans les conflits internationaux; G. RolinJaequemyns, De l'étude et du développement de la science du droit international; Du rôle et de la mission des nations neutres ou secondaires dans le développement du droit international; Caleb Cushing, Le traité de Washington, pp. 349 et seq., 375 et seq.; Goldschmidt, Revue de droit international, 18741875; Creasy, First Platform, §§ 406-409; Diaz, Covarrubias-Bluntschli, §§ 501, 505; Desjardins, Les derniers progrès du Droit international, Revue des DeurMondes, 15 janvier 1882, p. 353; Nys, Le Droit de la guerre, p. 32; Calvo, Dict., t. I, pp. 51-56.

fructueux et qu'on ne veut cependant pas encore recourir au sort des armes, à une guerre ouverte pour vider le différend, il ne reste aux gouvernements qu'à se placer sur le terrain des voies de fait, parmi lesquelles se présente tout d'abord la rétorsion, qui est la moins violente.

La rétorsion se fonde sur la maxime: Quod quisque in alterum statuerit ut ipse eodem jure utatur (user soi-même du même droit que chacun a statué envers autrui). Elle consiste en ce qu'un pays pratique à l'égard d'un autre les mêmes procédés, les mêmes règles de droit dont celui-ci use envers lui. Souverains et absolument indépendants pour établir chez eux les lois et les usages qui conviennent le mieux à leurs intérêts, les Etats sont toutefois moralement tenus d'observer certains égards internationaux, et le droit strict dont ils usent sans réserve chez eux justifie réciproquement l'exercice du même droit illimité chez les autres.

Dans cet ordre d'idées, il est facile de concevoir quelles sont les circonstances qui légitiment l'emploi de la rétorsion, puisque ce moyen de contrainte ne s'applique qu'au non-accomplissement d'un devoir imparfait. Ainsi, quand un Etat cesse de respecter les usages établis, qu'il augmente démesurément les droits d'entrée ou de transit sur les produits d'un autre État de manière à en diminuer injustement les débouchés naturels, le recours à la rétorsion se justifie de lui-même. Il en est de même lorsqu'une nation improvise des règlements fiscaux, consacre des mesures onéreuses pour le commerce ou la marine, en leur donnant un effet rétroactif, ou bien encore procède arbitrairement à la réforme de ses lois intérieures en vue de restreindre les avantages acquis aux sujets étrangers.

Chaque pays est naturellement maître de régler, suivant les circonstances qui les provoquent, pour les personnes comme pour les choses, les conditions générales, les limites et la durée de la rétorsion. L'histoire de la Révolution française de 1789 en fournit de nombreux exemples. Nous mentionnerons entre autres le décret de la Convention du 16 août 1793, qui confisqua les biens des sujets espagnols en France, pour répondre aux mesures semblables décrétées par le roi Charles IV par rapport aux propriétés des Français en Espagne. Le célèbre décret de Berlin du 21 novembre 1806, par lequel Napoléon Ier proclama à titre général le blocus de toutes les côtes du Royaume-Uni et la confiscation de toutes les marchandises et de toutes les propriétés anglaises rencontrées en mer ou sur le continent, n'était, dans son origine comme dans son

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